Pierre-Rouge 12 : L'imprimerie de la Charité et l'oeuvre du père Emprin
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Lorsqu’enfant je rentrais de mon cours de piano le mercredi après-midi, je remontais la rue de Nazareth. Là, face au Jardin aux Fontaines, j’ai bien souvent entendu le bruit mécanique et répétitif des presses de l’imprimerie de la charité. J’ai eu entre les mains nombre de documents sortis de ses presses : faireparts, billets de tombola, des brochures comme le guide historique du cimetière Saint-Lazare mais aussi des livres.
La deuxième moitié du XXe siècle vit reculer inexorablement la pratique religieuse et les vocations dans l'Eglise catholique. En 1991, la dernière Dame de la Charité, Mademoiselle Marti, s’éteint. L’imprimerie, devenue propriété de l’institut religieux Notre Dame de Vie, avait pour tradition d’offrir un peu de travail à des personnes dans le besoin. En septembre 2003, un article de Midi Libre alerte sur les difficultés de l’imprimerie de la charité. Le tribunal de commerce de Montpellier la déclare en cessation de paiement, mettant en danger les douze postes qu’elle salariait encore. L’imprimerie de la charité a été radiée du registre du commerce le 15 décembre 2006.
L’enclos abrite depuis 2014 une structure dédiée aux personnes ayant un handicap intellectuel, l’arche Jean Vanier, du nom du philanthrope canadien qui a fondé cette œuvre en 1964. Cette structure comprend à la fois un foyer et des activités de jour. Le foyer est habité par des éducateurs qui impliquent les résidants au mieux de leurs capacités dans les décisions et les actes de leur vie quotidienne. Les bâtiments ont été cédés par Notre Dame de Vie pour cinquante ans à l’arche moyennant la réhabilitation des locaux, qui a coûté 2,7 millions d’euros.
L'ensemble des sources utilisées pour ce feuilleton est disponible ici.
Façade de l'ancienne imprimerie de la Charité sur la rue de Nazareth - octobre 2018 (collection personnelle) |
Lorsqu’enfant je rentrais de mon cours de piano le mercredi après-midi, je remontais la rue de Nazareth. Là, face au Jardin aux Fontaines, j’ai bien souvent entendu le bruit mécanique et répétitif des presses de l’imprimerie de la charité. J’ai eu entre les mains nombre de documents sortis de ses presses : faireparts, billets de tombola, des brochures comme le guide historique du cimetière Saint-Lazare mais aussi des livres.
L’ensemble
occupe toute la largeur de l’îlot entre l’avenue de Castelnau et la rue de
Nazareth. Le terrain appartenait à la famille Laffoux, qui en donna une
parcelle au père Emprin. Le parcours de ce capucin brutalement disparu à l’âge
de quarante ans mérite quelques développements, car la plupart de ses actions
se sont déroulées dans le quartier de Pierre-Rouge. C’est une figure de
« saint prêtre » comme le XIXe siècle en connut beaucoup.
Charles Emprin (cliché tiré de sa biographie par le père Aloïs) |
Né le 6
janvier 1862 à Montpellier dans une famille savoyarde installée quelques années
auparavant à Montpellier, Charles Emprin a été formé au petit séminaire de
Moutiers avant d’entrer en 1882 au grand séminaire de Montpellier, installé
dans l’ancien couvent des Récollets au début de l’ancien chemin de Castelnau. Devenu
prêtre en 1886, d’abord vicaire de la toute récente paroisse des Saints François
dans le quartier des Aiguerelles, le père Emprin devient rapidement l’un des
trois vicaires de la cathédrale. C’est alors qu’il occupe ces fonctions que la
jeune congrégation des Franciscaines du Calvaire le demande comme aumônier.
Cette pauvre congrégation qui s’occupe de garçons orphelins a fait quatre ans
plus tôt une modeste fondation au faubourg Boutonnet. Cette fondation est
devenue quelques années plus tard, la villa Saint-François, dans le futur
Enclos du père Prévost. Le père Emprin confesse donc les 18 religieuses et les
80 orphelins, dit la messe, fait le catéchisme, mais il doit aussi s’occuper de
la vie matérielle de cette maison fort pauvre. Il fait construire un sanatorium
à Palavas pour y soigner ses petits protégés.
A l’âge de
treize ans, les orphelins de Saint-François apprenaient un métier, celui de la
terre ou, pour ceux qui n’en avaient pas le goût ou l’aptitude, la cordonnerie.
