Pierre-Rouge 13 : L’œuvre inachevée de Dom Bellot, le monastère disparu des dominicaines des Tourelles

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Les Tourelles à la fin des années 1930 (carte postale - collection personnelle)


A côté de l’immense terrain de la solitude de Nazareth, la parcelle autrefois occupée par le couvent des Tourelles était vaste. Il existait en fait plusieurs bâtiments : une demeure bourgeoise du XIXe siècle flanquée de deux tourelles d’angle qui a donné son nom au domaine et qui était assez reculé dans la parcelle, des dépendances et surtout, le couvent moderne.

Les Tourelles - façade nord (carte postale Florentin - collection personnelle)

Les fondations religieuses montpelliéraines ont été très nombreuses au XIXe siècle. La séparation des églises et de l’Etat a marqué la fin d’une époque. Pourtant il y eut encore quelques fondations ensuite. C’est le cas des Dominicaines de Prouille, présentes à Montpellier à partir de 1898 et qui s’installent dans la villa des Tourelles en 1916.

Ce deuxième bâtiment, plus vaste, avait été construit sur les plans de Dom Bellot (1876-1944) avec la collaboration de Louis Mortamet, un ancien de son atelier. Diplomé des Beaux-Arts en 1900, il entre au noviciat des dominicains de l’île de Wight en 1902. C'est un peu malgré lui qu'il redevient architecte à partir de 1906, mais il finit par s'y consacrer pleinement, en acceptant des commandes rémunérées et des collaborations avec des architectes civil. Moine bâtisseur, il reste fidèle à une forme de tradition dans la disposition des lieux mais se montre novateur dans les formes et emploie la brique et le béton de préférence à la pierre. Le projet montpelliérain était colossal mais l’édifice n’a pas été achevé. Il aurait dû être un monastère double, avec une partie dédiée aux hommes, une autre aux femmes, la chapelle définitive aurait été le seul espace commun. Seule les ailes nord et est, ainsi qu’un morceau de la chapelle centrale, ont pu être construites entre 1931 et 1933. Lorsque les dominicaines envisagent de construire la suite en 1939, la guerre met bientôt un terme définitif au projet. 

Pour des raisons de droits, je ne peux reproduire ici le plan dressé par Dom Bellot. Mais on peut aisément le consulter ici. Les zones en grisé représentent ce qui n'a pas été construit.

L'oeuvre de Dom Bellot a un grand retentissement à l'époque. Louis Mortamet, architecte diplômé qui a collaboré avec Dom Bellot, n'est cité que sur les vues représentant l'escalier ou le refectoire. Des revues spécialisées publient des reportages photographiques sur les Tourelles en 1935 et 1936. On y retrouve plusieurs des vues de la série de carte postale éditée par Florentin et dont j'ai pu petit à petit me procurer un jeu que je crois complet. Ce sont ces photos qui m'ont fait prendre conscience de la valeur du couvent des Tourelles, dont je n'avais jamais entendu vanter l'architecture auparavant. 


Les Tourelles, La Chapelle (carte postale Florentin - collection personnelle)


Les Tourelles - l'autel de la chapelle (carte postale Florentin - collection personnelle)

Les photos en noir et blanc ne permettent pas de rendre le travail de Dom Bellot sur la couleur. L’architecte avait utilisé pour le cloître des carreaux de revêtement rouges, bleus, jaunes et verts. C'est ce que l'on devine sur la carte postale suivante, à gauche.


Les Tourelles, le cloître (carte postale Florentin - collection personnelle)



Les Tourelles, la façade du cloître (carte postale Florentin - collection personnelle) 


Le même travail sur la polychromie se retrouvait dans l'atrium, avec sa fontaine, et l'escalier.

Les Tourelles, fontaine de l'atrium (carte postale Florentin - collection personnelle)

Les Tourelle - vue générale (carte postale - collection personnelle)

Les Tourelles - l'escalier vu de l'atrium (carte postale Florentin - collection personnelle)


L'escalier vu d'en haut (carte postale Florentin - collection personnelle)

On voyait son élévation depuis la rue, dont le bâtiment était assez reculé. Le haut mur et une haie d’arbre en cachait les parties basses. Mais les deux petites tours octogonales à chaque extrémité que l’architecte avait dessinées pour rappeler la maison d’origine étaient visibles de loin. 


