Le procès Daygouy 11- Jean-Baptiste Daygouy, brigand ou propriétaire agressif ?

Cette fameuse nuit du 17 au 18 octobre, plusieurs témoins ont affirmé, y compris sa femme, qu'il était ressorti de nuit avec son fils aîné Antoine.

Ce sur quoi ne s'accordent pas les témoins, c'est sur ce qu'il est allé faire. Pour Anne Garrigues, son mari et son fils sont allés voir les boeufs. Elle ne dit pas pourquoi et son explication est affaiblie par le fait qu'elle explique aussitôt qu'il est habituel que son mari sorte de nuit pour ses affaires et qu'elle est habituée à ses courses nocturnes. Une course nocturne d'aller voir ses boeufs, vraiment ? Pour un homme qui avait fait dans la journée l'aller retour jusqu'à Laguiole et qui d'après un témoin aurait encore trouvé le temps de presser le raisin avec son fils avant de dîner et d'avoir cette querelle meurtrière avec ses voisins ? 

Plusieurs autres personnes ont indiqué que Jean-Baptiste était sorti avec une caisse en bois sous le bras. Le plus vraisemblable est que s'attendant à une perquisition et peut-être à se cacher, il est allé mettre en lieu sûr quelque chose qu'il ne voulait pas que les gendarmes trouvent, et peut-être de quoi financer quelque temps sa clandestinité.

Plusieurs personnes ont témoigné avec été menacés d'une arme par Jean-Baptiste et son aîné. D'autres ont dit qu'ils auraient tiré sur des voleurs de bois ou sur des chèvres paissant sur leurs terres.

La soeur de Pierre Costes, Françoise, raconte ainsi que "L'année dernière, au bout d'un terrain appelé Lous Crezes, vignoble sur le chemin du Bousquet à Laguiole, vers les neuf à dix heures du soir, dans l'obscurité de la nuit, le mari de (Françoise Costes) venant de Laguiole trouva ledit Daigouy tapi (manque une ligne)
crié par trois fois "Qui est là ?" Ledit Daigouy répondit à la troisième fois "ami". Que le mari de la déclarante, en lui rapportant ce trait, ajouta que Daigouy était là pour l'attendre ; qu'elle tient encore de son mari que Daigouy l'avait menacé dans une autre occasion, disant qu'il l'aurait, que c'était dans le temps des dernières moissons et que cette menace eut lieu en plein jour à un champ appelé Combaririo, en face d'Aleyrac."

Les frères Bezombes racontent à peu le même épisode. Je reprends les mots de Pierre Bezombes, un maçon de 31 ans du hameau de Labro, quitte à les compléter par ceux de François Bezombes, 26 ans, cultivateur au hameau de Carles. 

"Il y a trois ans environ que sur un viol* allant du Bousquet à Labro à peu près à moitié chemin, à deux heures de nuit le déclarant et son frère furent arrêtés par Antoine Daigouy fils aîné armé d'un fusil, avec menace de tirer sur le déclarant presqu'à bout touchant, que celui-ci lui fit des représentations sur sa témérité, le qualifia même de brigand**, qu'enfin le père parut au dessus d'un tertre, ne sachant le déclarant s'il était armé, il demanda à son fils qui c'était. Le fils répondit "les marchands", sur quoi Daigouy le père répondit de laisser passer." Brigand, le mot est lâché.

Son frère dit à peu près la même chose, ajoutant dans la bouche d'Antoine Daigouy "si tu ne t'arrêtes, je te brûle". Lui est affirmatif : Jean-Baptiste était aussi armé. Il lui fait demander à Antoine "quel tort t'ont-ils fait ? " Comme Antoine lui répond "aucun", Jean-Baptiste semble se sentir obligé de se justifier : "j'ai un port d'armes pour défendre mon bien." François Bezombes indique que son frère et lui se trouvaient bien sur les terres de Jean-Baptiste et qu'il pense que l'animosité d'Antoine venait de la destruction d'un mur appartenant à Orssal, mais qui soutenait le four appartenant à Jean-Baptiste.

Ni la loi de 1810 sur le port d'armes, ni les mesures du gouvernement de Vichy un siècle et demi plus tard n'ont suffit à désarmer les campagnes. La chasse, que la Révolution a détaché du privilège nobiliaire, a conduit de nombreux pères et fils de famille à avoir des fusils. Les querelles de voisinage où l'on menace de s'en servir existent encore aujourd'hui. Fort heureusement, il est rare qu'elles aillent aussi loin que celle qui coûta sa vie à Pierre Costes. Jean-Baptiste Daigouy était un homicide et un homme porté à utiliser la loi et le fusil pour défendre ses intérêts. Mais que lui et son fils aient été un brigand, j'en doute fort. Les accusations sans preuve portées contre lui sont nombreuses, mais aucune n'en fait un bandit de grand chemin.


*sans doute une forme locale de biol qui en occitan désigne un sentier.
** c'est moi qui souligne

Commentaires

Articles les plus consultés