Le procès Daygouy 6- le constat de décès et le rapport d'autopsie

extrait de la carte de Cassini permettant de situer Coubisou et le village du Bousquet par rapport à Estaing, d'où viennent les acteurs de l'autopsie, et Espalion, d'où viennent les gendarmes (source site de l'EHESS)

Avec ce post, j'en viens maintenant au coeur de l'affaire : la mort violente de Pierre Costes. Je reprends dans l'ordre chronologique les principales pièces du dossier.

Première pièce aujourd'hui, le constat de décès et rapport d'autopsie, que je reproduis in extenso un peu plus bas, avec une orthographe légèrement modernisée et quelques ajouts de ponctuation pour faciliter la lecture.

C'est un officier de santé d'Estaing qui a procédé à l'autopsie, ou plutôt "l'ouverture" comme on dit dans les polars historiques de Jean-François Parot, sous le contrôle d'un médecin. Cette profession intermédiaire de santé avait été créée en 1793 pour pallier le manque de médecins, en particulier à la campagne. Une loi impériale de 1803 avait durci les conditions d'accès à ce métier pour lutter contre le charlatanisme. Les officiers de santé n'ont disparu qu'en 1892, longtemps après que Flaubert leur a donné pour prototype caricatural Charles Bovary, le benêt mari d'Emma.

"Cejourd'huy dix huitième octobre de l'année dix huit cent sept, vers les six heures du matin, nous Guillaume Decruejols, premier suppléant du juge de paix du canton d'Estaing, en l'absence dudit juge, ayant été informé que le jour d'hier vers les neuf heures du soir, un meurtre avait été commis dans le village du Bousquet, commune de Coubisou, à suite duquel un individu était resté mort sur la place, que le cadavre de cet individu était mort, étendu sur la voie publique. Nous sommes transportés audit village accompagné du sieur Antoine Antraygues, greffier en titre de la justice de paix dudit canton, du sieur Amans Domergue docteur médecin et du sieur Guillaume Bousquet, officier de santé, tous habitants dudit Estaing. Lesquels nous avons requis à cette fin, à l'effet de procéder à la reconnaissance, vérification et ouverture du susdit cadavre ; ledit Bousquet ayant été requis à défaut de chirurgien.
Arrivés vers les neuf heures du matin avec les sus-dénommés audit village du Bousquet, avons trouvé un cadavre ayant le ventre et la figure contre terre dans une petite rue qui conduit à la basse cour de la veuve Pègues, à environ trois mètre du portail de ladite basse-cour, y ayant beaucoup de sang de répandu sur la terre au dessous de la poitrine.
De suite nous avons interpellé plusieurs personnes présentes de reconnaitre ledit cadavre, afin de nous déclarer son nom. A l'instant Jean, Pierre et François Besombes, tous trois frères habitants du village de Labro, commune de Coubisou, Jean Rieu de Cauquil et Guillaume Combes du Colombier, lesquels après s'être approchés du cadavre nous ont déclaré individuellement qu'il était celui de Pierre Costes, originaire du susdit village de Labro.
Dans cet instant est arrivé le sieur Druilhe, lieutenant de gendarmerie à la résidence d'Espalion avec trois de ses gendarmes. Il a sur le champ fait fouiller dans la maison de Jean Baptiste Daigouy, au devant de laquelle ledit Costes a été tué, pour recueillir les traces de ce délit et s'assurer de sa personne comme prévenu de ce meurtre ; il a fait faire sans effet toutes les perquisitions possibles.
Cela terminé, nous avons ordonné de transporter le corps au cimetière de Coubisou pour y faire procéder à son ouverture et vérification, et nous sommes en conséquence, accompagnés des sus-dénommés et du sieur Druilhe, rendus sur le susdit cimetière où étant, nous avons requis lesdits sieur Domergue et Bousquet de faire l'ouverture et vérification du susdit cadavre qu'on venait d'y déposer, à l'effet de constater les causes et genre de mort dont il avait été atteint.
A quoi ces derniers procédant ils nous ont fait remarquer : 
1° que le visage dudit Costes était emphisématique*, notamment le côté gauche, et ayant mis cette partie à découvert, le sang a été trouvé entravaze (sic) dans ces différentes parties, notamment à la paupière supérieure de l'oeil gauche et dans l'orbite du même oeil. 
2° Ayant disséqué toutes les parties antérieures et environnantes du cou, il a été trouvé sous les téguments des caillots de sang très conséquents et les artères carotides et jugulaires du côté droit délabrées dans une grande partie de leur texture.
3° Ayant fait l'ouverture du thorax, il y a été trouvé un épanchement considérable de sang qui en remplissait toute la cavité, les poumons percés en plusieurs endroits par des gros plombs et la surface de toutes ces petites plaies livide, les oreillettes du coeur ainsi que la surface percées également de part et d'autre par plusieurs autres gros plombs qui ont été retirés, et paru être une très grande partie de métal fondu, les interstices de muscles de la poitrine étaient remplies sous les téguments de gros caillots de sang.
4° La périphérie du corps depuis le sommet de la tête jusques à la région épigastrique ne présentait qu'un emphisème* général et paraissait criblée de grains de plombs dont la plus grande partie ont paru aux yeux du public.
Tout quoi vu et vérifié lesdits Domergues et Bousquet nous ont déclaré que la cause de la mort dudit Costes était le produit d'un ou deux coups de fusil qui avaient ouvert les artères carotides et jugulaires du côté droit du cou et percé les deux lobes du poumon et le coeur en plusieurs endroits, et de l'épanchement prévu à suite dans la poitrine.
Cette opération terminée, avons déclaré à Monsieur le maire dudit Coubisou, présent sur les lieux, qu'il pouvait faire procéder à l'inhumation du cadavre et nous sommes ensuite retirés avec tous les sus-dénommés chez et dans la maison d'habitation du sieur Arribas prêtre, pour y dresser le présent procès verbal, que nous avons clôturé vers les trois heures du soir et signés avec les susdits..."

Les faits sont clairs, Pierre Costes est mort de deux coup de fusil. Mais à ce stade de l'enquête, il n'est pas encore clair de savoir si c'est Jean-Baptiste Daygouy, son fils aîné Antoine ou les deux qui ont tiré.

*D’après Joseph Frank, Traité de pathologie interne (1837) : « On donne le nom d'emphysème à la collection morbide soit d'air, soit de gaz dans le tissu cellulaire sous-cutané, formant tuméfaction élastique, et qui crépite sous les doigts »





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