Pierre-Rouge : 6- Traces d’antiquité, vestiges du haut moyen-âge ?

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La plaine côtière du Languedoc est un lieu parcouru et habité depuis la préhistoire. Dans le territoire actuel de la commune de Montpellier, des vestiges de nombreuses époques antérieures à la fondation de la ville ont été mis au jour ces dernières années. Malgré quelques légendes patiemment réfutées, avant la donation de 985, il semble n’y avoir rien existé d’autre à l’emplacement du futur Montpellier que des domaines agricoles. 

Cette fondation de 985 m’a fasciné dès l’âge de sept ans et demi. Pour le millénaire de la ville, Georges Frêche avait fait les choses en grand. Un dossier pédagogique avait été distribué à tous les enseignants, une bande dessinée sur l’histoire de Montpellier avait été réalisée et des festivités organisées. Je suis allé avec mon grand-père Raoul au Peyrou pour voir défiler des chars de carnaval à cette occasion, installé près de la croix de mission. Mon grand-père appelait ça une cavalcade. Des jeunes filles lançaient des roses depuis un char et une personne pas plus grande que moi, mais au visage marqué par la vieillesse, me demanda de lui en attraper une, ce que je fis. C’était la première fois que je voyais une personne atteinte de nanisme. 

Défilé de carnaval au Peyrou, toile exposée à la salle des mariages du domaine de Grammont. 

Je me souviens très bien d’avoir interrogé mon grand-père sur ce qu’il y avait avant 985, avant la charte donnant le manse de Montpellier à Guilhem, texte essoré jusqu’à son dernier mot par des siècles d’exégèse historique. J’ai en revanche tout oublié de sa réponse. Plus tard, je me suis intéressé aux populations préhistoriques, aux tribus gauloises, aux Romains, aux Wisigoths et aux Sarrazins. Mais faire l’histoire de ces périodes, comme d’Aigrefeuille au XVIIIe siècle, ne nous dit pas grand-chose du terroir de Montpellier avant la fondation de la ville, moins encore de mon quartier. C’est l’archéologie qui parfois, à la faveur de fouilles, nous révèle de nouveaux indices.

A l’occasion de la construction de la ligne 2 du tramway, l’INRAP a réalisé des fouilles sur le site de la fontaine du Pila Saint-Gély, au bord du Verdanson. Les archéologues y ont retrouvé les traces d’un campement de chasseurs de la fin du paléolithique remontant à 11 500 ans en arrière. Outre les outils de silex et des indices laissant penser qu’à l’époque une forêt se trouvait sur le site, ils y ont retrouvé de nombreux ossements animaux : des sangliers bien sûr, qui font parfois encore de nos jours des incursions dans la ville, mais aussi des spécimens de grand gibier disparu, comme l’auroch, le bouquetin ou l’âne sauvage. Du plus petit gibier, comme le lièvre, est également représenté, avec de nombreuses arêtes de poissons. A l’époque, le Verdanson aurait été une vraie rivière, sans doute même plutôt poissonneuse. Voilà qui fait remonter la lisière du quartier à la préhistoire pour ce qui est de l’occupation humaine.

Sur les époques suivantes, rien de probant. Jean-Claude Michel Richard a fait une liste des trouvailles archéologiques attestées par la société d’archéologie, mais sans que l’on puisse être certain du lieu de leur découverte : monnaies gauloises, fibules romaines et même une borne milliaire, ancêtre des bornes kilométriques, datant du règne de l’empereur Claude. Cette dernière a été trouvée bien loin de la voie romaine, en fouillant le bastion nord de la citadelle. Rien ne permet d’affirmer que les autres ont été trouvées dans un contexte archéologique ancien ou qu’elles ont au contraire été déplacées à des époques postérieures, comme le fut la borne milliaire. 

Des fouilles plus récentes et faites dans les règles de l’art, ont révélé d’autres vestiges d’époques diverses, mais aucun dans le quartier. Rien de certain donc. Reste le probable, notamment du fait de la présence toute proche d’un axe de communication majeur du monde antique. 



La voie domitienne ou Via Domitia, a reçu le nom du général romain Cnéius Domitius Ahénorbabus. A partir de 118 avant J.-C., il fit créer à partir d’itinéraires existants une route qui était le principal axe de communication entre Espagne et Italie à travers la province de Narbonnaise. Jalonnée de bornes milliaires, de relais de chevaux et de pont franchissant les principaux cours d’eau, elle traverse le territoire de Montpellier entre Lez et Mosson. Comme beaucoup de voies romaines, elle n’était pavée que sur certaines portions, principalement urbaines. La voie domitienne ne traverse par le quartier. Elle passe plus au nord, au droit de l’ancienne Substantion, qui a précédé Castelnau-le-Lez. Si Montpellier porte des traces d’antiquité avérées, elles sont plutôt extérieures au quartier. L’article de Jean-Claude Michel Richard, certes ancien (1969), ne relève aucun vestige antique dans le quartier. Tout au plus forme-t-il l’hypothèse que le chemin de Saint-Jacques de Compostelle, ce Camin Romieu très fréquenté au Moyen-âge, pourrait remonter à une époque antérieure. Comment cependant ne pas imaginer, si proche d’une des principales voies romaines, une campagne habitée, cadastrée, avec des villae et, à l’exemple de ce que l’on a retrouvé à peine plus à l’ouest, des tombes romaines ? Mais les cadastres primitifs de la Narbonaise, dont l’étude est si précieuse pour d’autres espaces traversés et marqués par la voie domitienne, font défaut à l’ouest du Lez. A regarder la trame viaire la plus ancienne, elle semble s’organiser autour des portes de Montpellier et des itinéraires les reliant aux villages voisins. Si une centuriation romaine a existé, l’urbanisation a dû aujourd’hui largement l’effacer. 

Pendant l’époque wisigothique, la voie domitienne est encore entretenue et empruntée. Par quel chemin va-t-on alors de Maguelonne à Substantion ? Il semble bien que ce soient les Guilhem de Montpellier qui aient déplacé la circulation des véhicules, animaux domestiques et voyageurs sur une voie parallèle à la voie domitienne. Le Cami Roumieu des pélerins du Moyen-age est peut-être un Decumanus de la centuriation romaine. Le fait de l’avoir doté d’un pont, attesté dès 1124 par le cartulaire des seigneurs de Montpellier, l’a transformé en itinéraire principal. Si on la redresse des inféodations qui en ont gauchi le tracé, notamment au niveau de l’ancien enclos des Récollets, l’actuelle avenue de Castelnau serait une bonne candidate pour être une ancienne parallèle décumane de la voie domitienne. Peut-on alors imaginer cet itinéraire bis de l’antiquité vierge de toute occupation humaine avant le Xe siècle ? J’ai bien envie de répondre non. 

Mais l’imagination doit hélas s’arrêter là. Toutes les tentatives de démontrer une occupation humaine de type urbain antérieure à 985 ont abouti à des impasses. Henri Vidal a démontré que l’idée d’un sanctuaire marial primitif, ou d’une agglomération carolingienne, ne reposaient sur rien de tangible. C’est donc seulement au XIIe siècle que commence l’histoire de mon quartier. 

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