Pierre-Rouge : 9- Le siège de Montpellier en 1622

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Louis XIII par Rubens, vers 1622-1625 (domaine public - Wikimedia commons)

A l’automne 1622, Louis XIII depuis le domaine de Méric, peut observer la ville de Montpellier, qu’il assiège depuis juillet, en sachant que ses efforts touchent à leur terme et que la ville rebelle va bientôt céder. Le portrait de Rubens qui date de cette période ou des années immédiatement postérieures présente un souverain jeune, en roi de guerre, à l'image de ce qu'il devait montrer lors du siège de Montpellier.

Montpellier était alors l’une des places de sûreté accordées aux protestants depuis la paix de Bergerac de 1577, confirmée par l’édit de Nantes du 30 avril 1598. Pourtant, les Huguenots montpelliérains, trop surs d’eux-mêmes, n’avaient pas jugé utile de se remparer de façon moderne : la commune clôture avait été entretenue, des herses changées, les pont-levis réparés, plusieurs demi-lunes et deux bastions construits, mais l’ensemble manquait de cohérence. Les faubourgs, atteints par les destructions de 1562 et 1577, s’étaient au moins en partie relevés. Le 31 décembre 1620, les consuls de Montpellier votent l’emprunt nécessaire à la mise en sûreté de la ville et le 29 mars 1621, ils décident de faire appel à un ingénieur. Les travaux ont commencé sans plan d’ensemble et sans cet ingénieur. L’ingénieur militaire Pierre Conty d’Argencourt se charge de la construction de la nouvelle enceinte. Manquant de temps, d’Argencourt ne part pas d’une feuille blanche mais utilise ce qui a été fait depuis plusieurs années et lui donne une cohérence. Il ne termine les plans des derniers bastions qu’en décembre 1621 alors que de larges portions de l’enceinte sont déjà terminées. Celle-ci comprend désormais « seize bastions, tenailles ou demi-bastions, plusieurs demi-lunes et cornes bien accommodées ». Alors que les travaux des autres portions sont bien documentés, les auteurs de Montpellier monumental n’ont pas trouvé d’informations précises sur les travaux du front nord, qui semblent avoir commencé en janvier 1622. Tous les habitants ont été mis à contribution pour construire cette enceinte faites de matériaux de remploi en un temps record.

En 1621, alors que Louis XIII met en vigueur des textes en faveur des catholiques, les assemblées régionales des protestants, les cercles, se transforment en gouvernements militaires, sous l’influence du duc de Rohan. Le rejeton de cette illustre famille dont la mère du duc disait avec orgueil « Roi ne puis, duc ne daigne, Rohan suis », est aussi le gendre de Sully, l’ancien principal ministre de Henri IV. Le jeune Louis XIII ne peut accepter la prétention des cercles, qui constitue une véritable sédition. C’est donc logiquement que le roi entame une campagne militaire dans les provinces pour reprendre le contrôle de ses bonnes villes.

A Montpellier, les élites locales protestantes comprennent que le tour de la ville est pour bientôt. Ils prennent donc une série de mesures pour s’y préparer. D’abord ils déposent le premier consul de la ville, l’équivalent ancien du maire, Jean d’Alard, qu’ils jugent trop mou. Ils le remplacent par un magistrat, riche propriétaire terrien, Pierre d’Aimeric. Par aphérèse, son domaine du bord du Lez, le mas d’Aimeric, est devenu le mas de Méric. Aimeric fait ce que ses partisans attendaient de lui. Il lève des impôts, enrôle des troupes, réquisitionne les métaux et fait surveiller les catholiques. Le 20 novembre 1621, la messe est interdite par le cercle dont dépend Montpellier et les catholiques peuvent désormais être arrêtés et détenus au moindre soupçon de traitrise. Le cercle décide aussi de l’édification de fortifications. Sous prétexte d’éviter qu’ils servent de refuges trop faciles à défendre aux catholiques, le cercle décide aussi de détruire les églises, couvents et autres bâtiments qui pourraient avoir le même usage. Les matériaux doivent servir à la construction de l’enceinte

En décembre 1621, les réformés les plus enragés, malgré la désapprobation des modérés, détruisent 9 églises et 30 chapelles. C’est le « grand harlan » des églises de Montpellier. Les cloches des églises sont fondues pour faire canons et boulets. Après les destructions du siège de 1562 et de 1577, ces décisions condamnent les faubourgs de Montpellier à la disparition pure et simple. Car cette fois, pour faire place aux fortifications, on ne se contente pas d’abattre les toitures, on détruit à fleur de terre. On abat aussi les arbres sur la portée de deux mousquetades à partir de la ville ou des bastions. Le bois est récupéré pour les travaux ou comme combustible.

