Pierre-Rouge 50 : la villa Pierre-Rouge et la famille Grasset
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Joseph Grasset
Portrait du professeur Grasset par Cairol publié en 1912 (collection de l'auteur) |
La villa de la Pierre-Rouge était une villégiature pour Joseph Grasset, qui vivait en semaine 6 rue Jean-Jacques Rousseau.
L'immeuble de la rue Jean-Jacques Rousseau qui porte la plaque en hommage au professeur Grasset (décembre 2021, cliché de l'auteur) |
Né le 8 octobre 1849 à Montpellier, fils d'un vérificateur des douanes et petit-fils de notaire, Joseph Grasset est issu d'un milieu aisé où la religion catholique est prise au sérieux. Il fait ses études au lycée de Montpellier, où il bénéficie de l'enseignement d'Alfred Fouillée, jeune agrégé de philosophie qui ne passe que deux ans à ce poste. C'est à cette époque que Grasset remporte "le prix de l'empereur", qui le dispense de service militaire. Au-delà des cours magistraux, Grasset aime évoquer les longues et instructives promenades avec son maître entre l'Esplanade, le Jardin des Plantes et le faubourg Boutonnet où logeait Fouillée. Malgré son seul échec, celui de l'entrée à l'école pratique d'anatomie, Grasset poursuit ses études à la faculté de médecine de Montpellier.
Ceux qui l'ont connu ont été marqués par son amour pour sa ville natale, son humour, y compris sur lui-même. Au physique, Robert Dumas le décrit ainsi : "Son visage expressif est très particulier. Les cheveux sont roux, hauts et drus et les yeux vifs derrière de petites lunettes d'or." Grasset lui-même se décrit comme un "bénédictin narquois".
Chef de clinique à la faculté de Montpellier en 1873, Joseph Grasset obtient l'agrégation en 1875. C'est en 1881 qu'il devient professeur. Le 24 mai 1890, lorsque le président de la République Sadi Carnot vient inaugurer le nouvel hôpital Saint-Eloi, Joseph Grasset fait partie du comité d'accueil.
En 1895, il est fait chevalier de la légion d'honneur. En avril 1912, il est élevé au grade d'officier.
Le grand public le connait surtout à son époque pour un ouvrage de psychiatrie Demifous et demiresponsables, paru en 1907, qui aborde la question de la responsabilité pénale des fous et lui vaut la caricature dans le goût de l'époque que voici :
Grasset lui-même appréciait cette "jolie image de Moloch" et se déclarait honoré par les critiques et les caricatures, pourvu que leurs auteurs aient du talent, disant que cela lui donnait "l'illusion de la célébrité".
Illusoire la célébrité de Grasset ou bien est-on en présence d'une modestie d'homme bien élevé ? L’historien Emmanuel Le Roy Ladurie, qui avait lui aussi des attaches montpelliéraines, disait à Mathieu Séguéla « A Montpellier, un professeur c’était quelqu’un ; il y avait tout en haut de la pyramide sociale les hauts enseignants de la faculté de médecine. Médecins ou chirurgiens universitaires étaient les dieux locaux, auxquels, selon l’âge, on sacrifiait la prostate ou l’amygdale. Malade, un employé des Postes ne disait pas : « je suis allé chez le docteur », mais « j’ai été voir le professeur ». Le professeur Grasset était bien une célébrité et un notable, comme en témoigne encore l'avenue du professeur Grasset, qui marque la limite occidentale du quartier Boutonnet, de la colonne Saint-Eloi à la station de tramway du stade Philippidès.
Joseph Grasset entretient des relations dans la bonne société montpelliéraine. Le 31 juillet 1895, il est le témoin du mariage religieux de son cousin Charles Anduze avec Françoise Castan-Mion, à la chapelle de l'école libre du Sacré Coeur (aujourd'hui disparue, à l'emplacement de la Poste Rondelet).
Les étudiants en médecine suivaient les leçons de pathologie et de thérapeutique générale du maître, mais lui se spécialise en médecine interne, par des travaux sur la moelle, notamment liés aux séquelles de ce que nous appelons aujourd'hui des accidents vasculaires cérébraux (AVC).
Ses travaux de psychiatrie - il avait été l'élève de Charcot - participaient à l'avancement des connaissances de son temps. En revanche, son attrait pour le paranormal est très décalé pour un lecteur actuel. En effet, Joseph Grasset s'intéresse également à l'occultisme. Certes, ce scientifique de renom dénonce les fraudes et les faux médiums mais il semble aussi fasciné par son objet d'études et persuadé qu'un jour pas si éloigné, on pourra prouver scientifiquement des phénomènes comme la suggestion mentale, la transmission de pensée ou la lévitation d'objets. Est-il si étonnant alors de lire sous la plume de son élève le professeur Rauzier le curieux hommage suivant : "Autant préoccupé du moral que du physique, connaissant mieux que personne les mystérieux détours de (l')appareil nerveux (...), vous réalisez sur la plupart de ceux qui vous consultent un suggestion véritable, souvent supérieure dans ses résultats aux bienfaits de la matière médicale". Grasset thaumaturge ? Ce n'est que l'un des hommages qui lui sont rendus pour fêter ses trois décennies de carrière universitaire.
