Pierre-Rouge 49 : La villa Sainte-Christine, de Josias Braun-Blanquet au cours Notre-Dame

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Façade principale vue de la grille (cliché de l'auteur - août 2018)

Derrière les hauts murs du 334 rue du Pioch de Boutonnet, sur un parc encore épargné par la densification du quartier, se cache une jolie maison à l'existence déjà longue : la villa Sainte-Christine. 

Cette folie tardive a plusieurs fois changé de nom et de fonction. On la trouve déjà sur le cadastre de 1814, ce qui n'a rien d'étonnant pour son architecture typique du XVIIIe siècle. Je ne sais malheureusement rien de sa date de construction, de son commanditaire ou de son architecte. D'après Fabrice Bertrand, le système hydraulique ancien encore en place. 

La Villa Nevet

L'hôtel Nevet, qui occupait l'emplacement actuel du passage Lonjon et de deux immeubles qui le longent depuis la place de la Comédie (carte postale non circulée - collection personnelle)

Jean-Baptiste Nevet (1797-1887), ancien combattant des guerres napoléoniennes, était une figure de la vie montpelliéraine, dernier survivant des médaillés de Saint-Hélène. Constamment déclaré comme "maître d'hôtel" dans les actes d'état-civil le concernant, il avait tenu l'hôtel du Midi de 1829 à 1847 avant d'ouvrir l'hôtel qui portait son nom en mars 1847. De renommée internationale il se trouvait sur la place de la Comédie, à l’emplacement actuel du passage Lonjon et du passage Bruyas. Après un dernier bal, le 11 février 1897, l'hôtel fut livré aux démolisseurs afin d'achever l'alignement de la place de la Comédie. Son dernier propriétaire, M. Ode-Viala, fit construire en remplacement l'hôtel Métropole, rue du Clos-René. 

En août 1854, une propriété du quartier Boutonnet est vendue aux enchères. C'est le jardin du Curé qui a pour voisin le "jardin Nevet". C'est donc avant cette date que Jean-Baptiste Nevet en avait fait l'acquisition. 

Fabrice Bertrand m'a révélé que ce lieu servit d'annexe à l'hôtel Nevet. Faute d'archives versées, c'est la presse qui m'a appris l'identité de quelques uns des occupants, à la notoriété plus ou moins oubliée, de la villa Nevet. En voici quelques uns. 

Le Prince Reuss

Gravure sans date (BNF Gallica)

En 1846-1847, la villa Nevet accueille pour l'hiver le prince Reuss. Le nom des Princes de Reuss a été malheureusement sous les feux de l'actualité en 2022, l'un de ses rejetons ayant cru bon de se mêler à une tentative de coup d'Etat en Allemagne. Il a été arrêté le 7 décembre 2022, avec une vingtaine de comparses.

La principauté de Reuss Lobenstein Ebersdorf existe depuis le XIe siècle et tous ses souverains se prénomment Henri. C'est le 72e prince qui hiverne à Montpellier cette année là. Il devait abdiquer en 1848 au profit d'une autre branche de sa famille qui concéda une constitution en 1849. Comme plus tard d'autres têtes couronnées, c'est pour soigner une affection chronique qu'il séjourne à Montpellier, suivant le traitement du professeur d'Amador, qui était pourtant plus connu pour être un brillant théoricien, séduit par l'homéopathie, qu'un clinicien de terrain. 

Le Courrier du Midi laisse entendre que Henri LXXII n'était pas le premier hôte illustre de la villa Nevet. « Etabli dans cette délicieuse villa Nevet que tant d’illustrations ont habitée tour à tour, le prince Reuss aimait à y vivre en simple particulier, au milieu d’une société agréable et choisie. » Le prince Reuss se promenait sur l'Esplanade, faisait des emplettes à la Foire et fréquentait une loge maçonnique fameuse.

