Feuilleton Veaugeois 24 : Dans les pas de Julia et Georgette Veaugeois

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Ancien bureau de Poste de Brachy - août 2018 (collection personnelle)
Je cherche depuis un quart de siècle à lever le voile autour de la naissance de mon arrière grand-mère Georgette Veaugeois (1898-1959). Celle-ci est née de père inconnu le 3 novembre 1898 à Mayenne. Sa mère Julia Louise Jeanne Veaugeois l'a reconnue quelques jour plus tard à Laval et est restée avec elle au moins jusqu'en 1901. Cette année là, Julia est recensée avec sa fille à Brachy, chez sa demi-soeur Pauline Dauverné (1869-1945) et son mari Benjamin Fourneaux (1868-1934), facteur receveur, qui occupe le logement de fonction de la Poste de Brachy. En 1906, Georgette est désormais seule à Brachy avec sa tante et son oncle. En 1912, elle les suit à Caen où elle se marie en 1920. Sur la suite de l'existence de Julia Veaugeois en revanche, je ne sais rien. 

Je suis arrivé à un point de ma recherche où, en l'absence d'indice nouveau, retrouver la trace de Julia Veaugeois après 1901 est une tâche quasi-impossible. J'ai l'impression de chercher au hasard dans Paris une personne qui pourrait tout aussi bien être au même moment à Saint-Jean-de-Cuculles, à Combloux ou à Plestin-les-Grèves. 

Les sources pour les femmes étant moins nombreuses que pour les hommes (pas de service militaire, pas de listes électorales avant 1945), je cherche quelque chose de simple. Son décès.

Julia est toujours vivante en septembre 1920 lors du premier mariage de sa fille. Son adresse est inconnue, elle n'est pas présente au mariage et la piste de l'acte qui a dû être fait pour lui annoncer le mariage n'a rien donné. Julia est décédée en août 1955 lors du deuxième mariage de Georgette. Voilà pour le certain.

Pour le probable, je pense que le décès a eu lieu avant 1945, date ou la mention marginale du décès sur l'acte de naissance est instaurée. J'ai vérifié les deux versions de l'acte de naissance de Julia, celle de la mairie et celle du greffe, toutes les deux sont vierges de mention marginale. Il n'est cependant pas sans exemple que des mentions manquent. 

J'ignore quelle profession exerçait Julia après avoir quitté le ménage Fourneaux. Au recensement de 1896, elle est déclarée comme ouvrière. A la naissance de sa fille en 1898, comme domestique. En 1901, elle est indiquée sans profession. Le plus probable est encore qu'elle ait cherché à se placer comme domestique. 

Je cherche des actes intermédiaires où la filiation de Georgette pourrait figurer et qui me diraient si sa mère est vivante ou non à cette période pour limiter cet immense intervalle d'un quart de siècle à quelque chose de plus raisonnable. La succession de sa tante Pauline Fourneaux n'a rien donné puisqu'il n'y avait pas d'actif à cette succession en 1945. La succession d'Albert Sebert non plus, la filiation de sa veuve n'étant pas précisée. Je pourrais encore essayer avec celle de Benjamin Fourneaux en 1934, mais l'enregistrement semble détruit pour cette période et les archives du notaire ne sont pas encore versées.

C'est donc sur cet intervalle de 1920-1945 que je cherche à retrouver le décès de Julia. Mais où ? Et là, c'est l'inconnu et le vertige. D'où une certaine dispersion dans mes tentatives. Je n'ai fait pour l'instant qu'éliminer quelques possibilités.

Première hypothèse, elle se serait rapprochée de sa fille à la fin de sa vie. C'est possible, en tout cas elle n'est pas morte à Caen, j'ai dépouillé les tables décennales de 1920 à 1955 sans succès (bien sûr je vérifie à chaque fois les deux variantes Veaugeois et Vaugeois). Mais il y a d'autres communes et l'enregistrement est souvent incomplet du fait des destructions de la Seconde guerre mondiale. 

