Pierre-Rouge 17 : Saint-François-Régis Pierre-Rouge et l’œuvre du père Prévost

L'ensemble des épisodes déjà parus du feuilleton est disponible ici

Entrée de la rue Lunaret - octobre 2018 (collection personnelle)

Dans les cloches de la terre, ce merveilleux historien des sens et du sensible qu’est Alain Corbin a su redonner vie à l’univers sonore de nos ancêtres. A la ville comme à la campagne, les cloches ont longtemps rythmé la vie plus que les montres. Et elles ont continué dans beaucoup d’endroits à marquer le temps en parallèle des moyens toujours plus nombreux de le décompter. J'entendais les cloches de la chapelle de l'Enclos depuis ma chambre d'enfant du 26 avenue de Castelnau, sans identifier où elles étaient. J'étais à l'âge où l'on croyait que les cloches partaient à Rome le jeudi saint pour revenir le dimanche de Pâques en laissant des chocolats dans le jardin de mes arrière grands-parents.

La Chapelle vue depuis un des petits pigeonniers du parc (carte circulée, sans date - collection personnelle)

Le carillon de la chapelle de l’enclos Saint-François, Georges Dezeuze le décrit ainsi, dans un souvenir qu’il date de 1925 : « Je ne connaissais de l’enclos Saint-François qu’un son de cloches. Le carillon emplissait, à heures dites, tout le quartier de mon grand-père, la Pierre-Rouge, et l’Aiguelongue. » Le carillon datant de 1924, la connaissance du fils de l’escoutaïre était bien récente. 

Procession du Saint Sacrement (collection personnelle)

Thomas et Pastre, dans des lignes publiées en 1930, évoquent trois temps forts de la vie de l’enclos : une représentation de L’annonce faite à Marie de Paul Claudel, l’office des Ténèbres du vendredi saint, et la procession de la Fête-Dieu. Les cartes postale qui suivent illustrent leur pompe et le soin qui y était apporté.

carte postale - sous le dais, le père Prévost (carte circulée en janvier 1926 - collection personnelle)

Procession du Saint-Sacrement (carte non circulée - collection personnelle)

Procession du Saint Sacrement (carte non circulée - collection personnelle)

Dans mon souvenir, que la nostalgie n’a pas encore eu trop le temps d’embellir, Pierre-Rouge était une machine à voyager dans le temps. Le lycée était mal entretenu, poussiéreux. 

La salle bleue (carte postale non circulée, sans date - collection de l'auteur)

La salle de spectacles, une ancienne écurie magnifiquement réaménagée dite la salle bleue, accueillait encore de temps en temps une troupe d’amateurs. Je me souviens d’une représentation assez réussie de La casa de Bernarda Alba de Fedérico Garcia Llorca, par une troupe de lycéens. Ma grand-mère me parlait de spectacles assurés par les lycéens quand ma mère était enfant et dont elle gardait un très bon souvenir. Les classes étaient dans le même état de vétusté, sauf celle de philo qui venait d’être refaite en amphi, et un nouveau bâtiment qui accueillait le CDI et les salles de sciences de l’ingénieur. 

carte postale sans date (collection personnelle)


Mais ce qui frappait surtout, c’était le parc. Et je frondais volontiers les tentatives d’en restreindre l’accès aux élèves pendant les récréations, dans un but de surveillance qui m’évoquait les prisons du XIXe siècle. Tout ça parce qu’un élève s’était jeté dans la mare aux canards à la suite d’un jeu idiot. La bambouseraie était magnifique. Les paons vieillissaient encore avec superbe dans leur cage ou à l’extérieur. Le bassin vaseux était resté beau malgré son étouffement sous la prolifération de plantes aquatiques. Et l’architecture était superbe. J’aimais surtout le côté sobrement arts déco de la cour des miracles, une partie des bâtiments qui donnait sur la rue Abert. Il y avait une belle salle de sciences physiques au sommet d’une rotonde vitrée qui était étouffante l’été, de beaux préaux et des chemins couverts aux colonnes élégantes. Le bureau du préfet des études était posé sur le ruisseau de Chambéry, dont le cours passait sous le préau. Le sol était surélevé à cet endroit pour le franchir, si bien qu’il fallait monter et descendre pour accéder au reste du lycée. La cour et l’étude des Secondes était dans la partie la moins intéressante des bâtiments, banale et assez vieillotte, où se trouvaient la cantine où je n’ai jamais mangé et à l’étage, les chambres de l’internat. Dans le reste du parc, plutôt que de construire des bâtiments à l’allure de caserne que l’on voit souvent pour les locaux scolaires de cette période, le père Prévost a préservé les villas achetées pour s’agrandir.

