Feuilleton Veaugeois 17 : Retour sur l'affaire Toulorge, un meurtre au Havre en 1874

Carte postale vers 1920
Découvert en cours d'écriture du feuilleton, l'assassinat du sieur Marq par le charpentier de marine Toulorge a réveillé en moi le coupable plaisir du fait divers, celui qui me fait écouter Christophe Hondelatte en podcast. Je voulais revenir plus longuement dans ce nouvel épisode sur cette affaire, même si son lien avec les Veaugeois est des plus ténus.

Je rappelle les deux références d'articles que j'ai trouvées sur cet homicide :
Le Journal de Rouen du 28 juin 1874, page 2, disponible sur le site des archives de Seine-maritime.
La presse du 22 août 1874, disponible sur le site Gallica de la BNF. 


Je voudrais d'abord insister sur le décalage qui existe entre les deux versions des faits disponibles dans la presse. La première est écrite pour paraître le surlendemain des faits, survenus le 26 mai 1874. Elle est très indulgente envers le mari. En voici le début :

Un mari outragé, le nommé Toulorge, dépeceur de navire, âgé de soixante-dix ans, venait, en rentrant à son domicile, de surprendre sa femme en compagnie d'un nommé Jean Marcq, menuisier. Le mari, dans un transport de fureur jalouse, s'empara d'un sabre-briquet et fondit sur son rival, avec une telle violence que, d'un coup de pointe porté à la gorge, il l'étendit roide mort. 

En deux phrases, l'affaire est jugée. Le mari est pris d'un légitime courroux et tue par une jalousie bien compréhensible l'amant de sa femme. La suite de l'article est une collection de ragots de voisinage sur l'épouse. Elle se livre continuellement à la boisson. Elle mène une existence des plus dissolues et, dans ses moments d'ivresse, elle a même, aux dires de ses voisins, l'habitude d'appeler par la fenêtre le premier passant venu. 

L'âge du mari est exagéré de cinq ans, comme pour mieux donner consistance à une différence d'âge qui aurait rendu un peu ridicule ce barbon marié à une jeunesse. Avec treize ans d'écart en réalité, c'est sans doute à relativiser.

Une voisine bonne camarade dit avoir vu la femme Toulorge faire monter un inconnu chez elle et n'avoir pu faire autrement que d'aller prévenir Frédéric Toulorge à son atelier cent mètres plus loin (la rue des Tuileries a aujourd'hui disparu mais elle se trouvait dans le quartier du Perrey, non loin des chantiers de construction navale). On apprend incidemment que le couple faisait lit à part et que le supposé amant de Madame, "on ne sait pourquoi" n'a pas cherché à fuir. L'article nous apprend aussi que la victime était mariée, père de deux enfants de treize et neuf ans. Et le fait que le meurtrier parte à la poursuite de sa femme, toujours armé de son sabre, et tout en demandant qu'on prévienne la police, est présenté comme comique.

L'article du même journal qui rend compte du procès plusieurs mois plus tard est d'une autre teneur. D'abord parce qu'entretemps Clémence Lemière, l'épouse volage et ivrognesse, a trouvé la mort en prison où l'avait conduite une nouvelle manifestation publique d'ivresse. Ensuite et surtout parce que le point de vue de la presse a changé. Alors que la première partie de l'article initial décrivait un mari rendu jaloux par la conduite de sa femme, le second décrit un mari qui a tué un homme qui n'avait rien à se reprocher, un menuisier sans travail qui était venu pour acheter à bas prix du bois de récupération. Voila pourquoi le pauvre Marq n'a pas cherché à fuir. Au temps pour la voisine qui avait prétendu qu'il était monté suite aux avances de la femme Toulorge par la fenêtre.

Cette fois c'est la moralité de Frédéric Toulorge qui est mise en cause. Présenté comme violent, brutal et ivrogne, il lui est reproché d'avoir vécu douze ans en concubinage, d'avoir tenu une maison garnie et d'avoir favorisé l'inconduite des deux filles issues de son premier mariage. La pauvre Caroline morte quatorze ans plus tôt n'est plus là pour se défendre et j'ignore ce qu'est devenu ensuite son Veaugeois de mari. La deuxième fille, Mme Lengin, est mariée à un respectable contrôleur des ponts et chaussées et doit être outrée de lire ce qu'on écrit sur elle. Sur quels ragots de voisinage la justice s'est-elle fondée cette fois.

Etre condamné à huit ans de prison à soixante-cinq ans aurait pu condamner Toulorge à mourir en prison. J'ignore combien de temps dura effectivement l'exécution de sa peine, mais lorsque Frédéric Alexandre Napoléon Toulorge décéda libre au Havre le 13 octobre 1887, 51 rue Michelet, il est déclaré comme rentier. Seule sa première épouse est mentionnée sur son acte de décès, assez imprécis, les témoins ne connaissant pas sa filiation. L'un d'entre eux est pourtant son gendre, Arsène Lengin. 

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