Pierre-Rouge : épisode 4 - le Verdanson
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Lors d’une crue du Verdanson, le 19 septembre 1989, j’ai vu un homme y faire du kayak sur les eaux boueuses, partagé entre l’admiration devant l’exploit et l’agacement devant l’inconscience du bonhomme. Quelques jours plus tard, même si graviers et branches d’arbres encombraient encore le lit bétonné du Verdanson, il avait retrouvé son débit de ruisseau. Un pissoulet disaient nos anciens.
Comme beaucoup de noms propres, celui du Verdanson a pu varier à travers les âges. D’après Roland Jolivet, qui lui a consacré un livre au ton léger mais d’une grande érudition, on l’a appelé Rieu Banson, Ribanson, Merdanson ou Verdanson. S’appuyant sur les travaux de l’étymologiste Paul Fabre, il règle son compte à la croyance populaire qui explique le nom de Merdanson par le statut d’égout de la rivière, qui recevait autrefois les déchets des particuliers, des tanneries et des moulins. En effet, on trouve ce nom dès 1138, bien avant que la pollution ne le caractérise (une fabrique de produits chimiques installée au milieu du XIXe siècle vers le stade Philipidès a fait beaucoup pour sa mauvaise réputation). Pour Paul Fabre, c’est le lit rocheux du ruisseau qui lui aurait donné son nom. Mais depuis le XVIIIe siècle, c’est la version plus présentable de Verdanson qui a fini par l’emporter.
Si, à l’époque des chasseurs paléolithiques, il a sans doute été une vraie rivière, que les restes de campement peuvent même laisser devenir poissonneuse, il a son débit irrégulier depuis l’antiquité. Les Romains ne crurent pas bon de bâtir un pont pour le traverser et c’est un simple gué, détruit seulement en 1961, qui faisait franchir le ruisseau à la Voie Domitienne.
Le Verdanson est un affluent du Lez qui prend sa source à la limite communale entre Montpellier et Grabels, au lieu-dit de la Tuilerie de Massane qui fut chère à Joseph Delteil. Il traverse les quartiers de Malbosc et du château d’Ô, puis longe la Colombière, passe sous la voie domitienne tout près de son carrefour avec l’avenue du Père-Soulas. Alors qu’il suivait jusque-là une orientation sud-est, le Verdanson fait un coude plein est, rejoint le stade Philippidès et l’ancien hôpital Saint-Charles. Partiellement recouvert pour créer les axes prioritaires de bus puis le tramway, le Verdanson au lit bétonné sert depuis les années 1980 le terrain de jeu à des artistes de rue plus ou moins doués. Au-delà de la place du 11 novembre où le rejoignait jusqu’au début du XXIe siècle le ruisseau de Chambéry, il traverse le quartier des Aubes avant de se jeter dans le Lez.
C’est dans sa portion entre la place Albert Ier et la place du 11 novembre 1918 qu’il m’intéresse, puisque c’est celle qui traverse mon quartier. Il y présente un aspect assez uniforme. Lorsqu’il n’est pas recouvert par des voies de circulation, il est encaissé, avec des berges maçonnées. Des quais y ont été progressivement édifiés au XIXe siècle, resserrant son cours et régularisant sa pente pour éviter les eaux stagnantes et leurs odeurs.
Le Verdanson recouvert au carrefour de la rue de Villefranche avec l'école maternelle Jean-de-La-Fontaine à droite - octobre 2018 (collection personnelle) |
Un jour ordinaire, le Verdanson n’a l’air de rien dans cette partie de son cours. Pendant la saison estivale, il est même bien souvent à sec. Pendant les pluies de la mauvaise saison, il est encore capable de colères impressionnantes, mais il est bien moins dangereux qu’autrefois. Sous l’ancien régime, au hasard des écrits, on trouve mention de nombreuses crues spectaculaires. Celle de 1315 se vit attribuer la responsabilité d’une terrible épidémie de peste qui commença peu après. En 1622, le Verdanson noie une centaine de lansquenets de Louis XIII qui assiégeaient Montpellier, protestante et rebelle à son roi. En 1695, la crue emporte les murs des jardins compris entre l’hôpital général et la route de Nîmes ; l’absence de mention de maisons détruites par cette crue montre que cette partie du quartier était alors tout à fait rurale. La crue du 30 septembre 1723 emporte les parapets de trois ponts sur le Verdanson : le pont des Carmes, celui de la Blanquerie (remplacé quelques années plus tard par le pont des tanneurs) et celui de la boucherie. Entre 1861 et 2005, date des derniers travaux importants, le Verdanson a subi 31 crues, dont certaines avec quelques jours d’écart, et une récurrence souvent concentrée sur les mois de septembre et octobre.
carte postale (collection personnelle) |
En 1886, le journal L'Eclair se plaignait régulièrement des accidents qui avaient lieu en l'absence de parapet. Il dut être exaucé dans les années qui suivent, mais le parapet n'était peut-être pas assez solide. Sur cette carte postale représentant la crue de 1907, une croix matérialise l'endroit où se noya un jeune homme en 1893. Roland Jolivet raconte comment le soir du 29 août 1893, les frères Astric, âgés de 20 et 17 ans, et leur domestique Nougailhac, profitent d'une éclaircie pour essayer de regagner leur domicile, 9 quai des tanneurs. Comme la chaussée est inondée, ils montent sur le parapet, qui s'effondre. Seul le plus jeune parvient à regagner la rive, l'aîné et le domestique périrent et leurs corps furent retrouvés plus loin en aval.