Le parc vu de l'avenue de Castelnau, à droite la salle bleue - octobre 2018 (collection personnelle)

C’est en 1907 que Charles Prévost, ancien avocat doté d’une importante fortune personnelle, devint l’aumonier de l’orphelinat des soeurs franciscaines de Grèzes. Cette institution, fondée en 1885 au faubourg Boutonnet, avait été transférée en septembre 1889 à la villa des Pins. Il en a déjà été question dans le billet consacré au père Emprin. De premiers bâtiments neufs ont été construits en 1899. En 1901, l’enclos comptait 12 hectares et abritait 80 orphelins de 15 mois à 11 ans. Il avait sa propre vigne d’un hectare, un grand potager et deux vaches laitières. Le père Prévost devient propriétaire de l’enclos en 1910, y investissant sa fortune personnelle. Il mène ensuite une politique d’acquisitions qui l’agrandissent considérablement. Il rachète une bonneterie désaffectée et la villa dite des bambous en 1912, la « cour des miracles » et la propriété du boucher Maraval en 1913. Après-guerre viendront encore s’ajouter des vignes et l’ancien entrepôt des tramways hippomobiles de la ville, à l'emplacement du jardin Villeneuve. A son apogée, le domaine du père Prévost couvre 13 hectares. Des ateliers sont créés pour apprendre l’horticulture, la menuiserie et l’imprimerie. Les productions se vendaient à l'extérieur. J'ai trouvé sur un site de collectionneurs une facture d'horticulture de 100 francs adressée à M. Alicot. 

Un coin du parc (carte non circulée - collection personnelle)

En 1914, l’enclos accueillait 105 orphelins de 3 à 17 ans, avec 72 adultes pour les encadrer dont 20 religieuses seulement. Faire vivre un orphelinat est chose coûteuse. Le financer est l’un des objectifs du père Prévost lorsqu'il ouvre un collège catholique dans la partie ouest de l’enclos à la rentrée 1911. 

Groupe d'orphelins en uniforme à la veille de la première guerre mondiale
(carte postale circulée, sans date - collection personnelle)

Les effectifs croissent peu à peu pour dépasser la centaine d’élèves au lendemain de la première guerre mondiale. En 1913, le père Prévost fonde une oeuvre pour la vocation des enfants pauvres. En 1925, on dénombre 15 prêtres et un religieux formés dans ce cadre à l'Enclos. En 1979, le total atteint 75 ecclésiastiques. 

Le "promenoir" (carte non circulée - collection personnelle)

Pendant la Grande guerre, comme presque tous les établissements scolaires, l’enclos fut partiellement transformé en hôpital militaire. 

