Montpellier et autour 5 : La réserve et le parc Rimbaud

Plan de Montpellier par l'architecte municipal Kruger en 1896 - détail (Gallica BNF)

"Il faudra que je les mène aux environs de la ville, au bord du Lez, à ce coin de verdure et d'eau tranquille. Ce qu'il y a de tableau champêtre bien composé, de Poussin surtout, dans ces paysages de petits fleuves au voisinage de la Méditerranée." Ainsi s'exprime Valery Larbaud (1881-1957), dans les premières pages de sa nouvelle Amants, heureux amants... parue en 1923. Et c'est "dans le jardin du restaurant au bord du Lez" que le narrateur dépose un baiser "rapide et maladroit" sur les lèvres de Cerri, alors qu'il mentionne un peu plus loin les tables sur la terrasse. C'est bien de Rimbaud que parle l'écrivain dandy, peut-être celui de 1907, date de sa première visite à Montpellier où il aimait ensuite venir l'hiver.

En tricycle au Parc Rimbaud - août 1979 (cliché Bernard Sebert)

Le parc Rimbaud c'est d'abord pour moi un souvenir d'enfance. Le quartier où j'ai grandi était assez pauvre en espaces verts. Je l'ignorais, mais la partie du parc où mon arrière-grand-père me conduisait faire du tricycle était quelques années plus tôt un camping municipal. 

Restaurant, parc du génie, jardin public, camping et plan d'eau, c'est un endroit très riche dans l'histoire locale récente.

La Réserve Rimbaud

carte postale non circulée (collection de l'auteur)

Rimbaud est l'une des rares institutions montpelliéraines à avoir survécu depuis bientôt cent cinquante ans en se réinventant au fil du temps et des modes. La façade blanche sur la rue, très simple, ne laisse pas deviner grand chose. Elle est du reste rarement photographiée, car ce qui fait tout le charme de l'endroit, c'est la vue sur le Lez et sa terrasse avec vue sur le Lez.

Né à Marsillargues en 1840 d'un père serrurier, Pierre "Titus" Rimbaud déclare la profession de cuisinier lorsqu'il se marie le 19 octobre 1864 avec Julie "Hortense" Céline Baron, fille d'un ancien employé de l'octroi. 

C'est en 1875 que Titus Rimbaud a créé l'établissement qui, à travers les modes et les changements de propriétaires, porte toujours son nom. A cet emplacement se trouvait auparavant la Guinguette du père Louis que Georges Frêche a voulu recréer un peu plus bas sur le Lez au début des années 1990.

Etablissement Bergogne - à droite la réserve Rimbaud (Archives municipales de Montpellier 15Fi55)

C'est à l'époque un vrai coin de campagne, à l'écart de la ville. Il y avait là d'autres guinguettes, comme l'établissement Bergogne ou Tabarka.

Tabarka - carte postale non circulée (collection de l'auteur)

Rimbaud remplace la guinguette d'origine par les bâtiments en pierre qui existent toujours et les dote de cette terrasse qui surplombe le coude du Lez en lui donnant cette vue qui fait tout son charme. Le public visé est bourgeois et respectable. La possibilité de promenades en canot charme la clientèle et complète le revenu des employés. 

Salle à manger de Rimbaud à la Belle époque - carte postale non circulée (collection de l'auteur)

A partir de 1882, le nom de Titus Rimbaud est associé à celui des frères Villeneuve. L'association entre Titus Rimbaud et Joseph Villeneuve est officialisée le 31 décembre 1885. Titus Rimbaud décède le 28 février 1890 à Montpellier, 3 passage Bruyas. Il n'avait que 49 ans. Joseph Villeneuve est témoin de l'acte de décès. 

Le professeur Louis Rimbaud, fils de Titus, aurait bien aimé que son nom ne soit plus associé à cet endroit, mais l'usage a été plus fort que ce désir.

Réserve Rimbaud (Archives municipales de Montpellier 15Fi55)

La vie au bord du Lez n'allait pas sans drame. Ainsi le 29 avril 1894, au matin, les époux Fulcrand quittent leur domicile du 11 rue de la Providence pour aller passer la journée à la campagne du père de M. Fulcrand, au quartier dit de Courte Oreille, au bord du Lez, à cent mètres du pont du génie. Ils sont accompagnés de leurs deux enfants, l’aîné âgé de 14, le cadet Louis Pierre 8 ans et demi, et d’un ami de leur ainé, Henri Cazalet, âgé de 15 ans.

