Lectures de généalogiste : 1- Le monde retrouvé de Louis François Pinagot

Alain Corbin s'est voulu historien du sensible. Comment écrire l'histoire des sensations et des représentations ? C'est sa connaissance experte des archives du XIXe siècle autant que sa manière de les interroger qui lui a permis de faire l'histoire des odeurs (Le miasme et la jonquille), des bruits de la campagne (les cloches de la terre) ou encore de notre rapport au littoral qui s'est renversé au XIXe siècle dans Le territoire du vide, l'Occident et le désir de rivage. Avec un égal talent, il sait faire parler les sources littéraires, policières, administratives, etc.

Alain Corbin est né à Lonlay-l'Abbaye, ce qui fait de lui un possible cousin puisque ma branche Montaufray/Montaufroy y plonge ses racines au XVIIIe siècle.

C'est pourtant à rebours de la quête généalogique qu'il a choisi d'écrire la biographie d'un inconnu, choisi au hasard dans les registres d'état-civil de l'Orne. Ce sabotier sans histoire, au sens littéral, illettré et dont l'horizon n'allait pas plus loin que la forêt de Beauchêne, c'est Louis François Pinagot.
Dans Le Monde retrouvé de Louis François Pinagot, Corbin délivre une magistrale leçon de micro-histoire. Il se sert de toutes les sources à sa disposition avec une rare virtuosité (état-civil, élections, justice, police, délibérations municipales, rapports du sous-préfet...) pour remettre son personnage dans son contexte familial, local et historique. Corbin ne s'interdit pas d'évoquer son émotion au fil de ses recherches. S'il respecte tous les codes du travail universitaire, son livre n'en a pas la pesanteur.

Et s'il se laisse parfois aller au jeu des suppositions, Corbin les présente toujours comme telles. Il assume la frustration qui est celle du généalogiste de ne jamais faire au mieux qu'entrevoir un ancêtre. Il est tout simplement impossible de connaître cet être disparu. Le portrait qui en est fait ne peut être au mieux qu'une silhouette. Mais Corbin la peint en impressionniste, avec une force d'évocation dans le style qui préserve la rigueur de l'historien sans jamais donner une impression de sécheresse.

Vingt ans après ma première lecture, ce livre reste pour moi un modèle de travail d'archives, un rempart pour les interprétations hâtives et une source d'inspiration constante.

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