Pierre-Rouge 7 : La justice de Castelnau et les ponts vers Castelnau-le-Lez

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Les fourches patibulaires. Détail du plan côté ii 347 (archives municipales de Montpellier)

Le journal des frères Félix et Thomas Platter est une source historique importante pour connaître Montpellier au XVIe siècle. Ces deux demi-frères Bâlois y ont fait leurs études de médecine à trente-sept ans d’écart. Robert Merle s’en est inspiré dans plusieurs passages de ses romans Fortune de France et de sa suite En nos vertes années. Son personnage principal est un petit gentilhomme huguenot, Pierre de Siorac, qui fait lui aussi ses études à Montpellier. C’est par lui que j’ai d’abord découvert pourquoi l’avenue de la Justice de Castelnau portait ce nom. C’est un épisode qu’il situe le 28 ou 29 septembre 1567. La veille, Pierre de Siorac a suivi de sa fenêtre l’exécution d’un prêtre condamné pour des écrits athéistes. Le condamné devait bruler vif sur le bûcher mais comme le feu brûlait mal, pour mettre fin à ses souffrances, Pierre de Siorac l’a achevé de sa fenêtre d’un coup d’arquebuse. Cet exploit ayant rendu le personnage antipathique aux protestants comme aux catholiques, il quitte Montpellier un peu précipitamment par la route de Nîmes. Il croise alors le bourreau escorté par des archers et reconnait avec grande douleur celle que l’on mène au gibet. C’est la Fontanette, une servante avec qui il a eu une liaison et qui fut pour cette raison chassée quelques mois plus tôt par la femme de l’apothicaire chez lequel vit Siorac. Entretemps Fontanette a été engrossée par son nouvel employeur à Grabels et ayant voulu se débarrasser de l’enfant, elle a été condamnée à mort. Le gardien de la porte du Pila Saint-Gély lui explique que l’on a déménagé le gibet qui était à la Saunerie « le maître du champ ne voulant plus le louer, arguant que l’odeur lui gâtait ses olives. Et la ville a acheté depuis une oliveraie, dont les arbres avaient tourné stériles, à deux lieux de la commune clôture, sur le grand chemin de Nismes. » Le passage sent la copie de fiche préparatoire, je n’ai pas réussi à identifier la source mais cela sonne vrai. J’aimerais bien confirmer par une source non romanesque l’installation du gibet à la justice de Castelnau en 1567 ou environ.

Les exécutions avaient plutôt lieu en ville, pour donner un maximum de retentissement à des supplices qui n’étaient pas si fréquents, mais que l’on voulait spectaculaires parce qu’on les croyait dissuasifs. L’olivette était là pour exposer longuement les cadavres, à l’écart de la ville. Cette coutume Robert Merle la décrit dans le premier tome de Fortune de France. Jean de Siorac, le père de Pierre, avant lui étudiant en médecine à Montpellier, part sans soutenir sa thèse, « de peur de jeter par un noeud coulant son dernier regard vers le ciel et d’être ensuite mis en quartiers, les quartiers étant accrochés, selon la coutume des lieux, aux oliviers des faubourgs ».

Au bout du chemin de la justice, la loge de Montpellier a fait construire au XVIe siècle un pont neuf, pour remplacer le pont du XIIe siècle détruit par une violente crue du Lez en 1536. En 1622, lors du siège de la ville par Louis XIII, le pont est fortifié côté Montpellier et confié à la garde suisse. Un plan de la Maladrerie Saint-Lazare permet de situer plus précisément ce pont dans son environnement : 


le pont de Castelnau, extrait du plan côté ii 192 (archives municipales de Montpellier)

En 1827, quelques années avant sa destruction, Jean-Marie Amelin décrit le pont et en donne les mesures : 89 mètres de long pour à peine 4,5 mètres de large. Le tablier reposait sur 6 piles qui comportaient chacune des refuges triangulaires afin de permettre aux piétons de laisser passer les véhicules. Le pont médiéval de Saint Etienne d’Issensac présente encore de nos jours le même dispositif, même s’il est plus étroit et si sa chaussée actuelle est sans doute trop plate. Une restauration prochaine devrait d'ailleurs lui faire retrouver une forme bombée, plus authentique.

Pont de Saint-Etienne d'Issensac avec ses refuges - juillet 2009 (collection personnelle)


Le Lez à l'emplacement de l'ancien pont au début du XXe siècle (carte postale - collection personnelle)

En 1835 est construit un nouveau pont pour relier Montpellier à Castelnau-le-Lez, l’actuel pont de l’avenue François-Delmas. Il s’agit à l’origine d’un pont à péage et son concessionnaire, Arthur Roche, fait détruire le pont médiéval qui prolongeait l’ancien chemin de Castelnau. D’après Roland Jolivet, on peut encore voir la base de piles et des culées du pont lorsque le Lez est à son niveau le plus bas. Pour plus d’un siècle, jusqu’à la construction du pont submersible, l’avenue de la Justice devient un cul de sac sur le Lez. A une date que je n'ai pour l'instant pas pu situer, le pont a été élargi par la destruction du parapet d'origine et l'élargissement en porte-à-faux du tablier. J'ignore également à quelle date a été détruite la maison du gardien de péage qui figure sur le plan de 1835.