« A une heure et demie de l’après-midi, le dîner achevé, et pendant que l’on prenait le café, les enfants se rendirent sur les bords du Lez et (…) Louis Pierre se hissa sur un arbre dont les branches s’étendaient sur la rivière. Soudain, une de ces branches sur laquelle il se trouvait, se cassa et l’enfant tomba dans l’eau. »

Les appels au secours de l’enfant ont alerté M. Villeneuve, alors patron de la réserve Rimbaud, qui « s’empressa de détacher une barque pour se porter à son aide ; mais hélas ! Le pauvre enfant avait déjà disparu sous l’eau. M. Villeneuve se munit alors d’une gaffe et se mit en compagnie d’un de ses employés, M. Emile Dellas, à sonder la rivière. Ce n’est qu’après vingt minutes de recherches qu’il parvint à découvrir l’enfant. On s’empressa de le transporter au poste du génie où il fut l’objet, de la part du sergent Quillacq, du caporal Frondas et du sapeur Escande, des soins les plus empressés qui, malheureusement, furent inutiles, l’enfant ayant déjà cessé de vivre ».

Carte postale circulée en 1919 (collection de l'auteur)

Le Lez apportait parfois des surprises moins dramatiques. Dans un entrefilet L'Eclair raconte que le 6 juillet 1895 « Un mouton a été « pêché » dans le Lez par M. Villeneuve, restaurateur. On peut le lui réclamer à son restaurant, au Lez. »

Parfois l'amusement n'est pas partagé. Ce fut sans doute le cas des trois étudiants qui profitèrent d'une douce fin d'après-midi, le 6 février 1896 vers 17 heures, pour faire une promenade en canot sur le Lez. Malgré le ciel d'azur, ils subirent une subite averse en arrivant à la hauteur de la passerelle du génie. L'ondée était due à l'action conjointe de Thomas Carrière, portefaix de 22 ans et d'Ernest Castanié, en train de vider leur vessie. Les étudiants descendirent illico de leur canot et l'affaire faillit tourner au vilain, car un des étudiants sortit un revolver. Suite à la rapide intervention de plusieurs personnes, les combattants furent séparés et on en resta là. Les identités furent relevées mais aucune arrestation n'eut lieu. 

Le 17 septembre 1896, une partie de la terrasse s'effondre, sur une vingtaine de mètre de long. Fort heureusement, l’accident se produit à 7 heures du matin et ne provoque aucun dommage autre que matériel. Le préjudice est cependant considérable (une dizaine de milliers de francs de l’époque), et l’on peut craindre que la clientèle perde confiance dans la solidité de la fameuse terrasse. La terrasse a entrainé dans sa chute. une vingtaine de table qui sont allées écraser les canots amarrés en dessous. « Un garçon de l’établissement est allé en toute hâte prévenir M. Villeneuve, qui faisait ses provisions à la halle Castellane », précise L’Eclair, qui attribue la fragilisation de la terrasse, construite douze ans plus tôt, à la sécheresse. 

Une vue d'ensemble depuis le sud (carte circulée en septembre 1922 - collection de l'auteur)

La réserve Rimbaud accueille à cette époque des banquets. Avec la liberté de réunion, ces événements festifs n'ont plus la signification politique qu'ils avaient quelques décennies plus tôt, avant l'avènement de la IIIe République. C'est une forme de sociabilité qui soude des groupes masculins, autour d'une réussite professionnelle, académique ou professionnelle. Parmi ceux dont la vie montpelliéraine a gardé la trace, on peut citer celui du 28 avril 1894 offert à M. Vincent, président du conseil général de l'Hérault, par les conseillers de sa majorité. Ou celui du 7 juin 1894, donné par la société héraultaise d'agriculture en l'honneur de Henri Marès, pour fêter ses cinquante ans d'activité au sein de la société. C'était un banquet de cinquante cinq convives. 

Les associations et amicales aux adhérents aisés banquetaient aussi volontiers à Rimbaud, comme l'amicale des pharmaciens en mai 1895, les notaires de l'arrondissement de Montpellier pour leur réunion semestrielle en mai 1897 ou le groupe régional des Arts et Métiers le 11 novembre 1900, de midi à cinq heures du soir, ou encore la société nautique et de sauvetage le 29 septembre 1909, pour soixante-dix convives.

