Feuilleton Veaugeois 26 : on a retrouvé Julia Veaugeois

Le feuilleton Veaugeois, dont c'est ici la conclusion définitive, a été un travail de longue haleine, dont les précédents épisodes sont à retrouver ici. J'y ai raconté sur plusieurs générations ce que je sais de mon arrière-grand-mère Georgette, née sans père, de sa mère Julia, de son grand-père Julien et de toute leur famille. 

Cet article supplémentaire n'aurait pas pu exister sans une lectrice de ce blog, Christine Demercastel-Denoual, qui avait déjà retrouvé le décès de Julien Veaugeois et que je tiens à remercier très chaleureusement.

Je perdais donc la trace de Julia Veaugeois après le recensement de 1906 à Brachy, à l'âge de 31 ans. En 1911, sa fille Georgette était seule à Brachy avec la demi-soeur de Julia, Pauline, et avec l'époux de celle-ci, Camille Dauverné. La famille se déplaçait ensuite dans le Calvados, sans que je sache où vivait Julia.

Il a fallu les progrès de l'indexation des recensements sur Geneanet pour qu'un message me fasse faire, soudain, un pas supplémentaire. Deux lignes de recensement du 6e canton de Rouen, indexées par Nathalie Nuyten (merci généalogiste inconnue du cadeau que vous me faites) et transmises par Christine en mars 2022, m'apprennent qu'en 1911, Julia Veaugeois née en 1875 à Laval, journalière, vit dans la 9e maison de la rue Saint-Sever à Rouen, avec son "ami" Jules Delacour. Je me réjouis un instant pour elle d'imaginer qu'avoir délaissé Georgette lui aura au moins permis de trouver... un Jules.

Rue Saint-Sever (carte postale non circulée - collection de l'auteur)

Jules Delacour, né le 30 octobre 1870 (et non pas 1868 comme le dit le recensement), est le fils d'un épicier de Darnétal, Louis Dominique Delacour (1843-1899), et de sa femme Marie Clarisse Noël, toujours vivante en 1890 et domiciliée à Sotteville-lès-Rouen. Difficile de savoir où et quand Jules et Julia se sont rencontrés. Vivre en concubinage n'est pas chose courante dans la France des années 1910 et ce n'est pas le genre de relations qui laisse des archives publiques.

La fiche militaire donne un signalement de Jules Delacour. Ce n'est pas un Adonis. il mesure un mètre soixante et a été réformé à cause de ses mauvaises dents. Comme en dispose le bulletin officiel du ministère de la guerre, sur le sujet de l'altération des dents : "L'exemption et la réforme ne peuvent être prononcées que si la mastication est difficile et incomplète par suite de la perte ou de l'altération d'un grand nombre de dents, et si ce mauvais état de la denture s'accompagne de ramollissement, d'ulcérations et d'état fongueux des gencives non susceptibles de guérison par un traitement approprié. La perte d'un grand nombre de dents, lorsque les gencives sont saines, mais que la mastication est insuffisamment assurée, peut motiver le classement dans le service auxiliaire."

Signature de Jules Delacour sur l'acte de décès de son père en 1899 à Sotteville-lès-Rouen

L'instruction de Jules Delacour est ordinaire : il sait lire, écrire et compter. Mais c'est un travailleur qualifié. En 1890, il est ajusteur à Sotteville-lès-Rouen. De décembre 1891 à août 1904, il est monteur à la Compagnie de l'Ouest. Lorsqu'il est recensé comme "ami" de Julia en 1911, il est journalier, comme elle. En 1914, il est à Paris, 3 rue Brantome. Mobilisé seulement en avril 1915 du fait de sa mauvaise dentition, il est très vite envoyé à Cherbourg comme travailleur civil aux chantiers et ateliers du Temple. Après le 1er décembre 1918, date de sa libération définitive du service militaire, je perds sa trace. 

Le recensement de 1921 me montre que Julia n'est plus rue Saint-Sever. Une rue que j'ai déjà parcourue puisqu'elle se trouve juste à côté de la Direction des services départementaux de l'Education nationale de Seine-maritime, où mon métier de Principal puis de Proviseur m'a déjà conduit de nombreuses fois depuis que je vis en Normandie. 

Rue Saint-Sever (carte postale non circulée - collection de l'auteur)

Inutile de me précipiter à Rouen à ma prochaine visite pour retrouver les lieux. Les bombardements de la Seconde guerre mondiale ont anéanti les premiers numéros de la rue, les plus proches de la Seine. A la place de l'immeuble où le couple louait un appartement, se trouve le siège du département de la Seine-maritime et une partie de archives départementales, dont les fonds concernant Brachy. Ce sont les cartes postales anciennes qui me révèlent un quartier animé, dense, commerçant, sur la rive de la Seine opposée au centre ancien. Saint-Sever avait son église, sa gare, tout ce qui permet une vie de quartier.

A partir de ces premiers éléments, j'écarte vite l'hypothèse que Julia aurait suivi Jules à Paris, j'ai déjà dépouillé toutes les tables décennales et annuelles des 20 arrondissements sans succès. Partant toujours de l'hypothèse que Julia est vivante en 1920 lors du mariage de sa fille (puisque rien n'est dit à son sujet), je me rends compte que les archives municipales de Rouen ont depuis mes dernières recherches mis un grand pan d'état-civil en ligne. J'entame donc ma recherche suivante par la table décennale de Rouen pour 1913-1922 et là, alors que mon oeil distrait parcourt sans conviction la lettre V : 


1918 ! Si jeune ! Avant le mariage de sa fille alors que je suis parti de l'idée contraire depuis un quart de siècle. Je l'ai enfin trouvée, mais je suis bien plus triste que joyeux. Comme si cette mort était toute récente. Cette arrière arrière grand-mère décédée plus jeune que moi il y a plus d'un siècle, j'aurais aimé qu'elle ait une vie plus longue, comme si c'était le gage d'une vie plus heureuse. 

Archives municipales de Rouen - registre décès 1918, acte 204

Je me reporte à l'acte de décès. Les témoins sont un voisin et une veuve âgée domiciliée à Oissel. Je cherche machinalement ce qu'il y a aujourd'hui 48 Eau de Robec. Je trouve une maison à pans de bois joliment restaurée au 46, mais l'immeuble récent du 50 qui a dû absorber le 48 ne m'apprendra rien du cadre. Là encore, ce sont les cartes postales anciennes qui me donnent une idée du quartier à l'époque où Julia y a vécu : animé et pittoresque. Les vieilles maisons me rappellent le centre de Laval où Julia a grandi. 

Rouen, rue Eau de Robec (carte postale circulée en juin, reste du cachet illisible  - collection de l'auteur)

De quoi est-elle décédée seule, loin de sa fille ? C'est quelques semaines trop tôt pour penser à la grippe espagnole dont la première mention à Rouen remonte à avril 1918 dans un cantonnement britannique. Comme elle est décédée à domicile, rien à découvrir du côté des archives hospitalières. Cette question là aussi risque de rester sans réponse. Le décès figure bien dans l'état civil de Rouen sur l'édition du 1er février du Journal de Rouen, en revanche aucun avis de décès ce jour là ou dans les éditions des trois jours suivants. Les archives de l'enregistrement ne m'ont rien appris de plus, Julia étant décédée "sans actif apparent". L'argent de son grand-père avait dû être dépensé depuis longtemps.

Saurai-je un jour qui était le père de Georgette ? Si la loi française le permettait et si les données étaient protégées, peut-être que je songerais à la généalogie par ADN. Pour l'instant, je m'y refuse absolument. Ma principale quête généalogique est donc terminée.

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