Pierre-Rouge : 8- La Palissade, ses Portalières et les anciens faubourgs

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Plan de Montpellier avant les guerres de religion (vers 1737)
Par Villaret (Archives de Montpellier) [Public domain], via Wikimedia Commons

Les faubourgs actuels sont les héritiers d’une expansion urbaine qui n’a commencé qu’au XVIIIe siècle. Pourtant dans le même espace, il a aussi existé des faubourgs au Moyen-âge. La peste qui a donné un coup d’arrêt durable à la démographie montpelliéraine au milieu du XIVe siècle n’a pas suffi à les vider totalement. Il y a fallu les guerres de religion. Les plans qui représentent Montpellier avant les guerres de religion montrent une ville largement sortie de ses limites médiévales. De tous côtés de l’enceinte de la commune clôture existent des faubourgs. Pour garder à la ville son caractère clos, une seconde enceinte, la palissade, avait été élevée depuis le XIVe siècle. 

D’après Grasset-Morel, qui cite la chronique médiévale du petit Thalamus, c’est en 1352 qu’eut lieu la première tentative de protéger les faubourgs, ou barris, au-delà de la commune clôture, par un fossé et des pieux. A partir de 1357, cette nouvelle ligne de défense reçoit 5/7 des dépenses de fortification de la ville. La guerre de cent ans connait alors une de ses périodes chaudes. Montpellier est française depuis quelques années seulement et le roi Jean II est prisonnier des Anglais. Cette précaution n’empêche pas des pillages en 1361 et 1366. On entreprend donc de renforcer cette nouvelle ligne de défense, de façon très inégale selon le terrain, et avec difficultés, des inondations ayant détruit des ouvrages récemment construits. A certains endroits, on compte sur les obstacles du relief, à d’autres, est construit un mur grossier ou un rempart de bois formés de pieux fichés en terre, d’où le nom de Palissade qui est resté à cette deuxième enceinte. 

Georg Braun; Frans Hogenberg: Civitates Orbis Terrarum, Band 1, 1572 (Ausgabe Beschreibung vnd Contrafactur der vornembster Stät der Welt, Köln 1582; [VD16-B7188)
Universitätsbibliothek Heidelberg
http://diglit.ub.uni-heidelberg.de/diglit/braun1582bd1

Sur la vue de Montpellier du Civitates orbis terrarum élaboré à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle, la palissade est représentée dans sa partie sud comme une enceinte discontinue, sans créneaux ni chemin de ronde, avec des brèches et des parties ruinées. L’aspect qu’elle présente entre les portes un peu plus fortifiées n’est pas plus impressionnant que celui d’un mur de propriété dans les faubourgs. Il semble qu’elle n’ait jamais été vraiment terminée. Dans l’ouvrage de l’inventaire consacré à la ville médiévale, les cartes sont très prudentes sur le tracé de la palissade au nord de la ville, contrairement à la carte de 1737 utilisée au début de ce billet, qui est à manier avec précaution. Je ne crois pas qu'il existe de représentation figurée de la palissade vue du nord.

La Palissade était ouverte sur les principales routes de portes que l’on appelait des portalières. Certaines étaient antérieures à la palissade et servaient de contrôle d’accès en amont de l’enceinte sur les principales voies. Dans le quartier, il y avait :
  1. la portalière de Montferrand ou du Saint-Esprit, sur l’actuelle avenue François Delmas, que Louise Guiraud fait remonter à 1260. 
  2. la portalière Notre Dame, rue du faubourg de Boutonnet, au niveau de l’actuelle place Henri Krasucki et du carrefour avec les actuelles rues Moquin-Tandon et Marie Caizergues.
  3. la portalière de Villefranche, sur le chemin de Castelnau dans son tracé antérieur à 1664.

Certaines portalières étaient cependant antérieures à la construction de la Palissade. En effet, comme elles commandaient des routes importantes, elles avaient sans doute aussi une fonction de contrôle des accès à la ville, comme plus tard l’octroi, à des emplacements souvent identiques. La portalière de Villefranche est ainsi attestée dès 1321. 

A certains endroits stratégiques s’élevaient des tours, dont la tour d’En Candelon (le « en » occitan valait particule honorifique sinon nobiliaire, comme le marque encore le souvenir de la tour d’En Canet dans l’écusson). Candelon était le nom d’un négociant attesté à Boutonnet comme propriétaire en 1257. Marcel Barral émet l'hypothèse que la tour aurait été construite sur un terrain appartenant à Candelon. Cette tour se serait élevée sur la route de Montferrier, mais Grasset-Morel indique lui qu’elle se trouvait à l’emplacement original de la croix de Pierre-Rouge. Grasset-Morel est assez imprécis dans sa description des environs, se fonde parfois sur d’Aigrefeuille qui a fait bien d’autres erreurs et surtout, l’emplacement primitif de la croix de Pierre-Rouge est aujourd’hui sous les rails du tramway. Les fouilles de sauvetage n’ayant rien révélé sur cette portion du tracé, on peut écarter cette hypothèse. Les cartes de Montpellier, la ville médiévale, donnent un autre emplacement, sur le site Tastavin de la cité scolaire Françoise-Combes. Et cet emplacement n’est pas compatible avec le tracé rectiligne de la palissade proposé par le plan de 1737, entre les portalières de Villefranche et de Boutonnet. Pour Vigié, qui écrivait à la fin du XIXe siècle, la tour d’En Candelon aurait été une portalière. Sur la route de Montferrier ? Pourquoi pas mais je ne sais que penser de toutes ces informations difficiles à concilier.