Il arrive même qu'on enterre à Rimbaud sa vie de garçon, comme l'avocat biterrois Paul Ambert un samedi de mai 1901. On y fête aussi des soutenances de thèse. Le 25 mars 1896, Christophe Villard fête à Rimbaud son doctorat de médecine, le 3 juillet 1899, l'avocat à la cour d'appel Louis Fraisse fête son doctorat de droit. Les fondants de volaille à la truffe sont déjà présents en 1894. Voici le menu complet du banquet offert en juillet 1897 par Georges de Sorbier de Pougnadoresse à ses amis avocats, magistrats et industriels pour fêter la soutenance de sa thèse de droit : 

Potage bisque 
Hors-d'œuvre, melon 
Fondants aux truffes 
Filets de sole Joinville 
Filet de Lyon Richelieu 
Aspic de foie gras 
Dindonneaux rôtis cresson 
Sorbets au marasquin 
Ortolans à la broche 
Buisson d'écrevisses 
Salade russe 
Bombe glacée
Dessert assorti 
Corbeilles de fruits 
Vins : 
Saint-Georges, Champagne frappé, 
Sauterne, Bourgogne, Moët et Chandon 
Café, Martell et liqueurs

Louis Gausserand est en blanc avec sa toque sur la terrasse. Son fils Jean Gausserand est dans la barque. Sur la rive, le cuisinier Marcel Azéma, grand-père de Marie-Josée Guigou (carte postale de 1920, collection de l'auteur)

L'établissement poursuit sa montée en gamme en 1902 lorsqu'il est repris par les frères Louis (1874-1945) et Camille Gausserand (1879-1966), dont Marie-Josée Guigou nous dit qu'ils étaient les traiteurs les plus fameux de Montpellier. C'est surtout de Louis, le "Vatel montpelliérain" ou "le magnifique" pour la presse mondaine, qu'il est question, en tout cas Camille n'est jamais mentionné après la Grande guerre. C'est Louis qui reçoit en 1924 le mérite agricole.

Carte circulée en 1916 (collection de l'auteur)

Rimbaud est l'adresse de bon ton à la Belle Epoque et dans l'entre-deux-guerres pour un mariage bourgeois. On en trouve de nombreux exemples dans l'hebdomadaire mondain La vie montpelliéraine, comme ce compte rendu du mariage de Rémy Rascol, pharmacien à Roujan et fils de médecin, avec Jeanne Pressegol, nièce de pharmacien, le 10 août 1907 : "A midi, les invités se sont rendus au restaurant Rimbaud, où le Vatel Villeneuve avait préparé le menu suivant : 

Hors-d'œuvre variés ; 
Fondants de volailles aux truffes ; 
Saumon beurre de Montpellier ; 
Filet de Lyon Richelieu ; 
Pigeons aux petits pois ; 
Dindonneaux rôtis au cresson ; 
Haricots verts à l'anglaise ; 
Bombe napolitaine; 
Dessert varié; 
Corbeilles de fruits; 

Vins: Bon vin ordinaire, St-Georges,.Graves, Bordeaux
Champagne; Café ; Fine Champagne. 

Au champagne, M. Hubert, en termes très émus, a levé sa coupe à la santé des mariés et de leur famille. Après le dîner, une sauterie improvisée, coupée d'un concert, a été organisée. Le piano était tenu avec science par Mlle Marthe Braujou. Les chansonnettes et monologues se sont succédé jusqu'à 6 heures du soir, heure à laquelle les jeunes époux ont quitté le restaurant Rimbaud pour prendre l'express, qui les a conduits vers les rives enchanteresses de la Côte d'azur."

Pour compenser l'éloignement du centre-ville, l'établissement fait en 1914 la réclame d'un "Service d'automobile, départ près le Café de France".

C'est dans cet avant-guerre auquel on a donné généreusement le nom de Belle époque que le restaurant reçoit à plusieurs reprises la visite du premier chef vedette de renommée internationale, Auguste Escoffier. 

Publicité parue dans la vie montpelliéraine le 29 décembre 1907 (Gallica BNF)

Passer par Rimbaud est une référence, comme le montre Camille Roudil lorsqu'il devient patron d'une grande brasserie de la rue Maguelonne et s'y présente comme ex-maître d'hôtel chez Rimbaud.

Berges du Lez à hauteur de l'établissement Bergogne, à droite du cliché
(Archives municipales de Montpellier 15Fi55)

En 1914, on aurait pu admirer sur le plan d'eau la machine inventée par l'encadreur et miroitier Jean Prat, dont la boutique était rue Saint-Paul, sur un ancêtre du pédalo de son invention.