Le réfectoire (carte non circulée - collection personnelle)

Je n’ai appris que bien plus tard que le petit séminaire de Montpellier avait été installé dans les murs de l’Enclos Saint-François de 1922 à 1930. Les dames du Sacré Coeur ayant voulu récupérer leurs locaux, le père Prévost accéda à la prière de l’évêque de Montpellier d’héberger dans l’enclos le petit séminaire expulsé de l'enclos Farel. Des travaux ont lieu de 1919 à 1922 afin de pouvoir accueillir davantage d’élèves. Mais c’est une solution provisoire, le diocèse veut un « vrai » petit séminaire, tourné vers des élèves ayant vocation à devenir prêtres. L’Enclos, même si l’esprit du père Prévost fait bénéficier les petits séminaristes de sa riche politique éducative en faveur de la culture, est un péril pour ce projet, un risque de dilution et de disparition. D'autant que le père Prévost a obtenu que les élèves du collège et les petits séminaristes fassent classe commune à partir de la 4e. En 1928, Mgr Mignen achète un terrain près de Celleneuve, sur l’avenue des Moulins et en octobre 1930, le petit séminaire y est transféré.

Le grand espace, que je n'ai pas réussi à situer : rue Beauséjour ou mail des abbés ?
(carte non circulée - collection personnelle)

C’est à la même époque, en 1928, qu’est créée la société anonyme Enclos Saint-François, à qui le père Prévost confie l’ensemble du patrimoine immobilier de l’Enclos, et qui en est toujours propriétaire de nos jours. 

Dortoir (carte non circulée, collection personnelle)

Pour l’enclos, le départ du petit séminaire est une grande saignée dans les effectifs. Seuls les élèves de 6eet de 5restent à la Pierre-Rouge pour la rentrée 1930. Le père Prévost repart des petites classes pour remonter le nombre d'élèves. L'objectif est atteint à la veille de la deuxième guerre mondiale. 

En 1938 l'ensemble compte 737 élèves, ce qui en fait le deuxième établissement de garçons de la ville, loin derrière il est vrai le lycée public avec ses 1576 élèves sur deux sites. L'annuaire du département de l'Hérault de 1939 met en avant, outre le père supérieur, un sous-directeur : Foulquier et trois professeurs : Maurras, Comte et Lhôte

C’est dans ces années que l’écrivain et journaliste Frédéric-Jacques Temple, né comme mon grand-père en 1920, était pensionnaire à l’Enclos. Celui qui évoque avec beaucoup de respect et d’admiration « le père des pères » décrit avec nostalgie la vie culturelle brillante et le cadre magnifique du parc. 


Facture de scolarité pour un interne, année scolaire 1939-1940 (collection personnelle)

Un autre écrivain et journaliste, moins célèbre mais à la plume vive, aux idées franchement droitières et à l’esprit libre, enseigna quelques mois à l’Enclos. François Sentein fréquenta beaucoup d’amis plus célèbres que lui, comme Cocteau. Il corrigea et ponctua Jean Genet. Pendant la drôle de guerre, alors qu’il était en licence de lettres, il fut au premier trimestre de l’année scolaire 1939-1940 professeur de 5à l’Enclos. Il y succédait à son ami le normalien Maurice Clavel, alors fiancé à Silvia Montfort et qui avait trouvé un poste plus prestigieux à Nîmes. Dans ses minutes d'un libertinSentein décrit ses élèves du haut de ses dix-neuf ans dans des pages où l’assurance le dispute à la curiosité du jugement qu’on peut avoir de lui. J’aime le tableau vivant qu’il fait d’une récréation le 14 novembre 1939 : « Elle est blanche, leur chapelle, comme le furent les cathédrales, à travers les peupliers et le platane qui jaunit. Couchés derrière ce rideau, ils peuvent l’apercevoir, quand ils relèvent la tête vidée par l’effort du jeu et qui a envie de s’endormir dans le songe d’un chevalier. Ils lancent leur ballon, qui se détache sur la nef à 4 heures éclatante. Ils frappent du pied en mordant dans leur pain de 4 heures. Je communie avec eux dans ce pain. »

Plaque apposée en souvenir des enfants juifs hébergés par le père Prévost - octobre 2018 (collection personnelle)

La drôle de guerre entraîne bientôt François Sentein ailleurs et je n'ai pas trouvé de témoignage aussi vivant pour les années qui suivent, marquées par la guerre.