Le faubourg de Villefranche a une étymologie toute transparente : pour encourager son essor au XIVe siècle, des privilèges, notamment des exemptions fiscales, furent accordées par le roi d’Aragon à ceux qui viendraient s’y installer. Mais il y avait déjà des maisons auparavant. Louise Guiraud cite un acte attestant de leur existence dès 1196. Jean Baumel affirme que les rois de Majorque y auraient eu une maison des champs et que certains d’entre eux l’auraient préféré à leur palais intramuros. En 1320, le roi Sanche de Majorque donne un jardin et une maison lui appartenant dans le faubourg de Villefranche à la commanderie de Saint-Antoine, afin d’y établir un hôpital destiné à soigner les ardents. Le mal des ardents, ou ergotisme, était la plaie des populations médiévales. Il était dû à un champignon, l’ergot de seigle, qui pouvait se développer sur cette céréale et quelques autres. Les malades pouvaient être victimes de convulsions et d’hallucinations. L’enclos Saint-Antoine, si j’en crois le plan d’Antoine Vigié, devait se trouver sur un triangle compris entre les actuelles rue Proudhon, Lakanal et Ferdinand Fabre, sans pour autant occuper tout cet espace. Il comprenait une église dédiée à Notre Dame, qui était fréquentée aussi par les habitants du quartier. Cette église est mentionnée dès le milieu du XIIIe siècle et était donc antérieure à l’hôpital lui-même. Elle fut détruite par les protestants, comme l’hôpital lui-même en 1562. 

Les destructions de cette période divisent les auteurs sur leur nombre. Les plus zélés soutiens de la Ligue déplorent une destruction totale des édifices religieux catholiques, d’autres, plus modérés, donnent des chiffres moins impressionnants. Les édifices des faubourgs sont cependant exclus de cette hésitation, tous les auteurs insistent sur leur destruction.

Cette fureur destructrice nous peut paraître difficilement compréhensible hors du contexte de l’époque, qui est celui du début des guerres de religion. Les troupes du duc de Guise ont fait à Wassy le 1ermars 1562 un grand massacre de protestants. Les nobles protestants ont réagi en prenant les armes, sous la direction du prince de Condé, l’oncle du futur Henri IV. Après un an de combats, le précaire traité d’Amboise arrête pour un temps les hostilités. Mais entretemps Montpellier a été assiégée par le vicomte de Joyeuse, du 2 septembre au 3 octobre 1562. Pour mieux défendre la ville, le comte de Crussol, chef du parti protestant, avait ordonné la « dévastation » systématique des faubourgs. C’est la première étape de leur disparition. Bien souvent la démolition se limite aux toitures et il est alors assez facile et rapide de les remettre en état d’habitation.

La reine mère Catherine de Médicis entreprend en mars 1564 avec son fils une grande tournée dans le royaume, pour le faire connaître et contribuer à la pacification. C’est lors d’une des étapes de cette tournée que le quartier a les honneurs d’une visite royale. 


Charles IX peint par François Clouet quelques mois après son passage à Montpellier - Fondation Bemberg Toulouse 

Le dimanche 17 décembre 1564, le roi Charles IX, accompagné de sa mère, de son frère le  duc d'Orléans, futur Henri III et de leur cousin Henri de Navarre, le futur Henri IV, arrivent à Montpellier. C'est un groupe de très jeunes gens qui accompagne la Régente. Le roi a quatorze ans, Orléans treize et Navarre vient de fêter ses onze ans quatre jour plus tôt. Avec une suite nombreuse et brillante, le roi fait là l’une des étapes d’une sorte de tour de France. Après avoir dormi à Saint-Brès, il doit retrouver à Montpellier M. de Villeneuve, qui en est le gouverneur. Celui-ci possède un jardin sur la route de Nîmes face au couvent de Saint-Maur, qui a donné son nom à une avenue du quartier des Aubes. Le bulletin de la société archéologique de Montpellier identifie en 1882 le lieu du jardin de Villeneuve à l’emplacement de ce qui est alors le dépôt des tramways à chevaux, sur le site de l’actuelle école des Beaux-Arts. Cette localisation est confirmée par un plan de 1683 conservé à Vincennes aux archives du génie et cité dans Montpellier, la ville médiévale, page 230 (l’ensemble des sources utilisées pour le feuilleton est disponible ici). Selon la coutume du temps, un pavillon provisoire fait de bois et de toile a été dressé pour la visite royale. Charles IX y reçoit les corps constitués avant de faire son entrée officielle dans la ville, par la porte du Pila Saint-Gély en avant de laquelle on a construit pour l’occasion un arc de triomphe lui aussi provisoire. 

La visite royale n’a pas dû rassurer longtemps la population locale, car de nouveaux travaux défensifs sont faits en 1567 et 1568, avec la construction de demi-lunes sur le front nord de l’enceinte, en avant de la porte des Carmes et de celle de la Blanquerie. En 1577, un nouveau siège entraine de nouvelles destructions dans les faubourgs, qui s’en relèvent une nouvelle fois. En 1596, une nouvelle demi-lune est construite en avant de la porte du Pila Saint-Gély

Le faubourg du Pila Saint-Gély tire son nom de la porte qui le faisait communiquer avec la ville intra-muros. Là encore le sens est assez transparent, le pila, en oc, c’est le pilier et Gély n’est autre que la version occitane de Gilles. Marcel Barral indique que le pilier serait une allusion à une borne marquant la limite entre les possessions du roi d’Aragon (Montpellier), et Montpelliéret, dépendant des évêques de Maguelone.

Le journal transversal de la culture off a réalisé une reconstitution en 3D de la porte dans son état médiéval. On peut la visionner ici

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