Depuis les années 1930, le lit du Verdanson est bétonné sur toute la partie de son cours qui traverse le quartier. Annoncé en 1993, le bassin de rétention de la Colombière tempère en amont les sautes d’humeur du Verdanson. De nos jours le risque d’inondation à partir du Verdanson a été très fortement réduit.
Les ponts étaient autrefois un point de repère commode. En suivant le cours du Verdanson dans le quartier, on trouvait d’abord le Pont des Carmes. Il reliait l’hôpital général (actuelle place Albert Ier) à la route de Mende via la rue du faubourg Boutonnet. D’abord très étroit, il a été agrandi deux fois, en 1780 puis en 1897, avant d’être remplacé par une dalle recouvrant largement le lit du Verdanson. Cette couverture avait notamment pour objectif de créer un itinéraire prioritaire pour les bus, qui a préfiguré l’actuelle ligne de tramway.
Venait ensuite, le pont des tanneurs, dans l’axe de l’actuelle rue Ferdinand Fabre, construit en 1729. D’après Grasset-Morel, il a dû être reconstruit l’année même de son inauguration, s’étant écroulé sur son entrepreneur.
Un peu plus à l’est on trouvait le pont de Villefranche, construit entre 1866 à 1868. Comme le pont du Pila Saint-Gély, c’est le lotissement des abords des abattoirs neufs après 1851 qui a entrainé sa construction. Il mettait en communication les deux parties de la rue de Villefranche que séparait le Verdanson. Même si elle évoque un ancien faubourg médiéval, la rue de Villefranche n’a été ouverte qu’en 1833 à travers des terrains appartenant à la famille Lunaret. Il a été détruit lors de la couverture partielle du Verdanson entre 1984 et 1985.
Cette couverture, comme souvent à Montpellier, est restée très longtemps à l'état de projet. Le 21 juillet 1884, au conseil d'arrondissement de Montpellier, Louis Giraud fait adopter un voeu de couverture. La dernière épidémie de choléra de l'histoire fait rage à Marseille cette année là, avec un bilan lourd de 1777 morts. A Montpellier on craint la contagion et comme on ne sait pas encore d'où vient la maladie, on craint que les odeurs d'égout n'en soient la cause. Giraud fait lui-même référence à un projet ancien qui semble abandonné. Les 5 et 6 avril 1882, Le petit méridional avait présenté brièvement ce projet estimé à 80.000 francs, dont la moitié de la charge aurait été supportée par l'armée, car il s'agissait de préserver des miasmes les militaires logeant dans la citadelle car la portion visée était plus en aval : celle qui sépare la voie de chemin de fer de la route de Nîmes du confluent avec le Lez en aval de Rimbaud. Le journal radical avançait la somme colossale pour l'époque de 500.000 francs or pour mettre en oeuvre une couverture totale, hors de portée des finances municipales alors qu'il n'était pas question de mettre les riverains à contribution. Les travaux auraient pu se dérouler par tranche, mais il n'y eut pas de commencement d'exécution.
Le pont du pila Saint-Gély avait été construit en 1854 par l’entrepreneur nîmois Louis Chardon. La fontaine du pila Saint-Gély, aujourd’hui disparue, était construite sur une source découverte en 1465 sur la rive gauche du Verdanson. Comme la traversée était jugée dangereuse, une canalisation fut établie sous le lit du Verdanson pour rendre l’accès plus facile aux habitants de l’Écusson. Le débit de cette source diminua avec le temps et la fontaine fut démolie en 1851 parce qu’elle gênait la circulation. Lors des fouilles du tramway, on n’a pas retrouvé trace de la source qui, selon Grasset Morel, se trouvait dans la cave d’une maison particulière à la fin du XIXe siècle.
Enfin, menant à la route de Nîmes se trouvait le pont des Augustins. Élargi entre 1831 et 1835, il était flanqué d’un bureau d’octroi, reconstruit à la même période. La partie correspondant à l’entrée de ce bâtiment qui évoque un temple grec a été déplacée quelques mètres plus loin et transformé en fontaine en 1985. L’octroi est une forme de douane locale sur les marchandises qui a perduré jusqu’en 1948.
Ces ponts ont été remplacés à leur tour par des tunnels et le Verdanson a été partiellement recouvert, dans l’espoir jamais tout à fait comblé de fluidifier la circulation automobile. Depuis que Montpellier a adopté le nouveau tramway, c’est la logique inverse qui prévaut et la place dédiée à la voiture le long du Verdanson a plutôt reculé.
L'ensemble des sources utilisées pour l'écriture de ce feuilleton, ainsi que les remerciements aux personnes qui ont bien voulu m'offrir leur aide, est détaillé ici.
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