Le 22 avril 1994, lycéen en 1ère ES, j’ai assisté au dévoilement solennel de la plaque qui se trouve toujours au 18 avenue de Castelnau. En voici le texte : 
« A la demande de Sabine Zlatin
Ici furent hébergés par le Père Prévost
Les enfants juifs réfugiés dans l’Hérault,
Futures victimes du nazisme.
D’Izieu (Ain), le 6 avril 1944, ils furent
Déportés à Auschwitz et arrachés à la
Vie dans d’horribles conditions ».

Le Père Prévost a rencontré Sabine Zlatin en 1941. C’était une infirmière que les lois antisémites de Vichy avaient exclu de l’hôpital. Elle avait réussi à devenir assistante sociale à la préfecture de l’Hérault et tentait, avec l’aide de son mari Miron, de faire sortir des enfants juifs et tziganes des camps d’Agde et de Rivesaltes. Il fallait avoir le caractère bien trempé du père Prévost pour cacher des enfants juifs à quelques mètres de la Gestapo, jusque sous les combles de la Chapelle. D’autres furent abrités dans des familles ou dans la petite colonie de vacances que le père Prévost possédait à Palavas. En janvier 1943, pour écarter le danger, Sabine et Miron Zlatin déménagent leurs protégés à Izieu, dans l’Ain. C’est une zone occupée par les Italiens, où la traque antisémite est moins acharnée. Pourtant en avril 1944, Sabine Zlatin confie encore au père Prévost une vingtaine de garçons. Au même moment, 44 enfants et 7 adultes sont arrêtés à Izieu et déportés, dont Miron Zlatin. Dans le convoi n°71 qui emportait 34 d'entre eux se trouvaient Simone Veil et sa famille, parmi 1500 déportés. Toutes les démarches de Sabine Zlatin pour sauver les enfants sont restées vaines. Tous les enfants arrivés vivants à Auschwitz y furent assassinés dans les chambres à gaz. 


Façade sur l'avenue de Castelnau - octobre 2018 (collection personnelle)

Adolescent pas toujours porté à la nuance, je comprenais mal comment cet acte de résistance avait pu, sans être découvert, exister autour du père Prévost et des quelques personnes qui étaient nécessairement dans la confidence. Lorsque je suis arrivé à Pierre-Rouge en Seconde, en septembre 1995, le directeur venait de changer. Le père Pin avait pris sa retraite dans une des villas et les deux derniers prêtres enseignants avaient fait de même. Mais la mixité n’était pas encore acquise et le nouveau directeur, M. Cattanéo, ne tint que deux ans dans un conflit déjà complexe entre l’OGEC, qui administrait le lycée, et la société anonyme, héritière du père Prévost et propriétaire des murs. M. Cattanéo était aussi mon professeur d’histoire de Seconde. Ayant été depuis professeur d’histoire et dirigeant moi-même un établissement scolaire, je me demande encore comme il arrivait à concilier les deux, même avec un service d’enseignement léger. Sous sa direction disparurent rapidement certaines des pratiques les plus désuètes qui avaient encore cours du temps de son prédécesseur. Le carnet hebdomadaire devint trimestriel sans le dire, les notes de conduite disparurent. Le temps d’étude du matin, symbolique avant le début des cours et parfaitement inutile, disparut. En février 1994, un foyer géré en partie par les lycéens est ouvert dans la salle rose. En mai 1994, à la suite d’une enquête auprès des parents d’élèves, dont 20% seulement des réponses s’opposaient à la mixité, la décision fut annoncée, mais le départ de M. Cattanéo était décidé dans la foulée. J'eus avec quelques autres les honneurs d'une interview dans Midi-Libre sous la plume de Karim Maoudj pour commenter ce changement d'époque. 