Buste du Professeur Grasset par Injalbert (1912, cliché Cairol, collection de l'auteur) |
Le 18 avril 1912, un témoignage de reconnaissance inédit dans les annales universitaires locales lui est rendu dans le "palais universitaire", l'ancien hôpital Saint-Eloi, aujourd'hui rectorat de Montpellier. L'hommage est unanime : le cardinal de Cabrières, ardent monarchiste, est présent aux côtés des autorités républicaines. A cette occasion, un buste en marbre par Injalbert et une médaille commémorative sont dévoilés. Plusieurs discours, par la suite imprimés, permettent de suivre cet événement. Le Recteur Benoist insiste sur le rôle, souvent informel, joué par Grasset dans la formation de ses étudiants : "une conversation en sortant de l'hôpital, un mot jeté en passant, un bon conseil donné à un étudiant qui tâtonne, voilà des petits faits, que nulle histoire n'enregistre, et peuvent être décisifs pour l'orientation d'une carrière, pour l'affermissement d'une vocation". Par ses publications, sa participation à des congrès ou à des commissions officielles, le professeur Grasset a contribué au rayonnement de la ville.
Médaille commémorative de 1912 en l'honneur du Professeur Grasset (collection de l'auteur) |
Le 1er décembre 1916, les Grasset ont la douleur de perdre leur fils Roch, âgé de 22 ans, brigadier pilote aviateur à l’école d’aviation du Camp d’abord, la toute première école de pilotage en France.
Joseph Grasset est décédé le 7 juillet 1918 à son domicile de la rue Jean-Jacques Rousseau.
Façade ouest de la villa sur la rue du jeu de mail des abbés (8 août 2019 - cliché de l'auteur) |
Femme de notable, l'épouse de Joseph Grasset, née Françoise Jeanne Philomène Barre, se signale par ses bonnes oeuvres. Elle est en cela fidèle aux habitudes de son père et de son oncle, l'abbé Barre, un des fondateurs des conférences Saint-Vincent-de-Paul. Pour la vente de charité de la compassion, Mme Joseph Grasset tient à plusieurs reprises le stand des ouvrages, dans le foyer du théâtre en mai 1893 et en plein air au Peyrou en mai 1895. C'est elle qui est la propriétaire de la villa Pierre-Rouge, dont il semble qu'elle a acquis le terrain en décembre 1879 pour la somme de 2500 francs. A ce prix là, le terrain devait ne comprendre qu'une ruine.
La parcelle est portée au cadastre napoléonien au numéro C 243. Il existe une description de la maison plus modeste qui préexistait. En effet, l'ancien banquier David Levat a fait saisir cette propriété en le 18 juin 1855. La précédente propriétaire était Marie Virginie Chabannes, épouse de l’entrepreneur maçon Pierre Coudougnac. Malgré appels et procédures, la maison devient disponible pour la vente en avril 1856. Elle est décrite ainsi par la publicité légale : « Une maison d’habitation et sol, cave, four, poulailler, puits et jardin potager (…) au tènement Pierre Rouge ; elle est construite en pierre rasée, à chaux et sable, sauf les chambranles des ouvertures qui sont en pierre de taille ; elle a quatre façades apparentes et un étage au dessus du rez-de-chaussée. A la façade qui donne au nord, au devant de laquelle on arrive en s’introduisant par une porte qui donne sur l’ancien chemin de Castelnau, se trouvent trois ouverture et au premier étage deux fenêtres ; à la façade qui donne à l’ouest se trouve une fenêtre qui donne sur une terrasse ou galerie supportée par des montants en bois et entourée d’une balustrade en bois ; à la façade qui donne au sud se trouvent deux ouvertures. Le tout est recouvert en tuiles par son toit, qui forme trois pentes ; elle déverses les eaux au nord et au sud sur le jardin où est assise la maison et sur le chemin dit Jeu-de-mail des Abbés (…) et a une contenance, avec le jardin de huit ares soixante douze centiares. Le tout est clôturé en partir par un mur bâti à chaux et à sable ayant une hauteur de deux mètres environ. » Le revenu estimé est de vingt cinq francs pour la maison et trois francs trente-huit centimes pour le jardin. La mise à prix est de mille francs.
Le mobilier de son domicile est alors assuré pour 15.000 francs, celui de la villa Pierre-Rouge pour 4000 francs. La villa, son jardin et ses dépendances (46 ares et 30 centiares) est portée à la succession pour une valeur vénale de 220.200 francs.
Bernard Grasset
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