Sur les traces de mes grands-parents : 2- le dossier professionnel PTT de Lucienne Montels

Service du télégraphe Montpellier-préfecture - novembre 1975
Lucienne Montels est à peu près au centre, les mains sur les épaules d'une collègue. Sur le télex de gauche, son amie et voisine qui lui a présenté mon grand-père, Lucienne Guignard.

Avec ce post, je voudrais montrer le parti généalogique que l'on peut tirer d'un dossier professionnel. 

Je suis entré en contact avec le cercle généalogique PTT à l'automne 2017, lors du congrès de généalogie du Havre. Avec une grand-mère, un arrière grand-père, et le grand-père adoptif de mon grand-père j'ai de quoi faire parmi mes ascendants dans l'administration des Postes. Les membres de l'association présents au Havre m'ont gentiment proposé de laisser ce que je savais de la carrière postale de ces trois personnes en m'offrant de me recontacter s'ils trouvaient quelque chose.

Deux mois plus tard j'ai été prévenu par un membre de l'association que le dossier de ma grand-mère était consultable. J'ai adhéré à l'association pour en obtenir la communication. Cela m'a semblé tout à fait normal et le tarif proposé, 15 euros, est très raisonnable pour une adhésion annuelle et une revue interne bien faite. J'ai été mis en relation avec une personne chez Orange chargée des archives du personnel, qui m'a communiqué trois jours après ma demande une numérisation de ce qu'il y avait dans le dossier de ma grand-mère Lucienne Montels (1925-2014).

J'ai tout d'abord été un peu déçu de voir qu'il n'y avait que deux documents récapitulatifs : une fiche cartonnée de 4 pages et un relevé de carrière tiré d'un fichier informatique. Et puis je me suis souvenu que j'avais sauvé de la fièvre de tri et gain de place de ma mère des documents conservés par ma grand-mère. Et c'est la bonne surprise : les deux se complètent parfaitement. 

Comme souvent la consultation de documents entraîne des questions imprévues. Cela a commencé dès les premières lignes avec la découverte de la date de première immatriculation comme assurée sociale de ma grand-mère : le 1er mars 1943. Je pensais que le numéro de sécurité sociale était apparu avec les ordonnances de 1945. J'ai appris que le numéro d'identification des Français imaginé par René Carmille avait été mis en place pendant l'Occupation et repris ensuite par Pierre Laroque, le père de la Sécu, car il était bien fait et déjà bien implanté dans la population.

J'ai ensuite appris que ma grand-mère n'était officiellement entrée aux PTT que le 1er juillet 1951 alors qu'elle y travaillait depuis 1943. Toutes ces années là elle était restée auxiliaire et son dossier est pauvre en information sur cette période. J'apprends seulement qu'elle a fait valider sept ans et trois jours de service auxiliaire et qu'elle a été assermentée le 20 février 1945. Grâce à mon contact dans l'association, je sais que les tribunaux d'instance ont souvent conservé des archives de ces prestations de serments. Jusqu'en mai 1972 le dossier est tenu à la main sur la fiche cartonnée. Le traitement est alors informatisé sous GEP-DO, et le tirage papier qui est conservée est celui de 1984, alors que ma grand-mère est déjà en pré-retraite.

Une fois surmontée la difficulté de lecture des grades qui sont désignés par des sigles, le reste s'enchaîne facilement. De l'été 1943 à décembre 1944, avec des interruptions lorsqu'aucune suppléance n'est disponible, Lucienne Espinas est une toute jeune auxiliaire. C'est sa tante Marguerite Desfours, elle-même employée au bureau de Saint-Jean de Fos qui l'a incitée à postuler, forte de son seul certificat d'études primaires. Elle fait alors des suppléances à Saint-Martin de Londres à l'hiver 43-44, à Saint-Jean-de-Fos puis à Saint-Bauzille-de-Putois. Elle a raconté dans un petit cahier de mémoires comment elle y vécu la Libération, tour à tour séquestrée par la milice et passeuse de messages pour le maquis de l'Aigoual où étaient ses deux grands frères, Marcel et Pierre Espinas.

En janvier 1945, elle est à Montpellier au bureau Anatole-France où elle reste cinq mois comme renfort avant de gagner Montpellier central. Elle y est longtemps demoiselle du téléphone avant de passer un concours et de devenir titulaire comme agent d'exploitation en 1951, puis agent d'exploitation principal en avril 1960. Elle est promue agent administratif principal au premier janvier 1970, puis contrôleur en 1976. L'essentiel de son activité se déroule au service du télégraphe. Longtemps au contact du public, elle racontait certains épisodes qui l'avaient marquée. Je me souviens notamment de celui-ci. Une de ses collègues tenait la caisse pour encaisser les télégrammes et s'était trompée dans un rendu de monnaie. La caisse était donc fausse et la collègue risquait d'en être de sa poche et de se faire réprimander. Elle se souvenait cependant que cela s'était produit avec une cliente très élégante, même si elle était un peu trop maquillée et lourdement parfumée. Avec le talon d'encaissement, ma grand-mère retrouve le nom et l'adresse de la cliente et entraine sa collègue confuse aller réclamer la somme manquante à domicile. Une lumière rouge devant cette maison de la rue de Verdun aurait dû attirer leur attention, mais ce ne fut pas le cas. Ces jeunes femmes de 1950 devaient encore être un peu naïves. Ma grand-mère parlant pour deux réclame à voir la demoiselle. Une dame d'un certain âge à l'air très comme il faut leur répondit qu'on ne pouvait pas la déranger puisqu'elle était au travail. Ma grand-mère insista, n'ayant pas compris encore la nature de ce travail. Mais sa collègue oui, qui commençait donc à pâlir, et se voyait déjà empêchée de ressortir, voire livrée à la traite des blanches. La somme finit par être remboursée, sans doute pour faire partir au plus vite ces demoiselles du télégraphe, mais la collègue de ma grand-mère hésita un peu entre reconnaissance et frayeur rétrospective.

Le dernier avis de notation de ma grand-mère date d'avril 1982 : "active, responsable, dévouée, Mme Montels assure dans d'excellentes conditions l'encadrement du service des télégrammes téléphonés." La même année elle est formée au Minitel, dont elle ne s'est pourtant jamais servie par la suite. 

En 1983, elle reçoit sa toute dernière promotion comme chef de section. C'est une carrière honorablement ordinaire dans le cadre B de ce qui était encore une administration d'Etat. Elle s'est également investie au début de sa carrière professionnelle dans les colonies de vacances des PTT : elle fut tous les étés avant son mariage monitrice de la colonie de Collioure. Plus tard elle fut élue des personnels sous l'étiquette de la CFTC. Elle s'opposa à la déconfessionalisation du syndicat lors de la préparation du congrès du palais des sports de 1964 mais resta néanmoins élue sous l'étiquette CFDT après cette date. J'aimerais un jour aller chercher s'il y a des archives disponibles pour ces deux aspects de son activité.

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