Salle d'étude. En 1992, c'était celle des secondes, le mobilier était le même et ma place était au fond à droite
(carte non circulée - collection personnelle)

C’est le nouveau directeur, M. Jouannaud, qui mit en œuvre la mixité à la rentrée 1994. L’arrivée de 45 filles fut en fait un non-événement, si ce n’est qu’il permit de maintenir l’effectif. Celui-ci remonte ensuite légèrement (310 en 1995-1996, 435 en 1996-1997). Des travaux sont réalisés, l’ouverture d’un BTS en génie électronique est prévue, mais le débat sur la mixité a révélé une cassure plus profonde.

Façade sur la rue Lunaret - octobre 2018 (collection personnelle)

Si beaucoup de mes camarades étaient comme moi issus de milieux très ordinaires, il y avait aussi quelques rejetons de vieilles familles, dont les noms étaient parfois célèbres. Certains de ces garçons étaient nostalgiques de la monarchie et professaient des idées très conservatrices, en termes de religion comme de politique. L’un d’eux me prêta même L’action française, à laquelle il était abonné et tenta de faire de moi un disciple de Charles Maurras. J’ai lu ça en curieux, choqué par l’antisémitisme fier de lui-même qui suintait de ce torchon. Le 21 janvier, l’abonné de l’Action française et quelques autres brulaient un mouchoir blanc en mémoire de Louis XVI qu’ils vénéraient comme un martyr.

J’ai cherché par la suite à en apprendre plus sur le père Prévost, le « père des pères » de Frédéric-Jacques Temple. Charles Prévost, ce chanoine inclassable qui avait les moyens d’un grand seigneur et le train de vie d’un curé de campagne. Georges Dezeuze, qui a eu la chance de le connaître, avait à quelques décennies de distance, les mêmes a priori que moi et fut séduit, « étonné de découvrir autour de lui un monde artiste, accueillant, libéral et pas du tout cagot. » Le père Prévost resta toute sa vie un membre des élites montpelliéraines, membre de l'académie des Sciences et Lettres de Montpellier, membre de la société archéologique du Languedoc, aux séances de laquelle il retrouve son ami architecte Julien Boudes. Le Père Prévost était aussi président d'honneur de la société Saint-Jean de Montpellier pour l'encouragement de l'art chrétien. 

Chapelle de l'Enclos par Julien Boudes - maquette (carte postale envoyée en 1925, collection personnelle)

Le chef d’œuvre architectural de l'Enclos, c’est la chapelle dessinée par Julien Boudes, qui bâtit avec ses compagnons un superbe pastiche gothique à présent plus que centenaire, placé à peu près au centre de l’Enclos, équilibrant la composition entre l’orphelinat, à l’est, et le lycée, à l’ouest. Commencée en 1909, la chapelle est achevée pour l’essentiel en 1913. Elle accueille des orgues composés d’éléments achetés en Allemagne et assemblés par le facteur Puget. Le clocher s’y ajoute entre 1919 et 1924. Il s’élève à 47 mètres de hauteur, dominant le quartier de sa silhouette élégante. Pas moins de trois évêques  consacrèrent la chapelle le 30 juin 1924. Le programme de décoration sculptée s’est poursuivi jusqu’en 1928. La chapelle a reçu le label patrimoine du XXe siècle en 1999. J’ai connu ce superbe endroit, assombri par le temps et figé dans la poussière, lors de messes obligatoires où j’allais en trainant les pieds. Notre professeur d’histoire, Monsieur Bru, essayait de donner un peu d’entrain à des chants de joie que ses choristes forcés ânonnaient comme un pensum. 

La devise Ora, Canta, stude (prie, chante, étudie), illustre parfaitement le projet pédagogique du père Prévost. La chorale abolissait provisoirement la distance sociale qui séparait les manuels de l’orphelinat des lycéens. Fondée en 1916 par Félix Raugel, la chorale accède après 1928 à une vraie notoriété locale sous la baguette de Jean Bioulès, élève de la Schola cantorum de Paris, qui en fut pendant un demi-siècle le maître de chœur, le kapelmeister comme l’appelle Frédéric-Jacques Temple. 