Car le plan d'eau de Rimbaud n'est pas qu'un lieu de délassement digestif sur des barques conduites par des employés du restaurant en quête de complément de revenu, c'est une arène sportive. On y nage, on y joue au water polo, et surtout on y joute. Restée vivace à Sète, cette tradition a disparu à Montpellier où elle a pourtant été longtemps été un grand spectacle populaire. C'est en particulier les cas des régates annuelles des étudiants, dont l'association a été fondée en 1887 et qui comprenaient une grande variété d'épreuves.

En mai 1895, les régates sont caritatives. L'entrée à plein tarif de 75 centimes donne droit à une consommation chez Rimbaud où la terrasse est prise d'assaut par les élégantes pour admirer les jeunes sportsmen, selon un anglicisme tombé depuis en désuétude. Pour 50 centimes, pas de consommation et une place côté parc du Génie. Dans les deux cas, 25 centimes sont destinés à aider les soldats français du corps expéditionnaire à Madagascar. Malgré une averse malencontreuse et une épreuve contestée redisputée le samedi suivant, la journée est présentée comme un succès par L'Eclair. 

La vie montpéllieraine raconte de façon très vivants l'édition de mai 1898 ainsi : « Grâce au soleil qui brillait d’un vif éclat, le public avait répond en nombre à l’invitation de la jeunesse universitaire. Le spectacle était des plus coquets de la terrasse de Rimbaud, où étaient de nombreuses dames en claires et élégantes toilettes, et du parc du Génie, sous les frais ombrages, duquel se tenaient également de nombreuses et jolies montpelliéraines. La musique du 122e, que M. Coquelin dirigeait avec sa maestria ordinaire, a exécuté brillamment les meilleurs morceaux à son répertoire ». 5 courses de chaloupes, 2 courses de nacelles, une course d’honneur et une consolation ont bien occupé l’après-midi jusqu’à 17 heures. C'est une occasion de se montrer, les noms des personnes notables sont parfois citées dans la presse et les toilettes féminines sont aussi commentées que les prouesses des sportifs. 

Joutes sur le Lez - carte postale non circulée (collection de l'auteur)

Le 9 mai 1909, les régates sont décrites avec beaucoup de détail. Cinquante concurrent se sont inscrits aux courses de canot et nacelles. L'un des prix est offert par M. Villeneuve, pour qui cet événement est à la fois une journée très active et une excellente réclame. « Dès deux heures, d’élégants équipages, mail-coaches, victorias, automobiles, déversaient des flots de spectateurs aux abords du restaurant Rimbaud ». Sans compter les plus modestes, qui ont dépensé 30 centimes pour l'omnibus spécial qui assure l'aller-retour depuis la place de la Comédie. Le général Marion, du Génie, a non seulement mis à disposition le parc comme à l’accoutumée, mais il est venu assister en personne au départ des courses éliminatoires, aux côté de Paul Pezet, maire de Montpellier. Courses et musique du Génie assurent l’animation de l’après midi jusqu’à ce qu’une averse, heureusement brève, interrompe les festivités. A 17 heures, ce sont des extraits de théâtre et une pièce de Labiche en un acte, un jeune homme pressé, qui clôturent le programme.

carte postale non circulée (collection de l'auteur)

En août 1913, les dernières joutes du Lez avant la grande guerre ont encore un grand éclat. Voici comment la vie montpelliéraine les annonce dans son numéro du dimanche 17 août : "Peu de jours nous séparent des nouvelles fêtes dont le succès s'affirme de plus en plus, grâce à la Société Nautique Montpelliéraine, qui ne néglige rien, afin d'être agréable à la population clapassière, qui ne peut se payer le luxe d'une villégiature onéreuse ou que ses relations commerciales et économiques obligent à rester dans nos murs. En effet, à Rimbaud, sur les terrasses de l'établissement dirigé par MM. Gausserand frères, dans le superbe parc ombragé du génie et sur les rives du Lez, elle aura le plaisir de se délasser tout un après-midi et d'applaudir les prouesses des champions réputés de tout le Languedoc nautique qui s'efforceront de lui être agréables en exhibant leur talent athlétique et leur esthétique. Joutes cettoises, joutes lyonnaises, natation, attractions comiques, sont inscrits au programme."

Nougaret, Lalyman et Braye, les valeureux nageurs du 1er janvier 1914
(photo L. Cairol pour L'Eclair - archives départementales de l'Hérault)

Les compétitions ne se limitent pas à l'été mais la société nautique et de sauvetage n’a pas un grand succès en organisant une coupe de natation le 1er janvier 1914. 16 concurrents seulement se sont inscrits, les Sétois sont arrivés trop tard et seulement trois concurrents se sont livrés à une traversée du Lez en moins d’une minute.