Deuxième hypothèse, une fois en Seine maritime, elle y est restée. Le problème c'est qu'ici encore l'enregistrement n'est pas complet. Tout le secteur du Havre est détruit par exemple. J'ai tout de même pris le temps de consulter celui de Rouen, qui n'est disponible en numérisation que jusqu'en 1939, sans succès. Puisque je la localise pour la dernière fois à Brachy en 1901, je me suis demandé si en laissant sa fille à sa demi-soeur Pauline, Julia était partie très loin ou était encore à proximité. J'ai voulu écarter cette deuxième hypothèse, en consultant les recensements de 1906 (ceux de 1911 sont souvent manquants aux archives de Rouen). J'ai pour le moment consulté ceux des communes limitrophes à Brachy : Lammerville, Gueures, Luneray, Hermanville, Thil-Manneville, et Greuville. J'ai aussi pris la peine de dépouiller les deux cent quatre-vingt et quelques pages de la grande ville la plus proche : Dieppe. Sans succès. J'essaierai en novembre d'aller un peu plus loin, mais c'est fastidieux et j'ai l'impression de labourer la mer avec un Opinel. 

Troisième hypothèse, Julia s'est dirigée vers une grande ville ailleurs en France, peut-être même à Paris. Les décès de Paris sont en ligne jusque tard dans le XXe siècle. Je me suis donc lancé, d'abord dans les tables décennales 1913-1932, un arrondissement à la fois, sans succès. De temps en temps j'ai une montée d'adrénaline parce que je tombe sur une Vaugeois dont l'initiale du prénom est un J. Dès la deuxième lettre la tension retombe.

Quatrième hypothèse, Julia est retournée au Mans, où est décédé son père. Il faudrait aller sur place pour vérifier cette hypothèse car les tables décennales mises en ligne ne vont pas au-delà de l'année 1902.

Je me suis aussi intéressé ces derniers mois à Brachy lui-même. Je me suis rendu sur place pour photographier ce que je supposais avoir été le bureau de Poste au début du XXe siècle. L'écrivain Bernard Morel, dont les racines sont en partie à Brachy, m'a depuis confirmé cette localisation, ce dont je lui suis très reconnaissant.

Je suis également retourné aux archives de Rouen, dans la partie contemporaine, pour scruter dans les archives de la commune de Brachy le moindre indice sur le facteur receveur, sa famille et ses conditions de vie. Et j'ai obtenu quelques résultats. Rien dans les archives de l'école, sinon pour constater que l'absentéisme pour cause de travaux agricoles y étaient chose courante et que la commission des affaires scolaires était bien trop indulgente du point de vue du préfet et de l'inspecteur d'académie. Rien non plus dans le bureau de bienfaisance, ce qui prouve que la famille n'a jamais rien demandé pour Georgette ou pour Julia. En revanche pour le bureau de Poste, la moisson est riche.

Avant 1892, Brachy accueille un bureau de poste municipal, avec un simple facteur boitier. La municipalité, qui n'est pas riche, se fait souvent tirer l'oreille pour les financements nécessaires, tout en refusant farouchement tout ce qui réduirait son autonomie. Le 11 octobre 1892, le bureau de Poste de Brachy devient un bureau doté d'une recette, et donc d'un facteur receveur. L'ancienne maison d'école est affectée à ce bureau, en remplacement de l'ancienne Poste louée à un particulier. 872 francs de travaux sont consacrés en 1893 et 1894 à approprier ce local à son nouvel usage.

En 1896, la mairie de Brachy vote 500 francs de contribution pour que la Poste soit reliée au réseau télégraphique. Le conseil municipal s’engage aussi à payer le traitement de la personne chargée de suppléer le facteur pendant ses heures d’absence du bureau et la distribution des télégrammes (100 francs). Mais cela ne suffit pas.