Jean et Vincent Bioulès de part et d'autre de Frédéric-Jacques Temple, après un concert à l'Enclos dans les années 1970 (https://lesuniversdetemple.wordpress.com/une-vie-1972-1989/ - droits réservés)

Jean Bioulès, père du fameux peintre Vincent Bioulès, illustre à lui seul la double nature de l'enclos : orphelin, il bénéficia de l'enseignement du collège et c'est grâce au père Prévost qu'il pu poursuivre ses études musicales. Depuis 1978, les chœurs de l’Enclos ont continué leur activité en gardant le même nom, sous la direction de quatre chefs de chœur différents. Mais le lien avec les origines s’est estompé et c’est à l’église Sainte-Thérèse que le chœur répète actuellement, sous la baguette de David Pendrous.

Jean Bioulès ne fut pas le seul à profiter du goût du père Prévost pour la récompense du mérite individuel. D'autres orphelins doués suivirent la scolarité de l'autre côté de l'Enclos. Un système de modulation des frais de scolarité permettait à nombre d'élèves modestes de fréquenter l'Enclos, les plus riches payant pour les autres.


Un coin du parc, à gauche la villa du directeur, au fond la salle bleue surmontée des salles de classe du promenoir
(carte non circulée - collection personnelle)

Après la mort du père Prévost en 1947, le collège avait continué son chemin sur sa lancée. En 1963, les jésuites ayant quitté l’enclos Tissié-Sarrus où ils avaient un collège, les deux établissements s’étaient rapprochés. Pierre-Rouge accueillait les plus grands, Tissié-Sarrus les petits. En 1980, les deux établissements ont repris leur autonomie, mais le vocable Saint-François Régis est resté pour la Pierre-Rouge. Pierre-Rouge a continué son chemin en tant que lycée, s’ouvrant finalement à la mixité en 1994, mais très largement distancé dans les résultats par la Merci et Nevers, qui avaient les moyens de sélectionner leurs élèves. Le conflit grandissant entre la SA enclos Saint-François, propriétaire des murs, et l’OGEC affectataire des lieux, a grandi jusqu’à déboucher sur une impasse. Le lycée n’avait plus les moyens d’entretenir les locaux, qui se dégradaient peu à peu. En 2006, la SA Enclos Saint-François demandait à la justice de réviser le loyer annuel de 24 000 euros, dérisoire pour 11 000 m2 de surface, mais soutenable en l’état des locaux et des finances du lycée. Alors que les prix du marché conduiraient à multiplier le loyer par 20, la rupture devenait inévitable. En octobre 2006, Françoise Gaussen, directrice diocésaine, prend la décision de faire construire un nouveau lycée à Baillarguet, en relocalisant sur le même lieu l’école primaire Saint-Joseph. Le nouveau Campus Saint Joseph Pierre-Rouge fonctionne depuis la rentrée scolaire 2009. En 2012, un collège s’y ajoute, complétant l’offre de formation du site. Lors de l’inauguration, le directeur Joël Jouannaud, faisait état pour Midi Libre du « harcèlement permanent du président de la SA pour nous mettre à la botte de sa vision archaïque de l’enseignement catholique », lui opposant l’ouverture de l’OGEC « par choix pastoral et par obligation légale », soutenu par la directrice diocésaine et par l’archevêque. 

Les vitres brisées des salles de cours surmontant la salle bleue vues depuis la rue Abert - octobre 2018
(collection personnelle)

Depuis l’enseignement a déserté la majeure partie des locaux de l’Enclos. Les parties donnant sur la rue Abert sont murées pour éviter les squatteurs. Les salles de classes au-dessus de la salle bleue ont des vitres cassées. Les parties les plus récentes sur l’avenue de Castelnau sont occupées par l'UFCV (Union française des centres de loisirs et de vacances).