Kerckhove-Varent

Université de Louvain (sans date, domaine public)


Le vicomte Joseph de Kerckhove-Varent, médecin, ancien médecin chef aux armées des Pays-Bas, président de l’académie d’archéologie de Belgique, titulaire de quatorze décorations à des grades divers, fait étape à Montpellier en se rendant en Espagne. Parti d’Anvers en décembre 1857, il séjourne à Montpellier pendant les premiers mois de 1858 dans « la délicieuse campagne Villa Nevet, dont on vante avec raison la situation et la salubrité ». La durée du séjour m'a d'abord surpris, puis j'ai appris qu'il était en résidence avec sa belle-fille, née de Peñaranda de Franchimond, et que son petit-fils Marie Joseph Antoine Clément Frédéric, était né le 18 février 1858 « à six heures du soir, dans la maison de campagne Nevet, hors le faubourg Boutonnet en cette ville », fils « de son excellence Antoine Joseph François Alexandre vicomte de Kerckhove Varent, envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de sa hauteur le Sultan auprès de sa Majesté Catholique la reine d’Espagne, Grand Croix et commandeur de plusieurs ordres (...) absent)». 

A l'abondance de titres du vicomte Joseph, il manquait encore celui de membre correspondant de l'académie de Montpellier, qui lui est décerné le 12 avril 1858, quelques semaines avant son départ pour Marseille. C'est son 42e titre de membre correspondant d'une académie.

Princesse douairière Anna Czartoryska

Princesse Anna Zofia Czartoryska avec sa fille et sa belle fille
(entre 1861 et 1863,  studio  "Mayer & Pierson" (Paris), CBN Polona, domaine public)

En décembre 1864, c'est à la villa Nevet qu'on se réunit pour les obsèques d'une aristocrate polonaise en exil, la princesse douairière Anna Czartoryska. Née Sapieha, la princesse était en exil en France depuis 1830. Son salon parisien à l'époque de la monarchie de juillet était l'un des plus brillants, Frédéric Chopin faisait partie des habitués de l'hôtel Lambert, dans l'île Saint-Louis. Il a pu y rencontrer Balzac, Delacroix, Berlioz, Lamartine, George Sand... Mécène et philanthrope, la princesse Czartoryska était une figure éminente de son temps. Depuis la villa Nevet, le cortège s'est rendu à la gare, la princesse devant être inhumée dans son pays natal.

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Lors de la succession de Jean-Baptiste Nevet, le 27 juin 1888, la villa est décrite ainsi parmi les biens immeubles de communauté du couple Nevet : « un jardin d’agrément avec maison d’habitation et pièces de terre, contenant le tout 3 hectares, 80 ares, quartier du Curat et du château de Boutonnet, connu sous le nom de jardin Nevet, d’un revenu de deux milles francs, capital 50.000 francs ». 

En avril 1890, la propriété s'appelle toujours villa Nevet. Elle est à nouveau le point de départ d'un cortège funèbre vers la gare, celui de l'économiste et ancien élève ingénieur de l'école des Mines Charles Louis Bernard de Loriol. Ce huguenot savoyard était lié à la bonne société montpelliéraine, une de ses filles étant mariée à un Westphal. Son acte de décès indique qu'il est décédé le 23 avril 1890 à 5 heures du matin à la "campagne Nevet, tènement de l'Aiguelongue en cette commune". 

En novembre 1905, lorsque la succession de Mme Dupré-Nevet est liquidée, son actif est entièrement mobilier. La maison a donc été vendue entretemps.

La villa de Baichis au temps du docteur Euzière

Comment et quand la villa Nevet est devenue la villa de Baichis, je l'ignore. François de Baichis était une figure de la bonne société royaliste de Montpellier, président du conseil d'administration de L'Eclair. En 1899, il résidait rue d'Alger, la villa devait donc être sa campagne.

Ce n'est que du temps du docteur Euzière que mes sondages dans la presse ancienne m'ont permis de retrouver des événements dans la villa. 

Photographie du Professeur Euzière, parue dans le numéro 223 de la revue Chanteclair 
(mars 1927 - collection de l'auteur)

Né le 27 avril 1882 à Montpellier, Jules Euzière est le fils d'un fonctionnaire de l'administration postale. Passionné de lecture dès l'enfance, il a fait ses études en suivant les mutations de son père et pour le bac au lycée de Montpellier avant de poursuivre à la faculté de médecine. Docteur en médecine en 1907, il devient chef de clinique des maladies mentales et nerveuses, puis chef de laboratoire des cliniques de l'hôpital suburbain en 1910, année où il obtient l'agrégation. En 1913, il devient chargé de cours de clinique annexe des maladies des vieillards. 

