Feuilleton Veaugeois 15 : Jazz, dessous affriolants et concubinage ; Georgette la scandaleuse


La vie familiale de Georgette et des siens est bouleversé par le débarquement. Pendant plusieurs jours, le front est à quelques mètres de leur jardin. Les soldats canadiens sont sympathiques et accueillis en libérateurs mais le danger est là. Avec mari et enfant, Georgette récupère Pauline Fourneaux qui est restée à Mouen depuis la mort de Benjamin en 1934 et la famille se replie sur Creully, en bicyclette dont les sacoches sont lestées de ce qu'ils ont pu emporter. Pauline a 74 ans, est dure d'oreille et en mauvaise santé. Déjà très filiforme par nature, les privations de la guerre en ont fait une vieille dame gracile et fragile. Elle décède à Creully en janvier 1945, avant que la famille puisse revenir à Rots où il y a des dégâts à réparer. 

Ce n'est rien par rapport à Caen, où de nombreux quartiers, notamment dans le centre, se sont transformés du fait des bombardements en une véritable table rase. Des commerces provisoires se montent bientôt place Saint-Martin. Toujours débrouillarde et sans complexe, Georgette en loue un et alors que le tissu est toujours rationné, se lance dans le sous-vêtement féminin, à l'enseigne du Riva bella si mes renseignements sont exacts. Elle y vend bien plus que la bonneterie classique des campagnardes respectables : il y a de la dentelle et de la couleur.

Cela c'est pour la semaine. Car le week-end, Georgette a une autre idée pour faire bouillir la marmite. Elle a un beau brin de voix et chante volontiers, son mari et ses fils savent jouer de la musique, et le jazz est de nouveau à la mode dans le sillage des Américains qui ont débarqué avec les disques de Glen Miller. Voici comment nait le Family jazz, éphémère formation amateur qui se produit dans les villages proches de Caen. Les prouesses vocales de Georgette sont diversement appréciées et mon grand-père, pour qui la pratique du violon passe par la musique sérieuse, ne se transforme pas volontiers en crin-crin de bastringue.

C'est que Georgette garde une certaine autorité sur ses grands-fils. Hors de question pour mon grand-père de vingt-deux ans de retourner travailler sans être complètement rétabli, comme le ferait d'ailleurs sa mère. "Maman fait le gendarme" écrit-il à sa fiancée.

En 1951, Albert décède, âgé seulement de 59 ans mais avec le physique d'un homme auquel on en donnerait vingt ans de plus aujourd'hui. Quelques mois plus tard seulement, Georgette se met en ménage avec un coiffeur de Caen, veuf lui aussi, André Pégouet. Ce concubinage est désapprouvé par son fils aîné, qui cesse même un temps de voir sa mère. Georgette finit par se remarier avec son compagnon, le 8 août 1955 à Caen, où elle vivra jusqu'à sa mort en 1959. 

Aucun de ses petits-enfants n'était alors encore assez âgé pour recueillir ses confidences. Les personnes qui ont trié ses affaires n'ont rien gardé d'elle, je ne sais même pas à quoi ressemblait son écriture. 

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