La cour des Miracles prise depuis un trou dans le portail (août 2019 - cliché de l'auteur)

A partir de 1967, l’orphelinat est géré par une association à but non lucratif, l’association Charles Prévost, qui conclut des partenariats avec les services sociaux du département de l’Hérault. Une école primaire cohabite jusqu’en 1978 avec l’orphelinat. Depuis 1975, l’orphelinat est une maison d’enfants à caractère social, qui accueille aussi des filles à partir de 1985. Le public change peu à peu, le placement étant devenu l’exception dans la protection de l'enfance, le maintien du lien avec la famille la règle, autant que possible, avec des mesures éducatives d’accompagnement. L’Enclos est engagé depuis 1983 dans ces dispositifs et intervient aussi depuis quelques années dans des dispositifs de soutien à la parentalité. Dans le même temps, l’accueil de jour se développe pour les jeunes confiés. 

L’Enclos continue à éduquer une cinquantaine de jeunes en internat et accueille aussi en hébergement individuel de grands adolescents et de jeunes adultes. 

Stade du père Prévost - octobre 2018 (collection personnelle)

Pour les lycéens, le sport se déroulait sur le stade du père Prévost. On devine derrière le tennis club de la Pierre-Rouge, fondé en 1978, dont les  8 terrains de terre battue appartiennent aussi à la SA  de l'Enclos. 

Le stade du Père Prévost accueillait depuis longtemps les joueurs de foot de l'enclos et du grand séminaire. En 1934, l'entrainement de l'équipe du séminaire avait lieu le lundi après-midi. 

L'équipe du grand séminaire en 1934

Une équipe de l'enclos en 1934 
En haut de gauche à droite : Paul Lebet dit "Tout", Cabral, Fois, Pomarède, Arnavielle, Portal, Haubou et René Levet
En bas de gauche à droite : Moïse Cros, Blanchard, Enjalbal, Tourel (futur évêque de Montpellier)

Les installations avaient été refaites en 1996, puis louées à la ville de Montpellier qui s’engageait à en assurer l’entretien pour 99 ans. Mais le tracé de la ligne 2 de tramway allait remettre en question peu après cet équilibre. Après un débat long et houleux sur la traversée du quartier, le terrain fut réduit à peu de chose par l’emprise du tramway. Plus moyen de jouer au football sur ce qui en restait. Une partie fut squattée. De ce moignon de terrain, la société de l’Enclos Saint-François et le promoteur Pragma voulaient faire un nouveau morceau de quartier. Une association fut créée pour s'y opposer, se baptisant avec un certain panache "les vrais amis du père Prévost." Après une vive polémique locale et l’élection de Philippe Saurel comme maire de Montpellier, le stade du père Prévost est resté en l’état. En mai 2014, Philippe Saurel le présente comme un stade centenaire, le plus ancien de la ville. Le promoteur devra même le remettre en état avant de le laisser à la disposition de la ville en 2021. Mais en contrepartie, d’autres parcelles sont livrées à la construction : 3 600 m² sur le parking du club de tennis de Pierre-Rouge, 5 700 m² à l’angle de la rue Lunaret et de la rue Jeu-de-Mail-des-Abbés et enfin 4 200 m² rue Beauséjour. La vente de ces parcelles devrait permettre à la SA Enclos Saint-François de faire enfin des travaux pour sauver les locaux en péril, préserver la chapelle et remettre aux normes les bâtiments fermés par la commission de sécurité. Que deviendra alors l’enclos restauré ? 

Partie du stade qui doit accueillir l'opération immobilière Joïa - octobre 2018 (collection personnelle)

L'ensemble des sources utilisées pour l'écriture de ce feuilleton est disponible ici.

Commentaires

  1. Bonjour . Avec le collectif "football du peuple" nous jouons sur le terrain du stade Prévost tout les dimanches. Il est important que ce lieu reste ouvert et disponible gratuitement pour tous. Il est un îlot au millieu de toutes ces grues et le manque de structure.

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  2. Bonjour, étudiante en Architecture à Montpellier, ce blog est une mine d'or ! Merci beaucoup

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