Sur le papier, les forces en présence pourraient sembler égales. Le jeune roi Louis XIII aligne 4000 hommes et 43 pièces d’artillerie, les protestants ont 4000 hommes aussi. Les maisons des catholiques qui ont fui servent à loger les combattants venus en renfort des Cévennes et de la région de Castres. En outre, les assiégés ont expulsé de la ville les non combattants et prétendent avoir assez de blé pour tenir deux ans.

Le 7 juin 1622, le maréchal de camp Zamet cherche à priver les montpelliérains des foins, fruits et blés encore sur pied autour de la ville. Il fait récolter pour son compte et brûler ce qu’il ne peut emporter. Prévenus, les insurgés font sortir huit cent hommes afin de sauver en urgence tout ce qui pouvait l’être en fait de nourriture. Les troupes de Zamet reçoivent le renfort de la cavalerie de Montmorency et la moisson dégénère en bataille. D’après la biographie du frère du maréchal de camp, l’évêque Sébastien Zamet, la moisson de Montpellier était en fait une ruse destinée à inciter les assiégés à sortir. Le duc de Montmorency se vanta d’avoir à cette occasion fait 500 victimes, le biographe de Zamet, avance le chiffre de 600. Tous deux paraissent très exagérés au regard des bilans établis par les historiens.

Par InconnuUnknown author (old drawing) [Public domain], via Wikimedia Commons

Le siège aurait pourtant pu encore être évité. Le duc de Rohan a négocié des conditions de paix avec le connétable de Lesdiguières, qui vient tout juste de se convertir au catholicisme. Tout est prêt pour l’entrée de Louis XIII à Montpellier lorsque le prince de Condé prend l’initiative très fâcheuse de promettre à ses soldats qu’ils pourront se livrer au pillage une fois la ville prise. Apprenant cela, les consuls refusent l’entrée au roi, qui décide le 29 août d’assiéger la ville. Deux jours plus tard il déploie ses troupes entre le Lez et la route de Ganges et s’installe au mas d’Aimeric. Dès les premiers jours de combat, les victimes sont nombreuses dans le camp des royaux. Le maréchal de camp Zamet décède après avoir eu la jambe emportée par un boulet le 3 septembre.

Après une vaine tentative début septembre pour prendre la butte Saint-Denis, l’actuelle citadelle, le roi décide le pilonnage systématique des trois bastions situés dans le quartier, sur la rive gauche du Verdanson : le bastion de la Blanquerie ou bastion noir (site de l’actuel collège de La Salle), la demi-lune d’Argencourt (entre les actuelles rues Ferdinand Fabre, Lunaret, Lakanal et le quai du Verdanson), et le bastion de la Blanquerie ou bastion blanc (partie sur la rive droite et tout le reste sur l’actuel emplacement de la maison des petites sœurs des pauvres). Entre le 8 septembre et le 10 octobre 1622, l’armée royale tire 8569 boulets sur la ville. Rien d’étonnant à ce qu’on en retrouve parfois encore à l’occasion de travaux. Le 18 septembre 1622, une crue du Verdanson emporte une centaine de soldats, des lansquenets de l’armée royale. Rien ne semble pourtant arrêter la poussée des royaux. Dans la seule journée du 20 septembre, 1101 boulets sont tirés. Le 2 octobre, ce sinistre record est battu avec 1200 boulets tirés. Les montpelliérains repoussent avec bravoure les assauts consécutifs à ces préparations d’artillerie qui rappelleraient presque la guerre des tranchées. Afin d'éviter que le conflit ne se prolonge, le roi fait venir 4000 soldats en renfort, avec 500 chevaux.

Quelques jours plus tard, une trêve est signée et l’élan guerrier marque le pas dans les deux camps. On compte environ 500 morts du côté des assiégés, mais six fois plus du côté des royaux. Le 19 octobre, la paix est signée entre Louis XIII et Rohan. La ville obtient le pardon du roi, mais doit détruire les fortifications édifiées pour le siège. C’est pour cela qu’elles n’ont pas laissé de traces dans le paysage. Les habitants doivent s’en charger eux-mêmes selon le système médiéval des jours de corvée. L’essentiel est fait en 1622 et 1623 mais certaines portions tarderont longtemps à disparaître. Les consuls demandèrent encore à Louis XIV en 1682 l’autorisation de détruire des ouvrages de fortification avancés.

En revanche la butte Saint Denis est bientôt recouverte d’une citadelle, dédiée au logement des soldats et à la surveillance de la ville, construite de 1627 à 1629 sur les plans de Jean de Beins, l’un des précurseurs de Vauban. Rohan essaiera en vain de reprendre la ville en 1628, mais c’en est bien fini désormais de Montpellier comme place forte protestante. Montpellier est désormais ville royale et le restera jusqu’à la Révolution. Pour le quartier, une longue parenthèse plus champêtre qu’urbaine a commencé. 

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