Mes ancêtres dans la Grande guerre 3 : René Jamet, l'agriculteur breton dans la cavalerie

Portrait au pastel de René Jamet d'après photo
(propriété de ma grand-tante Renée Lesueur, sa dernière fille vivante)

René Jamet est né le 29 septembre 1891 à Roz-sur-Couesnon (Ille-et-Vilaine). Son père Alexandre Jamet descend d'une longue lignée d'agriculteurs que l'on peut remonter jusqu'à la fin du XVIe siècle à Sains. Sa mère Louise Jan descend d'une longue lignées de petits notables, sieurs de divers lieux, et remontant jusqu'au XVe siècle dans la région de Dinan.

Mon oncle Luc m'a prêté l'album du 18e régiment de Dragons, première unité de René Jamet. On le voit sur cette photo de groupe dont j'ai mis un agrandissement plus bas, avec ses camarades du 2e escadron, 1er peloton. Arrivé au corps en octobre 1912, il est en garnison à Lure, en Haute-Saône, à une vingtaine de kilomètres de ce qui est alors la frontière avec l'Alsace annexée par l'Empire d'Allemagne.

René est dragon de 1ère classe en mars 1913, puis cavalier de seconde classe en avril 1915 et enfin cavalier de 1ère classe en juin 1916. L'époque des grandes charges de cavalerie est bien sûr révolue et les cavaliers sont plutôt utilisés pour des missions de reconnaissance, d'embuscade et de protection. Dans la guerre de tranchée, les cavaliers se battent à pied, armés de carabines.
René Jamet est au centre de cet
agrandissement, légèrement décalé vers le bas.

D'après l'historique du 18e régiment de Dragons pendant la guerre 1914-1918, l'action du 18e commence dès la mobilisation, le 31 juillet 1914, en protégeant le regroupement des troupes autour de Belfort jusqu'au 13 août. En 1914, le régiment combat d'abord en Alsace à Altkirch et Colmar, puis à Saint-Dié-les-Vosges, avant de participer à la bataille de la Marne autour de Château-Thierry et Jonchery, puis à la "course à la mer" en traversant l'Artois. D'octobre à décembre 1914, le 18e est dans les tranchées autour de Monchy.

Blessé le 16 novembre 1914 dans le Pas-de-Calais, René Jamet est cité à l'ordre de la 2e armée, dans les termes suivants : « au combat de Foncquevillers, blessé au genou par une balle, refusa de quitter son peloton déployé à pied en tirailleurs et resta sur la ligne de feu avant de rejoindre l'ambulance, se porta spontanément au secours d'un camarades plus gravement blessé». C'est cette citation qui lui a valu la croix de guerre avec palme de bronze. J'ignore vers quel hôpital René est évacué et combien de temps il y reste. 


De janvier à avril 1915, le 18e est dans le secteur de Prosnes, dans la Marne, puis en mai-juin dans la Somme, dans l'attente d'une possible victoire qui le rendrait à la guerre de mouvement, avant de revenir en juillet août dans le secteur de Prosnes et d'Auberive. En octobre, changement de secteur, toujours dans les tranchées, à la Main de Massiges, toujours dans la Marne. Cet endroit est baptisé ainsi à cause de sa topographie : vu du ciel, on dirait une main gauche. Le site est mis en valeur depuis une dizaine d'années et se visite.

De novembre 1915 à juillet 1916, le 18e se bat dans les tranchées autour de l'étang de Parroy en Lorraine, avec une interruption en février et mars où il est stationné près de Vaucouleurs "en vue d'opérations ultérieures".

En août 1916, le 18e est partagé en deux, chaque moitié étant rattachée à une division d'infanterie. Si René est bien toujours dans le deuxième escadron, il doit rejoindre la 55e division d'infanterie. Comme je n'en suis pas certain, je préfère ne pas détailler les opérations de cette période. En  mars 1919, le 18e régiment de dragons est reconstitué et participe à l'occupation de la Rhénanie. 

René Jamet, en bas à gauche, avec trois camarades à identifier
René Jamet a eu la chance relative de sortir physiquement sans séquelle de la Grande guerre. Physiquement seulement car sur le plan moral l'interminable période de sa vie où se succèdent le service militaire et, sans interruption, la première guerre mondiale, est aussi celle où il perd sa mère et où son père, mauvais gestionnaire et victime de l'inflation, vend l'exploitation familiale de Roz-sur-Couesnon. Il l'a raconté lui-même dans une lettre dont ma grand-mère conservait précieusement le brouillon. Cette lettre a sans doute été écrite pendant la campagne électorale de mai 1924. René s'adresse à Edouard Herriot, président du conseil et président du parti républicain, radical, et radical socialiste, dont il est l'un des 70.000 membres.
"Monsieur le président,

J’ai l’honneur, comme membre participant du parti radical et radical socialiste, de porter à votre haute connaissance ma requête ci-dessous.
Avant mon départ au régiment le 14 octobre 1912, j’exerçais la profession de cultivateur chez mes parents. La guerre étant survenue au moment où j’aurais été libéré de mes obligations militaires, m’a contraint de rester sous les drapeaux jusqu’au 19 août 1919.
Au mois de mai 1913, la mort de ma mère avait déjà changé ma situation avenir dans la culture, mais du fait de cette campagne contre la furie Allemande, ma situation a été toute bouleversée.
N’ayant plus personne de ma famille au pays pour me conserver l’indispensable et à ma démobilisation, il ne me restait plus de ressources que celle d’aller travailler chez les autres.
Je rentrais au pays après quelques 7 ans de service militaire et comme beaucoup dans mon cas, j’ai essayé de tirer profit de la situation qui m’était faite.
Je sollicitais alors l’emploi de surveillant de prison, poste que j’occupe actuellement à la maison centrale de Caen, depuis le 29 octobre 1919. J’espérais qu’après un certain nombre d’années dans l’administration être à même, avec les remboursements retenus pour la retraite, d’acquérir l’indispensable pour retourner dans la culture qui est ma véritable profession.
Je vois mon projet irréalisable puisque la loi du 14 avril 1924 précise dans son article 17 paragraphe 2 qu’en cas de départ anticipé le montant des retenues ne sera versé que 5 ans après.
Aussi comptant sur votre haute situation et connaissance technique dans les questions de culture, je remets mon sort entre vos mains, espérant que vous ferez l’indispensable pour faire abroger cet article à seule fin que le jour où je quitterai l’administration je puisse toucher quelques fonds pour me venir en aide.
Je dirais même que si l’on veut encourager le retour à la terre, le mieux que l’on puisse faire c’est d’en faciliter les moyens même les plus minimes
Dans l’espoir que vous daignerez prendre ma requête en considération, j’ai l’honneur d’être, M. le président, avec le respect le plus profond votre humble et dévoué serviteur."
Je n'ai pas retrouvé le texte initial de cette loi, toujours en vigueur mais dans une version de 1935 où ne figure plus ce délai de 5 ans. J'ignore si René a reçu une réponse à sa lettre. En tout cas, c'est toujours en tant qu'employé de l'administration pénitentiaire qu'il trouve la mort de façon tragique en 1933. Le journal Le bonhomme normand en rend compte le 24 novembre 1933 sur le mode du fait divers :


René Jamet repose auprès de son épouse dans le petit cimetière de Saint-Germain-la-Blanche-Herbe. Celle-ci lui a survécu près de quarante ans.

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