Sur les traces de mes grands-parents : 1- Le mur de l'Atlantique et l'organisation Todt


Le mur de l'Atlantique a tout d'un secret de famille. On le croit ouvrage militaire construit par l'armée allemande, il est un produit de la collaboration de la bétonnière et du travail requis, autour d'un organisme polyvalent qui a aussi bien construit des baraquements pour les camps de concentration que les batteries de défense aérienne de la pointe du Hoc. Et si les bunkers et les galeries ont amusé les enfants et suscité parfois un intérêt local, les bâtisseurs de cet ensemble de béton armé sont dans un angle mort de la mémoire collective.

Durant les recherches préalables à la rédaction du livre de famille, j'ai découvert grâce au témoignage du meilleur ami de mon grand-père que celui-ci avait travaillé pour l'organisation Todt. C'était pour moi une révélation époustouflante. Pour ce que j'en savais, mon grand-père avait dû arrêter l'école après le certificat d'études et ce n'est qu'après-guerre qu'il avait pu reprendre ses études, être diplômé de l'école de commerce de Normandie et, après un passage par le Comptoir national d'escompte, faire une carrière dans l'administration de la Reconstruction puis de l'Equipement qui l'avait conduit jusqu'au grade d'attaché principal et à la direction administrative de la DDE de l'Hérault. Entretemps je savais qu'il avait fait un apprentissage de coiffure vers 1943 et que ce métier ne lui plaisait guère. J'ai gardé un souvenir pas très agréable des coupes de cheveux qu'il me faisait enfant sur cheveux secs, armé de ciseaux à dents que j'ai redoutés chez le coiffeur pendant de longues années. Je l'avais entendu raconter, lors des repas de famille, les longues journées de travaux agricoles à 14 ou 15 ans et les repas où l'ouverture et la fermeture des son couteau par le patron marquait l'intervalle pendant lequel il pouvait manger.

L'Occupation existait dans les privations dont il se souvenait. La guerre semblait commencer au Débarquement et culminer avec l'intervention des troupes canadiennes à quelques pas de la maison familiale. Mais du mur de l'Atlantique, en avait-il seulement été question ? A la réflexion si, pour regretter les portions de côtes bretonnes et normandes défigurées par ses blockhaus. Et c'était tout. Le reste était resté bien à l'abri de ma curiosité, derrière la pudeur de sa mémoire.

Je n'avais qu'un début de piste. J'ai tenté un coup de sonde lors d'un passage aux archives de Caen dont ce n'était pas l'objet principal. J'ai sorti 3 côtes sur les travailleurs requis par l'organisation Todt.

- AD14 4 W13/1, informations nominatives éparses de réquisition.
- AD14 4W14 : recensement des jeunes gens pour 1943 (mon grand-père est trop jeune pour y figurer, les fiches vont de 1920 à 1922 pour les dates de naissance)
- AD14 4W16 : fiches nominatives de départ. Une seule pour Rots (canton de Tilly-sur-Seule)

Ces archives sont incomplètes et ne concernent que des travailleurs requis. Elles ne disent rien des employés des entreprises qui travaillaient pour l'organisation Todt.

Voulant me faire une idée de l'état de la question, je suis allé au sous-sol de La Galerne pour voir si j'y trouverais une synthèse. J'ai eu la chance de tomber sur celle de Jérôme Prieur, qui résume le sujet d'une plume alerte au fil de ses 200 pages.

Oeuvre de propagande en béton armé, le mur de l'Atlantique servit davantage d'obstacle psychologique puisqu'il ne servit d'obstacle que quelques dizaines de minutes ou quelques heures sur les plages du débarquement, à part Omaha Beach. Mais c'est le monument de collaboration économique qui est le plus longuement expliqué par Prieur, qui montre comment ce chantier géant, financé par le pillage de l'économie française, a aussi été un moyen de réinjecter une bonne partie des sommes concernées dans les entreprises et les salaires français. Mais si dans un premier temps, le régime de travail de l'Organisation Todt parait plus favorable que le STO, le sort des travailleurs requis et des salariés est de moins en moins enviable : bombardements, journées interminables, accidents du travail multiples.

Mon grand-père est né en 1926, trop tôt pour être concerné dans les premières années de la guerre. Mais le 1er février 1944, Fritz Saukel obtient du gouvernement de Vichy l'extension du STO aux jeunes hommes à partir de 16 ans. C'est comme cela que le meilleur ami de mon grand-père s'est retrouvé à boucher les trous de la piste d'aérodrome de Carpiquet et c'est sans doute ainsi que mon grand-père s'est retrouvé manoeuvre sur le mur de l'Atlantique.

Pourrais-je un jour en trouver la trace écrite ? Grâce à la lecture de Jérôme Prieur, j'ai appris que beaucoup des archives, françaises et allemandes, de l'organisation Todt avaient volontairement été détruites et que l'historien avait souvent recours à des sources détournées pour en retracer l'activité : accidents du travail, dossiers de dommages de guerre, archives des procès faits aux entreprises françaises ayant travaillé pour l'organisation. Cela ne fait pas mon affaire, j'ai bien peur que ce qu'a pu être le sort de mon grand-père dans ce grand Moloch de béton reste à jamais hors de portée. Mais il aurait sans doute préféré cela.

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