La tradition des régates est reprise dans l'entre-deux-guerres, plutôt en juin ou juillet, comme en témoigne le programme des fêtes nautiques du 5 juillet 1925, à nouveau diffusé par la vie montpelliéraine
"C'est dans le cadre ravissant de Rimbaud que se déroulera la Grande Fête Nautique de l'AGEM. Les Montpelliérains se rendront nombreux, ainsi que chaque année, sur les rives du Lez, car la réputation de cet évent (sic) n'est plus à faire. En effet, en dehors, du match de water-polo, qui mettra aux prises Cettois et Montpelliérains, tous les as régionaux se livreront des luttes loyales mais sévères. 
Figurent au programme : grand Prix de Vitesse (100 mètres nage libre); grand concours de Plongeons : 60 mètres ondines ; 100 mètres sur le dos : 400 mètres over ; course de relais (4 nageurs) épreuves comiques ,courses de canots à 1 et 2 rameurs. 
La fête commencera à 15 h. 15. On peut retenir ses places à partir du 1er juillet au siège de l'AGEM, 6, rue Baudin. Le prix des places a été fixé comme suit : 
- Entrée générale, 2 fr. Étudiants, militaires, enfants. 1 fr ; mutilés. 0 fr. 50
- Terrasse Rimbaud, 5 fr. militaires, enfants, étudiants, 3 fr., mutilés 2 fr.
Nul doute qu'avec un pareil programme et des prix à la portée de toutes les bourses, l'affluence ne soit encore plus grande que d'ordinaire."

Le plan d'eau de Rimbaud n'avait pas l'exclusivité de ces festivités. On en organisait plus bas sur le Lez, à la hauteur du moulin de Sauret et près du pont Juvénal, au quartier des barques. Mais elles n'avaient pas le même éclat mondain. 

Carte circulée en 1913 (collection de l'auteur)

La réserve Rimbaud, en dehors des banquets, était aussi un lieu où l'on dansait. Les soirées y étaient parfois organisées par des clubs. A partir de 1907, profitant de nouveaux aménagements, la "Modern schola" y donne régulièrement des spectacles. Parmi les organisateurs réguliers, on compte aussi le "Tagada club", qui propose les 1er et 2 août 1925  à ses membres « et à la compagnie choisie de ses invités, deux nouvelles soirées dansantes dans les confortables salon de l’établissement Rimbaud », avec l’orchestre le Sélect Jazz, qui promet à cette occasion "des danses absolument nouvelles"

Vue depuis la rive gauche du Lez - carte non circulée (collection de l'auteur)

Les crues de 1907 et 1933 détruisent les guinguettes de Tabarka à Montpellier et Montplaisir à Castelnau, laissant Rimbaud sans concurrence sur un marché qui s'assoupit. L'automobile et les bains de mer changent les goûts du public fortuné.

En 1946, René Tarrit rachète la réserve Rimbaud avec le projet d'en faire un casino. D'après son fils Jean qui lui a succédé en 1981, la proximité de l'église Sainte Jeanne d'Arc a donné motif à l'évêché de s'opposer à ce projet.

D'après Jean Tarrit, après guerre Rimbaud était encore une vraie guinguette, un but de promenade du dimanche. On venait s'y baigner, pêcher la perche ou l'écrevisse, canoter et même jouer au water polo. Le personnel de la Réserve promenait toujours la clientèle bourgeoise en barque après le déjeuner. En 1957, le dancing est fermé. Faut-il, comme dans les tontons flingueurs, incriminer l'auto ? 

jeudi 13 avril 1961, entre amis à la Réserve Rimbaud
(en partant de la gauche le jeune Jacques Jandot, sa mère Lucienne, son père Albert, sa soeur Claudie, Lucienne et Raoul Montels, la grand-mère maternelle de Jacques et un couple non identifié)

En 1963 ont lieu les dernières joutes. Dans les années 1970, la qualité des eaux du Lez se dégrade et le débit baisse à cause du pompage à la source pour alimenter la ville en eau. Ç'en est finit de la baignade.

Je me souviens de ne pas avoir aimé la fameuse croquette truffée servie pour le repas de mariage de mon oncle Daniel et, avec d'autres garnements de ma tablée, de l'avoir recrachée dans le Lez. C'était le 26 avril 1986, je suppose qu'il y a prescription.