Les Tourelles - la façade nord (carte postale Florentin - collection personnelle)




Les Tourelles - le réfectoire (carte postale Florentin - collection personnelle)

Les Tourelles  - la chaire du réfectoire (carte postale Florentin - collection personnelle)

Les Dominicaines des Tourelles étaient au début des années 1930 une communauté religieuse assez progressiste. Leur congrégation était l'une des rares à former ses religieuses à la philosophie et la théologie. C'est le parcours qu'y effectua de 1932 à 1940 Jacqueline de Boissonneaux de Chevigny, en religion soeur Jeanne d'Arc o.p., et qui la conduisit à être une des rares femmes exégètes catholiques du XXe siècle. Maîtrisant le latin, l'hébreu et le grec ancien, elle fut la seule femme membre du comité de révision de la Bible de Jérusalem  dans les années 1950. C'est elle qui traduisit les quatre évangiles pour la prestigieuse collection "Guillaume Budé". 

Les Tourelles - cellule (carte postale Florentin - collection personnelle)

Comme d'autres ordres religieux catholiques, les Dominicaines des Tourelles ont protégé des personnes victimes de la législation antisémite de Vichy. A partir de 1941, le père Perrin  (1905-2002) envoie des femmes juives évadées du camp des Milles, proche d'Aix-en-Provence. Devenu supérieur des Dominicains à Montpellier en 1942, il fait de même pour les hommes. Dans les deux cas, une filière d'évasion par l'Espagne avec confection de faux papiers est mise en place. Une rescapée, Dwora Joffe, se souvient : « ces nonnes nous ont ouvert leur porte, nous ont nourries et logées et ont organisées notre fuite à travers les Pyrénées déjà couvertes de neige ». Reconnu Juste parmi les nations, le père Perrin fut aussi l'ami de Simone Weil.

Jardin et verger des Tourelles  (carte postale - collection personnelle)


Les Dominicaines des Tourelles ont accueilli plusieurs générations de jeunes catholiques montpelliérains à l’occasion des retraites préparatoires aux cérémonies de communion. Brigitte Alzieu raconte y avoir passé trois jours et se souvient davantage des courses dans le parc que des temps de prière et de silence. 

D’autres habitants du quartier se souviennent que les sœurs produisaient des yaourts, dans des pots en verre, avec une étiquette où les Tourelles étaient écrites en bleu, et qu’on pouvait les acheter au Bon lait. 

En 1971, les Dominicaines font construire par Thomas Gleb leur nouveau couvent dans un beau coin de garrigue au nord de Montpellier. Elles y déménagent en 1976. C’est là que j’ai fait la retraite de ma profession de foi en mai 1990. Je me souviens d’avoir été marqué par la beauté austère des lieux, mélange de modernité et de rusticité. Ce magnifique endroit cherche à obtenir le label « patrimoine du XXe siècle » et certainement, il le mérite. L'oeuvre inachevée de Dom Bellot l'aurait obtenu haut la main. Les lois arides de la pression foncière et immobilière en ont disposé autrement. On peut néanmoins toujours se faire une idée du travail de Dom Bellot en visitant son autre oeuvre montpelliéraine, l'église Sainte-Bernadette.

A la place du couvent s’est élevée l’une des grandes opérations immobilières du quartier, le jardin aux fontaines. Je me souviens d’avoir accompagné ma mère chez une collègue de travail qui occupait un logement dans le jardin aux fontaines. C’était au début des années 1980, les immeubles étaient tout neufs encore et me semblaient le dernier cri de la modernité.


Les loggias caractéristiques du Jardin aux Fontaines, façade donnant sur la rue de Nazareth - octobre 2018
(collection personnelle)
L'ensemble des sources utilisées pour la rédaction de ce feuilleton est disponible ici

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