Plan de situation du nouveau pont de Castelnau dressé en 1835, avec le bureau de péage
2 Fi 355 (archives municipales de Montpellier)

Les cartes postales du début du XXe siècle montrent les bugadières, le nom local des lavandières, au travail sur les rives mouvantes du Lez. On a aperçoit sur celle-ci le mur d'enceinte du cimetière Saint-Lazare.


carte postale de Baccard (collection personnelle)

Un peu plus loin, sous le pont de Pavie, se trouvait la cahutte de Blanchette. Mi ferrailleur mi chiffonnier, Emilien Flériag était un soldat sénégalais envoyé sur le front en 1914, qui avait choisi en 1918 de ne pas rentrer au pays. Être de couleur noire était sans doute encore rare à Montpellier dans l’Entre-deux-guerres, d’où le surnom d’un racisme qui ne pensait pas à mal dont on l’avait affublé. Georges Dezeuze raconte que cette figure de la vie locale posait parfois comme modèle à l’école des Beaux-arts et décrit le portrait dans le goût orientaliste qu’en fit Camille Descossy. Emilien Flériag périt lors d’une crue du Lez, le 30 novembre 1955. Après avoir averti les habitants des berges à coups de clairon, il voulut sauver son petit chien et ses pauvres affaires restées dans sa cahute et fut emporté par les flots. 

Le pont de Castelnau vu depuis la berge droite du Lez, en aval (carte postale - collection personnelle).
On devine à droite derrière les arbres une maisonnette, est-ce celle d'Emilien Flériag ?
Merci à Renée Claude Sutra de s'être rendue sur place et d'avoir pris des photos pour m'aider à identifier le sens.


En 1971, non loin de l’emplacement de l’ancien pont, commencent les travaux de construction d’un ouvrage tout simple. Long de 33 mètres, il supporte une chaussée de 6 mètres de large et des trottoirs de 75 cm chacun. Construit sans parapet en un peu moins d’un an, le pont est ouvert à circulation en 1972. Il est submersible, c’est-à-dire qu’en cas de crue, les flots du Lez passent au-dessus de son tablier et qu’il doit bien sûr être fermé à la circulation.


Le Pont submersible vers 1980 (carte postale - collection personnelle)

Chaque année pendant plus de trente ans, des pluies un peu violentes entrainaient la fermeture du pont submersible et du bas de l’avenue de la Justice de Castelnau à la circulation, comme ce fut encore le cas le 20 octobre 1994. Le mois précédent, la mort d’un inspecteur de la PJ avait mis en évidence un autre problème : en l’absence de parapet, un accident à cet endroit-là risquait fort de se terminer dans le lit du Lez. En 1992, une mère et sa fille avaient déjà connu le même sort funeste. Plus que le coût modeste, c’étaient les conséquences d’un parapet sur les crues qui avaient fait hésiter les services techniques de la mairie. Finalement un compromis fut trouvé en faveur de glissières de sécurité de section réduite, pour faire le moins possible écran aux objets charriés par les crues. D’un coût modeste (70 000 francs de l’époque), les travaux étaient achevés à la fin de l’année 1994. Jusqu’à sa démolition, à chaque débordement du Lez, Midi-Libre rendait compte le lendemain de la fermeture plus ou moins longue du pont submersible.

La construction de la ligne 2 de tramway fut l’occasion de mettre fin à cette situation et de repenser totalement l’accès à Castelnau-le-Lez depuis le quartier. Le pont submersible est fermé à la circulation le 12 janvier 2005 et aussitôt détruit. Le pont de la ligne 2 du nouveau tramway le remplace, au terme de dix-huit mois de travaux. Avec ses 21 mètres de large, ses 72 mètres de long et ses 11 mètres de long, le pont de la Concorde supporte aisément les voies de circulation, les trottoirs, une large piste cyclable et bien sûr la plateforme du tramway. Une trémie creusée sous le rond-point qui assure la jonction avec la route de Nîmes permet de rejoindre l’est de Montpellier par le quartier du mas de Rochet. Dans le sens inverse, aux heures où la circulation est dense, elle permet de rejoindre le bouchon qui se forme sur l’avenue de la Justice de Castelnau. 

L'ensemble des sources utilisé pour le feuilleton est consultable ici.

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