Le Lez depuis la terrasse de la Reserve Rimbaud 16 août 2019 (photo de l'auteur)

J'ai eu la surprise d'y retrouver aux fourneaux mon camarade de collège et de lycée Charles Fontès. Depuis 2006, il a su donner à ce lieu une nouvelle jeunesse et y faire vivre une gastronomie exigeante et inventive. Ce renouveau a été reconnu par une étoile au guide Michelin depuis 2009 et de bonnes notes au Gault et Millau. Une constance qui paye.

 plat de homard - 16 août 2019 (photo de l'auteur)

Parc du génie

Le 6 décembre 1893, la ville a pris à bail emphytéotique auprès de l’Oeuvre de la Miséricorde, devenue ensuite le bureau d'aide sociale, le jardin dit « des Aubes » ou « de Saint Maur ». Ce bail expirait le 31 décembre 1993.

Ce terrain de près de 3 hectares a été divisé en deux par la création de l’actuelle avenue Saint-André de Novigens (comme on le voit sur le plan de 1896 plus haut dans ce billet). Au nord, la ville essaye de louer à des particuliers censés y construire des maisonnettes qui deviennent la propriété de la ville au terme du bail. La durée proposée, cinq ans, est trop faible et on ne trouve pas preneur. A dix ans non plus, alors la ville propose des baux de vingt ans mais les constructions sont restées rares. Pour l'essentiel ces terrains ont servi de jardins familiaux avec au mieux un cabanon dessus. Plus tard les 13.400 m2 de jardins familiaux ont permis l’édification de la résidence foyer des Aubes en 1964. Le bail de la parcelle est rétrocédé au bureau d’aide sociale.

Vue aérienne de la résidence foyer des Aubes - 1964
(carte postale C. O'Sughrue non circulée, collection de l'auteur)

Au sud, le terrain comprend un parc, voisin de la réserve Rimbaud, décrit en 1896 comme récemment planté d'arbres entre lesquels on a tracé des allées. Ce qui est encore le jardin des Aubes est devenu le parc Rimbaud, sans que sache à quelle date ce nom s'est imposé au-delà de l'usage.

Pont du génie sur le Lez (collection de l'auteur)

Par convention du 25 juillet 1895, la ville a laissé la jouissance d’une portion de 3026 m2 carré au régiment du génie installé à la citadelle pour ses exercices de pontonnage. Ce terrain est relié par une passerelle à un autre sur la rive gauche du Lez. Entre ces deux terrains les pontonniers construisent des ponts de différents types, comme le montrent les cartes postales suivantes.

D'abord un pont de barques, rapide à mettre en oeuvre mais peu stable et qui ne permet pas de faire circuler de charges trop lourdes. 

Manœuvre de pontage du 2e génie au Lez - carte postale non circulée (collection de l'auteur)

Manœuvre de pontage du 2e génie au Lez - carte postale non circulée (collection de l'auteur)

Carte postale circulée en 1908 (collection de l'auteur)

Carte circulée en 1928 (collection de l'auteur)

Ensuite une passerelle, flottante, qui ne permet que le passage des piétons, en file indienne. 

Exercice de pont (carte postale circulée, année illisible - collection de l'auteur)

Exercice de pont (carte postale circulée, année illisible - collection de l'auteur)

Exercice de pont (carte postale circulée, année illisible - collection de l'auteur)

Les ponts à chevalet sont plus complexes et longs à mettre en oeuvre. On en voit un ici au second plan. La structure est faite de chevalets, qui sont des trépieds, aptes à supporter un tablier qui permette de faire passer de lourdes charges. 

Exercice de pont (carte postale circulée, année illisible - collection de l'auteur)

Les exercices de pont de l'école du Génie attirent le public. Le quotidien L'Eclair les annonce, comme celui du 21 juillet 1894, dans le cadre de la tournée d'inspection du général Langlois : « De nouveaux ordres fixent à ce matin les exercices de l’école de pont. Ces exercices commenceront à 6 heures et prendront fin à 9 heures. » Le numéro du lendemain précise : "en raison de l'heure matinale, il y avait fort peu de monde sur les bords du Lez."

Carte circulée en 1915 (collection de l'auteur)

Il y avait nettement plus de monde le 30 mai 1895, ce dont rend compte avec éclat La vie montpelliéraine du dimanche suivant : "jeudi, par un clair soleil, le public Montpelliérain était venu en grand nombre sur les bords du Lez, bordant les terrasses de Rimbaud, emplissant les pelouses du terrain du génie, où pénétraient seuls les invités. 