Le 14 octobre 1896, après avoir rappelé les efforts déjà faits, le conseil municipal vote la délibération suivante :
« il est de toute impossibilité quant à présent d’augmenter cette somme vu les énormes sacrifices que la commune s’impose depuis 14 ans pour le service postal.
Qu’il ne peut y avoir d’autre personne pour remplacer le facteur pendant la distribution que sa femme et que la femme de Boust n’ayant pas l’instruction voulue ne peut remplir le poste.
Le conseil se voit dans la nécessité de demander à M. le préfet de vouloir bien obtenir auprès de l’administration supérieure le changement de Boust et de mettre à Brachy un facteur marié dont la femme ou tout autre personne de sa famille serait apte à remplir les fonctions de télégraphiste. »

J'ignore à quelle date, entre 1897 et le recensement de 1901 Benjamin Fourneaux et sa femme sont arrivés à Brachy. Pauline Fourneaux a-t-elle joué ce rôle de télégraphiste suppléante ?

Le 17 avril 1897, le conseil rappelle qu’il a déjà voté 60 francs pour la tenue du bureau et 40 francs pour la personne distribuant les télégrammes à domicile. Le facteur receveur, consulté, ayant déclaré que la rémunération était insuffisante et a réclamé 150 francs. Le conseil vote 60 francs par an pour M. Clatot, garde champêtre, afin d’assurer la distribution gratuite des télégrammes.

Le 25 octobre 1897, le service télégraphique est ouvert. Le mois suivant, le conseil demande la conversion du bureau de Poste en bureau de l’Etat, ce qui est effectif l'été suivant. Des travaux de réparation sont à faire aux deux niveaux, la municipalité finance en urgence les travaux du rez-de-chaussée, qui accueille le bureau de Poste proprement dit mais l’argent manque pour l’étage, c'est-à-dire le logement du facteur receveur et de sa famille.

Deux ans plus tard, le conseil municipal constate que près de 500 francs de travaux ont été fait en urgence, dont la restauration d’une chambre.

Le 21 mai 1902, le conseil municipal demande que le bureau puisse délivrer des mandats télégraphiques. Dans le même temps, il demande que les lettres chargées, valeurs et échantillons déposés le matin au bureau, partent par le courrier et soient distribuées à Paris le jour même.

Le 1er septembre 1904, le conseil municipal reconnaît qu’il y a urgence à faire de travaux de peinture et tapisserie dans le bureau de Poste, ainsi que d’enclore le jardin du facteur receveur. Il décide d’y affecter la somme de 200 francs prévue pour les réparations au mur de la Poste.

Les délibérations suivantes concernent cette fois directement Benjamin Fourneaux, qui réclame une augmentation à la commune. En effet, une partie de son traitement est versée par l'administration postale, mais certains services facultatifs restent à la charge de la commune.

Le conseil municipal délibère le 11 août 1910 sur "la demande de M. Fourneaux tendant à obtenir une augmentation de 30 francs pour assurer le service de la 2e distribution des lettres dans la commune". Le conseil "vote au receveur une somme de 120 francs par an, soit 30 francs par trimestre, à partir du 1er juillet dernier.»

Une délibération similaire est prise le 23 février 1911 : « vu la demande de M. Fourneaux, facteur receveur, tendant à obtenir une augmentation annuelle de 30 francs pour assurer le service de la 2e distribution des lettres dans la commune, vote au facteur receveur une somme de 120 francs par an soit 30 francs par trimestre à partir du 1er janvier dernier. L’excédent de l’augmentation de 30 francs sera prélevé sur l’article 34 du budget primitif de 1911 (traitement à l’employé du télégraphe qui est supprimé et payé par l’Etat depuis le 1er juillet dernier).» 

Le 3 août 1911, Benjamin Fourneaux demande cette fois un traitement de 200 francs pour la 2e distribution. La demande est ajournée à la session de mai 1912. Et le 30 mai 1912, la demande de M. Fourneaux d’élever à 200 francs l’indemnité pour la 2e distribution de courrier est acceptée à 5 voix pour, 4 voix contre et un bulletin blanc. L’indemnité est portée de 170 à 200 francs à compter du 1er juillet. Il en profite peu pour lui-même puisque c'est sa dernière année à Brachy.

Les archives municipales sont des sources d'intérêt très inégal, mais je ne regrette aucune des deux heures et demie passées à me plonger dans les 8 côtes que j'ai consultées.

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