Le procès Daygouy 3- la fabrique du monstre

Enquête sur le terrain il y a une vingtaine d'années















Au sujet de l'affaire Ranucci, Michel Foucault disait "Pour qu'une justice soit injuste il n'est pas besoin qu'elle se trompe de coupable, il suffit qu'elle ne juge pas comme il faut." Je ne pense pas que mon ancêtre Jean-Baptiste Daygouy soit innocent de tout ce dont on l'a accusé. Mais un lecteur actuel de son dossier ne peut manquer d'être frappé par tout ce dont il est censé être coupable selon la rumeur publique.

Il ne suffisait pas qu'il soit coupable de meurtre, il fallait rendre le meurtrier étranger au commun des mortels : en faire un monstre.

Avant le délibéré du jury, le jugement récapitule ce qui est retenu des faits principaux et ajoute ceci : 

"Jean Baptiste Daigouy et Antoine Daigouy père et fils habitants du village du Bousquet (...) jouissent d'une très mauvaise réputation notamment Daygoui le père qui dans l'opinion publique passe pour avoir homicidé il y a quelques années Pierre Garrigues oncle de sa femme ; d'avoir aussi excédé avec tant de violence le nommé Antoine Annat de la Martinerie il y a environ vingt ans que cet individu est mort neuf ou dix mois après des excès qu'il avait reçus ; d'avoir exposé un de ses bâtards sur un arbre au milieu d'un bois dans le dessein de le faire périr ; d'avoir encore étranglé ou étouffé autres deux de ses bâtards nés jumeaux ; d'avoir fait usage d'écriture fausses dans des affaires civiles et personnelles, d'avoir également produit de faux témoins et enfin d'avoir mis du poison dans le blé de pension qu’il fait à la femme Gay sa belle mère."


Toutes les rumeurs de voisinage sont en quelques lignes, sans tenir compte de l'enquête, reprises comme si elles étaient des faits établis. 

Pour aujourd'hui, je me concentrerai sur l'histoire du blé empoisonné. Marianne Gay, la belle-mère de Jean-Baptiste, témoigne le 7 décembre 1807 dans la salle d'instruction du tribunal d'Espalion. Son témoignage est bref et précis pour une femme de 65 ans qui aurait ingéré du blé empoisonné et a survécu encore treize ans après ce témoignage.
Marianne Gay "déclare n'avoir rien à dire contre Daigouy son gendre, que les affaires d'intérêt ne les ont jamais brouillés ; qu'en plaidant devant divers tribunaux ils allaient boire ensemble. 
Interpellée de déclarer si le blé de pension qui lui fut délivré par Daigouy la première année de leur séparation, ne fut pas empoisonné ? A répondu négativement et plus n'a dit."

Interrogée sur le même point, Anne Garrigues déclare : "je n'ai aucune connaissance de ce fait que je crois de toute fausseté."

Encore pourrait-ton dire que ces deux témoins sont de parti pris pour l'accusé. Mais ce n'est pas le cas de Jean Bousquet, du moulin de Coubisou, qui interrogé sur ce point déclare "n'avoir jamais entendu parler de ce fait mais qu'il sait que cette femme fut obligée de se retirer ne pouvant vivre avec elle."

C'est donc sans preuve, ni dommage avéré, ni plainte de la principale intéressée que le jugement reprend la rumeur publique. Je reviendrai sur les accusations portées au sujet des enfants naturels de Jean-Baptiste à partir du témoignage de sa femme Anne Garrigues et un peu plus tard sur les pressions exercées sur les témoins dans l'affaire.

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