C’était un sujet de conflit avec la maison mère des Franciscaines du Calvaire,
située à Grèzes dans l’Aveyron, qui voulait préserver la vocation agricole de
ses orphelinats. Le père Emprin était d’un rigorisme très strict, même selon les critères de son
époque, mais il avait la conviction qu’on ne pouvait pas choisir un état pour
les jeunes orphelins sans tenir compte de leur personnalité. Il voulait
notamment « placer les orphelins en apprentissage selon leur goûts et
leurs aptitudes, les suivre et s’intéresser à leurs progrès. »
En 1889, la
famille qui possède les terrains en face de l’orphelinat Saint-François, de
l’autre côté de l’ancien chemin de Castelnau, fait appel au père Emprin pour
confesser une jeune fille que l’on croit mourante. Mademoiselle Laffoux guérit
de façon soudaine et ce parfum de miracle incite son père à se montrer généreux
envers le père Emprin. M. Laffoux donne sa villa Félicie au prêtre qui s’y
installe en juin 1892 avec douze orphelins qui le suivent et pour l’assister
une jeune veuve et une vieille fille. La maison du 22 avenue de Castelnau s’est vite avérée
insuffisante pour la jeune Œuvre des apprentis.
Villa Félicie, en travaux de rénovation - octobre 2018 (collection personnelle) |
Le père Emprin acquiert donc l’enclos
Dussol, l'ancien entrepôt des tramways à cheval construit sur le jardin de Villeneuve, puis le clos de Boutonnet. Un
ouvroir, sorte d’atelier de couture tenu par des dames charitables patronnées
par Mme Laffoux, permet de vêtir les orphelins. De peur que le père Emprin ne suffise pas à
la tâche, ou que sa santé fragile et son activité sans repos ne le fassent
mourir précocement, on lui recommande de se faire seconder de religieux
Salésiens. Malheureusement pour lui, les disciples de Dom Bosco entrent vite en conflit avec le père
Emprin. Son activisme brouillon ne convient pas à leur fonctionnement
ordonné, dont les méthodes ont depuis longtemps fait leurs preuves. Le père Emprin est
donc évincé assez rudement du clos de Boutonnet.
Le 1er
avril 1893, le père Emprin devient l’aumônier des religieuses dominicaines, qui
tenaient un pensionnat prospère. C’est un changement total pour le religieux
qui passe d’un univers masculin, pauvre et laborieux, à un univers féminin qui
forme des jeunes filles de familles aisées. Il ne loge pas sur place,
mais dans un appartement de l’avenue Bouisson-Bertrand, puis dans la villa du
château, à l'intérieur de l’enceinte de ce qui est alors le petit séminaire. Avec l’aide de M. Laffoux, il créé un centre pour les hommes du quartier de
la Pierre-Rouge. Le docteur Grasset prête le local, qui se compose d’une salle
de réunion avec un billard, une scène et des jeux au rez-de-chaussée et d’une
chapelle à l’étage. Le père Emprin y explique les évangiles aux hommes. Les
femmes sont admises dans une pièce à part d’où elles peuvent voir l’autel de la
chapelle. Le père Emprin, sans jamais se départir de la dignité de son
sacerdoce, sait se rendre accessible à des personnes issues de milieux très
divers. A l’aise avec la très bourgeoise famille Laffoux, tolérant les excès de
table et de boisson des étudiants comme des ouvriers, il séduit par la
simplicité de son abord et sa capacité à se mettre à la portée de chacun,
n’hésitant pas en partageant la table des humbles à mettre en avant ses
origines. « Je suis, disait-il, un enfant de la Savoie, de la race des
petits ramoneurs. ». Aux militaires emprisonnés, dont il devient l’aumônier
à l’automne 1895, il rend visite les poches bourrées de friandises et de tabac.
Il se fait l’écrivain public des illettrés.
Toujours
avec M. Laffoux, il fonde la conférence Saint-Vincent-de-Paul du quartier,
présidée par le baron Serres. C’est encore lui qui fait faire la
croix de la Pierre-Rouge, érigée sur un terrain donné par son autre mécène
masculin le docteur Grasset.
Maison de la Charité, côté des ateliers d'imprimerie, carte postale utilisée comme bon à tirer (sans date - collection de l'auteur) |
Dès 1893,
l’ouvroir qui s’occupe du linge des orphelins voit son rôle s’étendre et se
diversifier. Emprin est un lecteur de l’encyclique Rerum novarum, par laquelle le Pape Léon XIII a donné une doctrine
sociale à l’Église, dans le but de rapprocher riches et pauvres par la charité. Les
femmes qui le fréquentent se voient confier l’une la visite d’un pauvre, l’autre
de ramener à Dieu un vieillard voltairien. Mais il lui fallait une femme pour
suivre cette nouvelle direction au quotidien, en tempérant la fougue d’Emprin
qui en effrayait certaines. Il trouva cette fondatrice en la personne d’une
riche grabeloise, Mademoiselle Angélina Fargues, qui fut pendant vingt ans la
directrice de l’œuvre des Dames de la Charité. Rencontrée en juin 1893,
Mademoiselle Fargues hésita un peu, fit retraite, demanda conseil et rencontra
la résistance de son père. En mars 1895, elle fut atteinte d’une pneumonie
infectieuse et obtint le consentement paternel pour le cas où elle guérirait,
ce qui bien sûr advint. Elle fut vite rejointe par deux autres femmes
célibataires, dont Mademoiselle Laffoux. Contrairement à certains ordres de
petites sœurs qui poursuivaient des objectifs voisins, les Dames de la Charité
devaient rester en civil afin de pouvoir mener leur action « dans des milieux où la vie religieuse ne pourrait jamais
pénétrer, avec des apparences extérieures ». Car leur but est bien, en
soulageant les misères, de « gagner
la confiance du travailleur et du malheureux pour les réconcilier avec Dieu
dans la société ». Les Dames de la Charité apportent des secours
matériels et en contrepartie, incitent les concubins à se marier, à faire
baptiser leurs enfants, se proposent de les préparer à la première communion. En
1901, sept Dames de la Charité sont recensées à l’œuvre.