Caricature parue dans le numéro 223 de la revue Chanteclair (mars 1927 - collection de l'auteur)

Au début de la première guerre mondiale, il met notamment ses compétences sur les troubles de l'orientation et de l'équilibre des blessés du crâne au service du conseil de guerre en tant qu'expert. La caricature qui le représente illustre un cas de "chute en statue", syndrome qu'il a décrit chez les soldats comme une perte d'équilibre liée à une déconnection temporaire de la vue et du mental.

Le 26 décembre 1915, Euzière épouse Edith Rouchier, de sept ans son ainée. Elle est la veuve de l'historien Léon Gabriel Pélissier, doyen de la faculté de lettre de Montpellier à sa mort en 1912. La nouvelle Mme Euzière s'est installée en 1914 dans la villa de Baichis, qui reste son bien propre après son divorce en 1931. 

Pendant son mariage, Jules Euzière a son cabinet en ville au 12 rue Marceau mais vit à la villa de Baichis. Le 5 décembre 1916 nait leur fille Juliette à la villa "de Bechys" pour l'officier d'état civil.

Rendu à la vie civile en 1919, il loue en ville au 9 bis rue des Aiguerelles et a son cabinet rue de l'Observance. 

Le 29 décembre 1920, pour le mariage de Gabriel Pélissier, fils du premier lit de Mme Euzière, et de Marguerite Marquez, le « professeur agrégé Euzière » est salué par le discours de l’adjoint au maire qui officie. Le lendemain, Juliette Euzière fait partie des demoiselles d’honneur et d’après la Vie montpelliéraine « A l’issue de la cérémonie, grande réception dans les salons de la villa de Baichis où un dîner et un lunch étaient magnifiquement servis. »

Jules Euzière devient en 1923 professeur de clinique des maladies mentales et nerveuses et doyen de la faculté de médecine de Montpellier. Il reste doyen jusqu'en 1941, où il démissionne quelques mois après avoir prononcé le discours de réception du maréchal Pétain et du général Franco à l'occasion de leur rencontre à Montpellier. 

De 1919 à 1924, il a assuré la direction médicale de la maison de repos Saint-Damien, avenue Villeneuve d'Angoulême (actuel foyer Beaurevoir).

Verso de carte postale non circulée (vers 1920 - collection de l'auteur)

Recto de carte postale non circulée (vers 1920 - collection de l'auteur)

C'était aussi un passionné d'histoire, notamment d'histoire de la médecine, et sa bibliothèque faisait l'admiration des érudits. Il a légué ses importantes archives personnelles aux archives départementales. Mais l'on n'y trouve rien sur la villa de Baichis qui appartenait en propre à sa femme.

Résidence qui a remplacé la villa Marie (décembre 2021 - cliché de l'auteur)

Pilier subsistant du portail de la villa Marie (décembre 2021 - cliché de l'auteur)

En 1931, à l'occasion de son divorce, Jules Euzière déménage quelques centaines de mètres plus haut dans la même rue, à la villa Marie, que l'on peut joindre par téléphone au 29-13. Il a acheté cette propriété dès 1925. Sa comptabilité, très bien tenue mais partielle, montre ces années là des revenus annuels autour de 65.000 francs. Il voyage et sa notoriété le suit. Ainsi en février 1934 est-il l'invité à dîner de l'Alcade de Barcelone, ville où il séjourne alors.

Cette belle maison du 941 de la rue du Pioch de Boutonnet a cédé la place comme tant d'autres à des immeubles. Seul le pilier d'entrée restauré portant le prénom de Marie rappelle la dernière résidence montpelliéraine de Jules Euzière, qui y est mort le 22 octobre 1971.

La villa porte encore le nom de villa de Baichis en décembre 1934, lorsque le magazine La vie à la campagne publie une photo d'une grenouille en pierre sur la margelle d'un bassin.

