Pierre-Rouge : épisode 5- le ruisseau de Chambéry et son affluent disparu

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Lorsque j’étais lycéen à Pierre-Rouge, les salles de français et de langues vivantes étaient à l’étage d’un grand bâtiment qui donnait sur le Chambéry. Après de fortes pluies, lorsque le susceptible ruisseau baissait d’un ton, il pouvait se mettre à puer horriblement. Avec la multiplication des constructions le long de son cours depuis le XIXe siècle, il était devenu la plaie du quartier. Cette page de son histoire est aujourd’hui terminée et le Chambéry se ferait presque oublier.

La grille donnant sur le Chambéry, avenue de Castelnau en octobre 2018 (collection personnelle)

En le franchissant, rue de Nazareth, avenue de Castelnau ou rue Lunaret, le piéton n’a jamais l’impression de passer sur un pont. Des grilles cadenassées de chaque côté de la rue donnent sur le canal bétonné qui correspond à son tracé actuel. Mon vieil ami Sébastien, qui est comme moi un enfant du quartier, rêvait de pouvoir partir à l’aventure le long de son cours et maudissait ces grilles fermées. Je suis d’un tempérament moins aventureux et j’aurais plutôt eu peur de tomber depuis la hauteur de la rue, qui me semblait considérable. Le cours du Chambéry n’a pas toujours été aussi profond et Il a été canalisé depuis bien longtemps dans les terrains qu’il traverse. 

Le ruisseau de Chambéry est un affluent du Verdanson. Roland Jolivet préfère lui donner son ancien nom de Valadet, couramment employée jusque tard au XIXe siècle. Au Moyen-âge, le Valadet marquait la limite de l’urbanisation du faubourg de Villeneuve, qui fut anéanti lors des guerres de religion. 

Le Chambéry depuis la rue Lunaret, octobre 2018 (collection personnelle)

Le ruisseau de Chambéry était comme le Verdanson sujet à des crues soudaines et violentes. En majeure partie recouvert, son lit est bétonné sur une grande longueur. 

A partir de la rue de la Cavalerie, son cours est souterrain. Mais il n'en a pas toujours été ainsi. Il longeait encore les terrains de sport du père Prévost lorsque j'étais enfant. Je me souviens qu'il y avait des bouquets de roseaux le long de son cours, pour l'avoir longuement observé lorsque mon arrière-grand-père allait jouer à la pétanque, au terrain qui était alors situé à l'angle de la rue de Substantion. La résidence de la Pierre-Rouge fut construite au milieu des années 1980 sur le terrain traversé par le cours du Chambéry.


Archives municipales de Montpellier 2Fi405 - sans date (partie droite du plan, le cours du Chambéry est surligné en bleu)
Le chemin du Jeu-de-Mail des Abbés n'est pas l'actuelle rue du même nom, tracée ultérieurement plus au nord. Les deux bâtiments parallèles sont sans doute les dépôts du tramway à cheval et sont englobés dans les constructions de l'actuelle école des Beaux-Arts.

Le Chambéry rejoignait avant 2005 le Verdanson sous la place du 11 novembre 1918, à quelques mètres de la station de tramway Corum. Ce raccordement à angle droit contribuait à rendre ses crues dangereuses.

Dès 1893, des pétitionnaires écrivent au maire de Montpellier. Ils se plaignent du débordement du ruisseau, dont le lit n’est alors pas assez profond à l’endroit où il franchit le chemin de Nazareth. A la moindre pluie un peu violente, le Chambéry déborde sur la rue de Nazareth qu’il peut transformer en torrent. Pour éviter ce phénomène, les riverains demandent la construction d’un ponceau,  semblable à celui qui existe quelques dizaines de mètres en aval sur l’ancien chemin de Castelnau. Un ponceau est un ouvrage de franchissement étroit, à une seule arche, ainsi désigné parce qu’il ne mérite pas vraiment le nom de pont. Les pétitionnaires expliquent que si certains terrains bien remblayés sont à l’abri des foucades du Chambéry, d’autres sont régulièrement inondés, ce qui diminue leur valeur. Soit ils ne sont pas construits, soit leurs occupants sont pauvres, voire franchement indésirables aux yeux de certains. Ainsi, le long de la rue Abert, à peu près à l’endroit où le père Prévost fit plus tard édifier la « cour des miracles » de l’enclos Saint-François, se trouvait un terrain vague que venaient régulièrement occuper les roulottes de ceux que l’on appelait alors les « bohémiens ». Le Petit méridional du 14 mars 1890, cité par Roland Jolivet, dénonce le « foyer d’infection » de la rue Abert :« quel est celui de nos lecteurs, qui traversant cette rue ou par hasard ou par nécessité, n’a pas été incommodé par la puanteur qui s’en dégage ! Les ordures jetées pêle-mêle au milieu des fumiers des chevaux ou des ânes étiques des bohémiens qui logent là avec leurs voitures ambulantes, répandent dans tout le quartier une odeur nauséabonde. »