L'imprimerie de la Charité vers la fin du XIXe siècle (cliché tiré de la biographie du père Emprin par le père Aloïs) |
Le père
Emprin commença par une chapelle, dont la première pierre fut posée le 3 juin
1894 sur un terrain acheté à M. Alicot et bientôt agrandi du côté du jardin sur
la propriété de M. Laffoux. Malgré le manque de moyens, elle fut rapidement
édifiée et Mgr de Cabrières la consacra le 8 novembre 1895. Les bâtiments
construits de part et d’autre sont dépouillés, les cellules des Dames des plus
austères. Le 8 octobre 1896, dans une conférence, le père Emprin dit aux Dames
de la Charité : « la meilleure
manière de soulager le pauvre, c’est de le faire travailler. Le travail
l’ennoblit et l’aumône l’abaisse ». Ce fut d’abord un atelier de
tricot, puis bientôt d’autres articles de couture et de lingerie, pour une
masse salariale toujours croissante jusqu’à la veille de la Grande guerre.
En 1901,
l’expulsion des Jésuites donne au père Emprin une dernière occasion de
s’illustrer dans la vie catholique montpelliéraine, en devenant directeur du
collège catholique qui se trouvait alors à l’emplacement de l’actuel bureau de
Poste de Rondelet. C’est l’occasion d’une violente polémique par voie de presse
entre Le petit méridional
anticlérical et le monarchiste et clérical L’éclair,
qui soutient bien sûr le père Emprin. Dans la nuit du 21 au 22 novembre 1902,
Charles Emprin décéda brutalement. Les obsèques le lundi 24 novembre attirèrent
une foule importante, environ 2000 personnes dans le cortège, au point que la
compagnie de tramway renforça le service sur la ligne desservant la Pierre-Rouge.
Le père
Emprin avait acheté une imprimerie à Moutiers, en Savoie, pour soutenir un
journal catholique local qui s’y imprimait. La feuille périclitant malgré ce
soutien, le père Emprin fit transporter le matériel de l’imprimerie chez les
Dames de la Charité, donnant naissance à l’imprimerie du même nom. Imprimerie
de journaux, comme La Croix méridionale
ou L’éclair, de bulletins paroissiaux, de missels, de livres scolaires pour les
écoles catholiques, des calendriers, des almanachs, cette partie de l’œuvre connut
un tel succès qu’elle suscita de nombreuses critiques. Emprin, qui réussissait
si bien, était-il un homme d’argent ? En 1911, l’imprimerie employait 30
personnes et payait bien ses employés. Au
recensement de 1931, 16 personnes vivaient dans l’œuvre.
La deuxième moitié du XXe siècle vit reculer inexorablement la pratique religieuse et les vocations dans l'Eglise catholique. En 1991, la dernière Dame de la Charité, Mademoiselle Marti, s’éteint. L’imprimerie, devenue propriété de l’institut religieux Notre Dame de Vie, avait pour tradition d’offrir un peu de travail à des personnes dans le besoin. En septembre 2003, un article de Midi Libre alerte sur les difficultés de l’imprimerie de la charité. Le tribunal de commerce de Montpellier la déclare en cessation de paiement, mettant en danger les douze postes qu’elle salariait encore. L’imprimerie de la charité a été radiée du registre du commerce le 15 décembre 2006.
Entrée de l'arche Jean Vanier ; la végétation s'est beaucoup développée - octobre 2018 (collection personnelle) |
L’enclos abrite depuis 2014 une structure dédiée aux personnes ayant un handicap intellectuel, l’arche Jean Vanier, du nom du philanthrope canadien qui a fondé cette œuvre en 1964. Cette structure comprend à la fois un foyer et des activités de jour. Le foyer est habité par des éducateurs qui impliquent les résidants au mieux de leurs capacités dans les décisions et les actes de leur vie quotidienne. Les bâtiments ont été cédés par Notre Dame de Vie pour cinquante ans à l’arche moyennant la réhabilitation des locaux, qui a coûté 2,7 millions d’euros.
L'ensemble des sources utilisées pour ce feuilleton est disponible ici.
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