Pierre-Rouge 10 : Quelques éléments sur le faubourg Boutonnet

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Un petit préambule avant de commencer ce billet. L’histoire de la seigneurie et du faubourg de Boutonnet reste largement à écrire. Ce qui suit est une compilation de sources imprimées très inégales et doit être pris avec précaution. Je dois aussi beaucoup aux travaux jamais publiés de René Claude Sutra, qu'elle a bien voulu me confier. Je ne me propose pas de traiter l’ensemble de la seigneurie de Boutonnet, qui déborde de beaucoup le cadre géographique que je me suis fixé. Il s’agit plus modestement ici de poser ce morceau de quartier dans son contexte, quitte à y revenir pour des billets thématiques un peu plus tard. 

Marcel Barral explique l’étymologie de Boutonnet par dérivation de l’occitan « boton », qui voudrait dire borne. Cela renverrait à la limite entre la seigneurie de Boutonnet et celle de Montpelliéret, qui était à l’évêque de Maguelonne. C’est le seigneur qui aurait pris le nom de la seigneurie, et non l’inverse. Cette borne était matérialisée par un « pain de sucre », construction pyramidale en pierres, qui marquait autrefois la limite du quartier Boutonnet, tout près de la portalière Saint-Vincent, là où se trouve aujourd’hui la place Henri Krasucki.  Ce pain de sucre est désigné dans plusieurs plans anciens comme étant aussi le pilori de la justice de Boutonnet. 

Le faubourg Boutonnet était donc sous l’ancien régime une seigneurie indépendante de Montpellier et dont le suzerain était l’évêque de Maguelonne. La seigneurie est attestée dès 1190 par une charte qui cite trois frères comme seigneurs : Raymond, Berenger et Jon, fils de Guillaume Aldaguer. Il a existé au moins deux châteaux successifs à Boutonnet, dont le plus ancien aurait été à l’emplacement de l’actuelle cité universitaire. C’est près de ce premier emplacement que les Carmes se seraient initialement implantés en 1250, avant de déménager à l’emplacement actuel de l’ancien hôpital général. Autre attribut seigneurial, l’existence d’une garenne, qui a laissé son nom à une rue de la Garenne, parallèle à la rue Moquin-Tandon. Il y a aussi dû y avoir un four, qui n’a pas laissé de trace dans les noms de lieux.

S’il existe en continu depuis le XVIIe siècle des maisons le long de l’actuelle rue du faubourg de Boutonnet, les constructions ont longtemps constitué dans le faubourg un tissu urbain très relâché, où jardins, olivettes et vignes ont longtemps résisté par places. Grasset-Morel rappelle l’existence d’une corporation des jardiniers de Boutonnet, sur laquelle Xavier Azéma donne d’intéressants détails. Grasset-Morel signale aussi l’existence d’une île des aires, aire signifiant ici champs cultivés, le long de l’actuelle rue Lakanal, où l’on ne commença à construire qu’en 1846. La rue de la Tuilerie, entre celle du Faubourg et la rue Lakanal, rappelle la présence d’une fabrique de tuiles et de poterie commune. D’autres ateliers de potiers se trouvaient plus loin le long du Verdanson.

Il existait une église Notre-Dame, desservant un couvent mais ouverte aux habitants, à l’angle nord-ouest des actuelles rues Moquin-Tandon et du faubourg de Boutonnet. Cette église fut détruite une première fois lors de la construction de la palissade vers 1360. Située juste après la portalière Saint-Vincent, elle constituait un point faible pour la défense de la ville. Relevée en 1368 avec l’appui du pape Urbain V, l’église Notre-Dame de Boutonnet est à nouveau détruite en 1562 par les Protestants et malgré les demandes des habitants du quartier, ne fut jamais reconstruite. En 1751 l’évêque voulut fonder une nouvelle paroisse, Saint-Acace, qui aurait desservi aussi bien Boutonnet et ses 1300 ou 1500 âmes que le faubourg du Pila Saint Gély et de la Blanquerie. Mais à chaque fois que les habitants tombaient d’accord avec l’évêque pour l’emplacement de la nouvelle église, le seigneur de Boutonnet s’y opposait en justice. Il fut question à plusieurs reprises d’utiliser pour le service divin la chapelle des Récollets. Il faut attendre 1791 pour que cela se concrétise, encore que très brièvement. Gérard Cholvy se demande, de façon solidement argumentée, si ce long délaissement n’a pas conduit le quartier à se détourner d’une pratique religieuse malcommode. A Boutonnet, la rue Saint-Acace a longtemps perduré puis est devenue la rue Moquin-Tandon, botaniste montpelliérain fameux au XIXe siècle.