Le spectacle était charmant, et l'on se prenait à regarder plutôt les spectateurs que le spectacle qu'ils étaient venus voir. Sous le dôme des platanes, qui ombre délicieusement la pelouse du terrain militaire, à travers la verdure desquels le soleil ne parvient qu'à piquer de rares rayons, faisant dans le feuillage de jolies transparences et de magnifiques effets de rayons et d'ombres, les claires toilettes des dames et des jeunes filles donnaient une note gaie au paysage encore printanier. Les ombrelles coquettement ouvertes, mollement balancées, étaient plutôt un ornement qu'un objet d'utilité.  Et pendant que nos braves soldats construisaient, démolissaient, sous l'œil investigateur du général Hinstin, des ponts, des planches, des bateaux, etc., on se laissait aller à de délicieuses causeries dans ce cadre charmant, vibrant, si bien rempli, si animé. 

La musique du 2° génie, avec un programme savamment composé, ajoutait le bruit berceur de ses mélodies à la gaieté du paysage. Puis, un signal retentissant : c'est le dernier acte des opérations, un bruit, un jaillissement d'eau qui retombe, en millions de gouttelettes, s'irradiant aux rayons du soleil, des éclats de bois qui partent dans l'air, et c'est fini. La musique du 2e génie attaque une fantaisie sur Lohengrin, qu'elle exécute avec une maestria, un ensemble et une ampleur si parfaits, que le général Hinstin, qui a très attentivement écouté, fait appeler le jeune chef, M. Eustace, et le félicite chaleureusement. " Suivent la liste des invités les plus remarqués.

Le camping municipal Rimbaud

Suite au départ du Génie, ce terrain revient à la ville en juin 1962. Il est alors question d’y réaliser une auberge de jeunesse, ce qui était cohérent dans l’esprit du maire François Delmas avec le camping voisin. 

En effet, le long de l’avenue Saint-André de Novigens, un camping a ouvert en 1956. Le projet est présenté comme provisoire, critiqué pour l’effet repoussoir qu’il pourrait avoir pour les promeneurs du dimanche : il a duré plus de vingt ans. 

Le camping s’étend sur 11.000 m2 et comprend 60 emplacements en 1956 avec des installations très rustiques « deux cabines de WC pouvant servir deux douches », deux postes d’eau potable et 2 poubelles de 75 litres. On est loin de "l'hôtellerie de plein-air". Pour ce confort spartiate, une taxe journalière de 50 francs par personne est perçue, avec demi-tarif pour les enfants de 4 à 8 ans. 


Entre du camping municipal de Rimbaud, carte postale circulée en 1966 (collection de l'auteur)


Le niveau d’équipement du camping est nettement amélioré en 1962 au point que le maire François Delmas déclare au conseil municipal du 8 juin 1962 « C’est un des plus beaux campings de la côte méditerranéenne ». De vrais sanitaires sont construits, ainsi qu’une buvette et un terrain de boules est aménagé. Le camping, auparavant en 4e catégorie, obtient ainsi le classement en 1ère catégorie.


Camping municipal de Rimbaud, carte postale non circulée (collection de l'auteur)


C’est M. Orengo qui exploite d’abord ce nouveau camping « de luxe ». Entre 1963 et 1966, c’est Mme Bila qui est concessionnaire de la ville pour l’exploitation du camping municipal, où elle réalise des travaux (douches chaudes, terrasses couvertes). 


En 1967 et 1968 c’est M. Dechaumes qui lui a succédé.  M. Dechaumes est à nouveau cité en 1970-1971, avant que Mme Bicharel ne lui succède, mais sa concession est résiliée dès juillet 1971. De nombreuses familles gitanes s’étaient installées sans payer et faisaient fuir les touristes de passage. L’accès était pourtant interdit aux nomades par un arrêté municipal d’avril 1963 qui définissait le campeur comme une personne ayant un domicile fixe et résidant sur le terrain dans un but touristique. 


Par suite, la mairie réduit sa redevance et met fin à la concession. Le camping est géré en régie directe. A cette occasion, les tarifs de 1971 sont rappelés. 


Tarifs journaliers Rimbaud 1971 en francsPleine saison (15 juin - 1er septembre)Hors saison
Campeur adulte1,451,15
Enfant de moins de 7 ansdemi-tarif
voiture0,750,5
emplacement1,10,8
branchement électrique1,6


La régie n’est que transitoire, la mairie trouve un nouveau concessionnaire, M. Maurice Crouzet, de l’été 1972 au 31 mai 1976. 