En 1925, nouvelle pétition. Les riverains exaspérés par les inondations demandent le déversement du Chambéry dans le Lez au moyen d’un tunnel de 800 mètres de long. Les difficultés techniques et le coût entrainent une réponse négative de la municipalité. 

Au début des années 2000, le Chambéry fait encore et toujours l’objet de plaintes récurrentes. Il inonde alors régulièrement le parking de la résidence de Pierre-Rouge. En 2004 commencent de nouveaux travaux, liés notamment au passage du tramway. Le Chambéry est recalibré et l’angle presque droit qu’il faisait entre le terrain du père Prévost et la route de Nîmes est supprimé. Son petit affluent, ou branche est, est déconnecté du reste du ruisseau. Lui aussi s’est souvent fait remarquer par des débordements. Lors de la crue des 26 et 27 septembre 1907, il y avait 70 centimètres d’eau au carrefour de la Pierre-Rouge. L’affluent du Chambéry circule actuellement sous la rue de Montasinos, le jeu de mail des abbés et la rue Beau séjour. Roland Jolivet atteste l’avoir vu apparent au niveau du christ de l’avenue de Castelnau au début des années 1980. Ma mère en revanche ne s'en souvient pas du tout.

Je suis donc parti à la recherche de l'affluent perdu dans les plans d'alignement des archives municipales. Et je n'ai pas eu à chercher bien longtemps. Un plan d'alignement d'avril 1889 le montre courant le long de la rue de Montasinos dans un fossé creusé pour lui. Le plan indique "fossé maïre des abbés", ce qui me laisse un peu perplexe. Est-ce une déformation de mail ? Je note aussi avec intérêt que le carrefour de la Pierre-Rouge est représenté pavé alors que les chaussées autour ne le sont pas.


Archives municipales de Montpellier - 10 Fi 22  (photographié et assemblé par mes soins)

Je me souviens que, lorsque j’étais enfant, habitait au 38 rue de Castelnau une demoiselle Deltour, que ses amis appelaient avec une respectueuse familiarité Gaby. Cette digne octogénaire, née en 1906, avait hérité cette maison de ses parents qui y tenaient autrefois une épicerie. Elle devait enjamber une protection d’une trentaine de centimètres de hauteur, placée devant sa porte d’entrée pour éviter les inondations. Les pièces du rez-de-chaussée de sa maison se trouvaient plus bas que le niveau de la chaussée, peu à peu élevé par les aménagements de voirie successifs. L’orage et le bruit de la pluie n’évoquaient pas pour Gaby Deltour de poétiques phénomènes naturels, mais des nuits d’insomnie où, armée de seaux et de serpillières, elle essayait d’éviter de nouveaux dégâts dans sa chère petite maison. Ces dernières années, le carrefour de la Pierre-Rouge n'est plus inondé. 

Le pas de porte de l'ancienne maison Deltour, avec les deux logements des barrières anti-inondations - octobre 2018 (collection personnelle)

En 2005, un nouveau cours souterrain est creusé pour le Chambéry. Un impressionnant tunnelier est utilisé pour mettre assurer un diamètre de 2,80 mètres à cette rivière souterraine. Le Chambéry poursuit désormais son cours sous la voie ferrée, passe sous l’avenue de Saint Maur, le boulevard Warnery et la rue de la pépinière. Il rejoint donc toujours le Verdanson, mais beaucoup plus en aval qu’autrefois et en suivant un itinéraire moins sinueux, plus pentu et au débit plus important.

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