La villa Sainte-Christine au temps de Josias Braun-Blanquet

Le terrain de la villa Sainte-Christine sur le géoportail de l'INSEE (parcelle 0322)

En 1931 à 1939, d'après l'annuaire de l'Hérault, Josias-Braun vit 44 rue du Pont de Lattes. J'ignore à quel moment il devient propriétaire de la villa de Baichis et la rebaptise villa Sainte-Christine.

Josias Braun-Blanquet vers 1960 (source ETH-Bibliothek sous licence Creative Commons)

Passionné dès l’enfance par la botanique alpine, Josias Braun (1884-1980) s’installe à Montpellier avant la première guerre mondiale. Il y prépare une thèse sous la direction des botanistes Charles Flahault et Jules Favillard. Marié à Gabrielle Blanquet, qui co-signa certains de ses articles, il a été pendant cinquante ans, de 1930 à sa mort, le directeur de SIGMA (Station internationale de géobotanique méditerranéenne et alpine). Cette société savante a développé une approche statistique de la phytosociologie, discipline botanique qui étudie les communautés végétales et leur rapport avec le milieu. La phytosociologie ne compte pas moins de onze écoles de pensée différentes, qui diffèrent par leurs concepts, leurs méthodes et leurs techniques de terrain. La phytosociologie franco-suisse ou sigmatiste, désignée d'après le groupe SIGMA, est celle fondée par Braun-Blanquet.

Plaque honorant la mémoire de Josias Braun-Blanquet devant l'entrée piétonne de la villa Sainte-Christine (cliché de l'auteur - août 2018)

C’est le docteur Mireille Braun-Blanquet, fille de Josias et sa collaboratrice après la mort de sa mère, qui a légué la villa Sainte-Christine à l’ICRSP. Ce legs avait notamment pour condition la création d’une fondation destinée à attribuer un prix récompensant tous les trois ans la recherche en botanique. Les statuts de la fondation de droit suisse qui décerne ce prix prévoient que tous les membres du comité de sélection soient membre de l'ICRSP.

L’institut du Christ Roi Souverain Prêtre (ICRSP) est une obédience traditionaliste du catholicisme. Contrairement à son homologue lefebvriste, elle n’a pas souhaité rompre ses attaches avec Rome, même si ses relations avec les évêques diocésains peuvent être conflictuelles, par exemple autour des questions de catéchèse. L’ICRSP cultive son autonomie par rapport à la hiérarchie catholique. 

Grille principale (cliché de l'auteur - août 2018)

A Montpellier l’ICRSP possède une école catholique hors-contrat, le cours Notre-Dame. Son site Internet présente des images qui semblent tout droit issues de livres pour enfants des années 1960 : prêtres en soutane, filles en socquettes blanches et blouse bleu ciel. On y apprend à écrire à la plume en CP. 

Fondé en 1990, le cours Notre-Dame a ouvert des cours particuliers à la villa Sainte-Christine en 2004 avant de devoir y regrouper toute ses activités d'enseignement à la rentrée de septembre 2006, suite à l'incendie de ses locaux d'école maternelle rue Méhul. Depuis 2009, les classes de collège vont jusqu'à la 3e. Le calendrier scolaire révèle une année scolaire raccourcie, qui commence la 2e semaine de septembre et se termine la troisième semaine de juin. Un uniforme d’hiver est à porter du 5 novembre au 6 mai, le reste de l’année, c’est l’uniforme d’été. Le mercredi est dédié à l’atelier des Mamans. Les tarifs sont dégressifs en fonction du nombre d'enfants scolarisés. 

Avant toute inscription, le directeur s’assure que la famille de l’enfant est en accord, pas seulement juridique, mais moral, avec ce que propose l’école. Les travaux de l'église Sainte-Eulalie laissant les amateurs de messe d'avant 1962 sans lieu de culte, les messes sont déplacées dans le quartier, la grand-messe du dimanche à 10h30 ayant lieu à la chapelle l'enclos Saint-François

Maquette de la chapelle de l'Enclos Saint-François, architecte Julien-Boudes
(carte postale non circulée, collection de l'auteur)

L'ensemble des sources utilisées pour l'écriture de ce feuilleton, ainsi que les remerciements aux personnes qui ont bien voulu m'offrir leur aide, est détaillé ici.

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