Le procès Daygouy 18- L'ultime version de Jean-Baptiste Daygouy


Pour la seule fois où c’est possible, je laisse la parole à Jean-Baptiste Daygouy. Ce 3 avril 1810, alors qu’il s’est rendu l’avant-veille, ses propos sont consignés à la première personne. Voici la dernière version des faits qui existe, puisque le compte-rendu du procès ne détaille pas les débats.
  
Le dix-sept octobre mil huit cent sept j’avais été à Laguiole et je ne revins chez moi que vers les neuf heures et demi du soir. Pendant que ma femme préparait à souper je remarquais que deux filles que j’avais louées pour vendanger et concasser les châtaignes n’étaient pas dans la maison. Je demandais où elles étaient, on me répondit qu’elles filaient au four, mais un de mes enfants ayant observé qu’elles n’étaient pas au four et qu’elles étaient chez Pègues dit Guillou, que l’on s’amusait à danser, ma femme sortit pour les aller chercher. Pendant qu’elle était dehors, j’entendis quelque espèce de bruit du côté de la maison dudit Pègues. Je sortis pour voir ce que c’était. En entrant dans la basse cour dudit Pègues, je trouvais ma femme à côté du portal et je vis ledit Pègues qui était dans la basse cour, et qui s’avançait vers elle. Alors survint mon fils aîné qui s’était levé de son lit où il s’était couché, au bruit qu’il avait entendu et lança une pierre audit Pègues qui l’atteignit à la tête et dont il fut renversé.
Je me retirai de suite avec ma femme et après avoir fermé bien exactement le portail de ma basse cour je fus encore fermer une petite porte du côté du nord, dite porte du Batut. Je me mis alors à table pour souper mais presqu’aussitôt nous entendîmes qu’on lançait des pierres conte les portes et les fenêtres, et des pierres vinrent jusques sur la porte de la cuisine où j’étais. Et en même temps on poussait des grands cris, menaçant qu’on entrerait dans la maison avant qu’il fut minuit. Je m’armais alors d’un fusil double, mon fils aîné en prit un autre. Je voulus sortir de la maison pour aller dans une petite chambre où il n’y a qu’un balcon à traverser. En sortant je fus atteint d’une pierre qui me fit tomber le chapeau. Je le ramassai et rentrai dans la cuisine. Alors Joseph Costes dit Monudot me saisit pour m’empêcher de ressortir. Je lui dis que je n’en avais aucune envie mais qu’avec une troupe de forcenés tels que ceux qui étaient dehors, il aurait la douleur de me voir massacrer entre ses bras. En voyant qu’on redoublait d’efforts et que mon fils aîné criait, je me débarrassai dudit Costes et fus dans la petite chambre dite du prêtre. Je commençai à fermer les deux volets et à les assujettir en dedans avec deux vieilles planches de bois de lit dedans la chambre. Je mis une pierre entre les deux volets, une pierre qui avait été lancée dans la chambre, pour empêcher que les deux volets ne jouxtassent entièrement et qu’il y eut assez d’espace pour passer le canon du fusil. Après cela j’attendis encore quelque temps pendant lequel on ne discontinuait point de lancer des pierres et de faire des menaces des plus violentes. Je criais au secours de toutes mes forces mais ayant entendu redoubler le bruit, je me déterminais à lâcher un coup de fusil en l'air afin de les épouvanter. Il me semble sans être bien sûr qu'on tira dans le même temps un autre coup de fusil. On continua encore à lancer des pierres, à faire des menaces. Et après avoir resté quelques instants dans ladite chambre, je revins à la cuisine avant que le bruit eut encore cessé. Environ un quart d'heure ou une demi heure après, on cessa de lancer des pierres et nous entendîmes seulement faire des grands cris dans la cour dudit Pègues dit Guillou.
Tout étant revenu calme et n'entendant plus du bruit, je fus au portail de la basse cour, je l'ouvrai et je remarquai qu'on avait brisé quelque planche. Etant rentré à la maison, je dis à ma femme de dire à Jeanne Bringuier d'aller vérifier le portail pour rendre ensuite témoignage comme quoi il avait été brisé. Cette fille revint et dit qu'il y avait un homme mort étendu au devant du portal alors je pris le parti d'aller à Saint-Côme pour trouver M. Cledou afin qu'il me fit une dénonce de qui s'était passé. Mon fils vint avec moi et m'ayant observé en chemin que sans doute il n'y avait point d'homme mort au devant du portal et que c'était sans doute quelque homme de paille qu'on avait mis là pour nous faire peur. Nous revînmes à la maison et nous renvoyâmes ladite Bringuier pour vérifier de nouveau si c'était véritablement un homme mort. Elle y alla et nous rapporta qu'il n'était que trop vrai que c'était un homme mort. Nous repartîmes alors et fûmes à Saint-Côme.

On l'interroge ensuite sur les armes, lui demandant si c'est lui qui a remis un fusil à son fils. Il ne s'en souvient pas. Comment était chargée le fusil avec lequel il a tiré ? Il était chargé avec du menu plomb. Je n'ai jamais été chasseur et ne sais pas distinguer la grenaille de plomb et la grenaille de fer.

En résumé, Jean-Baptiste intervient toujours en défenseur de la moralité de ses employées, dont il continue à soutenir qu’elles ne l’ont pas prévenu. Il reconnait le jet de pierre par son fils aîné ; maintenant qu’Antoine est hors de cause, le nier ne servirait à rien d’autre qu’à décrédibiliser son témoignage.

Comme dans sa première version, il n’est pas l’auteur des jets de pierres et des menaces mais leur destinataire. 

Pour lui aussi, il y a eu un autre coup de feu, mais faute de pouvoir désigner un tireur, alors que personne d'autre n'en a désigné un dans le camp adverse, cet argument "sans en être bien sûr", est trop tardif pour convaincre quiconque.

Je m'étonne et je regrette qu'il n'ai pas été interrogé au sujet de sa fuite. Je crains bien de ne jamais savoir comment il vécut tout ce temps.

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