Le camping ferme à l’été 1976. En 1979, l’ancienne buvette est utilisée par les personnels du Rectorat comme centre aéré pour une quarantaine d’enfants, contre un loyer symbolique de 10 francs par an.


Le parc Rimbaud


Après la fermeture du camping, le reste du terrain est intégré au parc, qui y retrouve un nouveau cachet. 


L'écrivain montpelliérain Christian Estèbe, dans son roman La prière du guetteur, paru en 1989 décrit sa jeunesse dans le quartier et notamment le parc. "Ce ne fut pas toujours un jardin public parfaitement entretenu, le parc Rimbaud. Nous ne venions pas y jouer comme aujourd'hui sur de très modernes volumes en bois peint, ce fut aussi un vaste champ aux herbes hautes qui descendait en pente douce vers le Lez, notre rivière. Nous y avions découvert en contrebas, dans les joncs, un énorme tonneau, sorte de fut, de foudre, qui avait dû s'échouer lors des grandes inondations quelque dix ans plus tôt. Nous en avions fait le refuge de la bande, et c'est là, sur des cartons et des vieux bouts de toile cirée, que nous découvrions les charmes naissants de Monique (...). Le Lez plus loin roule ses eaux vertes ; longues tiges de jonc, herbes sous marines, ramifications crochues, lianes. Quelques gros rats noirs fuient le long des berges beiges."  Il décrit un Lez où les gamins se baignent encore, mais en reviennent "maculés de boue jaune". 


Mon enfance vingt ans après la sienne était celle des volumes en bois. Je me souviens que j'adorais ces jeux qui feraient frémir au regard des normes actuelles pour les jeux d'enfants dans les jardins publics. 


Le pont du Génie et son Parc avec le gymnase - carte postale circulée en 1909 (collection de l'auteur)

Au sud, le parc comprend une buvette mise en concession entre 1957 et 1961 à une demoiselle Montelon. Un gymnase se trouve également sur le terrain qui remonte au parc du génie. Son utilisation croissante par les associations sportives conduit la ville à faire des travaux d’amélioration, comme un revêtement mural facile à nettoyer en 1968. C'est aujourd'hui la maison pour tous George Sand.


J'ignore à quelle date le parc s'est limité à la rive droite du Lez, avec la disparition de la passerelle du Génie. Peut-être dès 1962. 


Au Parc Rimbaud - août 1979 (photo Bernard Sebert)

De la passerelle au pont 


Pont suspendu de l'école de natation du Génie par Amelin 28 août 1824
(Memonum - médiathèque centrale Emile Zola)

Le régiment du génie est installé de façon durable à la Citadelle à partir de 1816. Il a très vite des rapport avec le Lez. Les soldats y apprennent à nager et traversent le Lez au moyen d'un pont suspendu qu'Amelin, professeur de dessin à l'école régimentaire, à représenté en 1824, peu de temps avant qu'il subisse de gros dégâts. 


En 1891, Titus Rimbaud et son épouse proposent de prendre à leur compte les frais d'expropriation nécessaires à la création d'un chemin public au débouché d'une passerelle à créer entre les deux rives du Lez. Cela faciliterait la venue de la clientèle de la rive gauche du Lez dans leur établissement. Une passerelle est édifiée en 1894, une indemnité de 200 francs or est accordée l'année suivante à son entrepreneur par le conseil municipal de Montpellier.

L'ancienne passerelle sur le Lez, carte postale circulée en 1914 (collection de l'auteur)

La passerelle du Lez est endommagée par les inondations de 1907. Plutôt que de la réparer, la ville souhaite la remplacer par un pont carrossable d'un coût de 43.000 francs or en 1909. L'affaire est ajournée en 1910 et je n'ai pas pu trouver la date de réalisation du pont suivant, le bow string représenté sur la carte ci-dessous.

Le nouveau pont - carte non circulée (collection de l'auteur)

En 1975, il est décidé de remplacer le pont, vétuste et étroit, par un pont plus adapté à la circulation dans le cadre de la ZAC Pompignane et des 630 logements qui y sont créés. C'est aujourd'hui le pont du Garigliano, inauguré en décembre 1976.

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Sources utilisées pour l'écriture de cet article : 

Archives municipales de Montpellier (notamment les délibération du conseil municipal)

Collection de l'hebdomadaire La vie montpelliéraine sur le site Gallica BNF

Revue de presse du quotidien L'Eclair

Marie-José Guigou, "De Montpellier à Gignac, les croquettes de volailles truffées"

Témoignage de Jean Tarrit, in Montpellier en images, hors série de Midi-Libre (2007), page 57

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