Emplacement de l'église Notre-Dame de Boutonnet, à l'angle de la rue du faubourg Boutonnet et de la rue Moquin-Tandon
(octobre 2018 - collection personnelle)

En 1567, les armées catholiques campent à Boutonnet. Il manque le toit de nombreuses maisons suite aux destructions. Le quartier doit s’en relever assez vite car en 1609, Henri IV autorise la tenue du marché de Boutonnet, une fois par semaine le jeudi et 4 foires par an : le 1erjanvier, pour la Sainte-Croix (mars), pour la Saint-Laurent (août) et pour Saint Simon et Saint Michel (septembre). La foire est reportée au jour suivant lorsqu’elle tombe un dimanche. Supprimé, sans doute après le siège et de 1622 et ses destructions, ce marché est rétabli en 1648. 

Au XVIIIe siècle, Boutonnet était le faubourg le plus construit de la ville. Un descripteur anonyme qui écrit en 1768 indique que la Blanquerie et Boutonnet comptent ensemble 89 maisons. D’après lui, le faubourg comptait plusieurs ermites mendiants, chacun vivant selon son bon vouloir, sans former de communauté. 

Le faubourg Boutonnet fut plus directement impliqué dans les troubles révolutionnaires. Jean-Claude Gégot raconte que le quartier fut le théâtre de l'unique révolte de subsistance de la Révolution à Montpellier, en février 1796. Partis de Boutonnet, près de 500 manifestants se rendirent devant la municipalité en criant "vive Marat!" ou "le pain à 5 sous", c'est-à-dire 25 centimes alors qu'il est à 22 francs au prix public et 66 au marché noir. L'émeute est un échec et la pénurie dure encore de longs mois à Montpellier. 

Y-a-t-il eu aussi à Boutonnet une carrière de pierre comme le dit le descripteur anonyme de 1768, dont les pierres auraient eu le même usage que celles de Pignan ou de Saint-Jean-de-Védas, c’est-à-dire les voûtes, refends et aqueducs ? Je n’en ai pas trouvé d’autre mention.

Une impasse qui évoque encore une voie de village


Avant de quitter le faubourg Boutonnet, mais j’y reviendrai de façon thématique dans d’autres billets, je voudrais dire quelques mots de l’ancienne cité d’urgence. L’hiver 1954 fut très rigoureux. Dans un pays qui peinait à se reconstruire après la Seconde guerre mondiale, les logements manquaient. Et quand ils ne faisaient pas défaut, ils n’étaient pas toujours bien chauffés. Les températures fortement négatives firent donc des morts. Prêtre, résistant, puis député, l’abbé Pierre a déjà une notoriété suffisante pour accéder aux ondes et essayer d’influer sur le cours des choses. Son appel à « l’insurrection de la bonté » lui valut une notoriété durable qui a pris en 2024 une tonalité très différente avec les révélations sur son comportement avec beaucoup de femmes.

A Montpellier, l’hiver 1954 fut marqué par une tempête de neige les 5 et 6 février. Il tomba 30 centimètres de neige. C’était bien peu comparé aux 85 cm de Perpignan, mais c’était assez pour paralyser la ville et révéler que la ville aussi comptait nombre de mal logés et de sans logis. L’une des solutions proposées par l’abbé Pierre était la construction de cités d’urgence. Dans le quartier, du côté sud de la rue Marie Caizergues fut ainsi créée la cité d’urgence Hippolyte Fulcrand, constituée d’une cinquantaine de pavillons modestes, faits de matériaux préfabriqués, entourés d’un jardinet. A la fin des années 1980 et au début des années 1990, quand je revenais de mon cours hebdomadaire de piano en passant par la rue Marie Caizergues, je voyais avec quel soin étaient tenus certains de ces jardinets. Malgré des propositions de relogement toutes proches, certains occupants ne partirent pas volontiers. Vétustes et impossibles à mettre aux normes, les pavillons furent détruits entre 1992 et 1994 et remplacés par de petits immeubles collectifs, les résidences Marie Caizergues, Sébastien Bourdon et Nicolas Mignard. La densification est cependant bien passée par là : 166 logements ont succédé à la cinquantaine de maisonnettes. 

rue Marie-Caizergues - les résidences qui ont remplacé les maisonnettes (octobre 2018 - collection personnelle)

Il a longtemps existé un garage station-service à l’angle des rues du faubourg Boutonnet et de la rue Marie-Caizergues. Détruit, il a été remplacé en 2007 par la place Henri Krasucki. La même année, l’obligation de ravalement de façade tous les dix ans est étendue à Boutonnet. Des travaux de voirie au début des années 2010 ont contribué à l'embourgeoisement du quartier autour de sa rue principale.

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