Pierre-Rouge 33 : La cité Lunaret, le petit Versailles et le stade Lunaret
Cité Lunaret en 1896 - détail du plan de P A Kruger architecte de la ville (Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France) |
Le terme de cité revient souvent dans les noms de lieux à Montpellier. Pour rester dans le périmètre du quartier, on peut y trouver la cité Lunaret, la cité Astruc ou la cité Bergère. Tous ces noms remontent à une époque où la cité n’évoquait pas des immeubles dégradés, habités par de fortes concentrations de personnes pauvres ou issues de l’immigration. Marcel Barral ne semble pas s’y être intéressé, en tout cas son ouvrage de référence Les noms de rue à Montpellier reste muet sur ce point. Il ne s’agit pas de cités ouvrières ou de cités jardins, plutôt de faubourgs qui ont pris le nom du propriétaire des terres. Dans le cas de la cité Bergère, elle n’a même rien de citadin. C’est le dernier grand terrain agricole sur l’avenue Saint-Lazare. L’emploi du terme de cité semble dans ces exemples ne pas avoir obéi à d’autres critères que la fantaisie du propriétaire qui l’a utilisé. Dans le cas de la cité Astier, c’est un ensemble immobilier construit dans l’esprit parternaliste par le Crédit agricole du Midi pour ses employés, entre l’avenue François-Delmas et la rue de Substantion. La cité Lunaret c’est autre chose ; un grand morceau de quartier. Mais il n’a pas grand-chose de planifié.
Plan topographique de Montpellier - détail (1853 - issu de la succession Planchon ; collection personnelle de l'auteur) |
Le plan de 1853 montre un abattoir entièrement entouré de jardins et de champs. Cela ne devait pas durer longtemps.
Henri de Lunaret (1861-1919) est un riche propriétaire foncier. Resté célibataire, il fut le dernier particulier propriétaire de l’hôtel des trésoriers de France, ancienne demeure montpelliéraine de Jacques Cœur qu’il légua à la société archéologique. A la ville il donna par testament le domaine de Lavalette, dont une partie accueille aujourd’hui le parc zoologique qui porte son nom. D’après Marcel Barral, les Lunaret possédaient au début du XIXe siècle la quasi-totalité des terrains entre le Verdanson, les Récollets et l’emplacement des futurs abattoirs. La construction des abattoirs et du marché aux bestiaux permit aux Lunaret de lotir les terrains voisins, le long de rues qui portent toutes des noms de leurs parenté. En s’appuyant sur les travaux de Marcel Barral, on trouve bien sûr la rue Lunaret elle-même, la rue Henri, la rue Thérèse, prénom de la sœur du mécène, et la rue Canton, du nom du mari de Thérèse de Lunaret. De façon moins évidente, on trouve encore la rue de Ferrare, déformation du nom de la famille de Ferrar. Les Ferrar étaient une brillante famille de la noblesse de robe montpelliéraine avant la Révolution et l’une d’entre elle était l’arrière-grand-mère d’Henri de Lunaret. Enfin, il faut citer la plus ancienne, la rue Belmont, déformation de Belmond, nom de jeune fille de la grand-mère d’Henri de Lunaret. La cité Lunaret, c’est presque un arbre généalogique inscrit dans le nom de rues.
Il ne faut pas chercher d’unité architecturale ou de programme dans la cité Lunaret. C’est au sens propre un lotissement : un grand terrain est divisé en parcelles plus petites destinées à la vente en tant que terrains à bâtir. L’opération s’est étalée sur de 1863 à 1870. Les maisons construites disposent toutes d’un jardin à l’intérieur de l’ilot. Souvent limitées à deux niveaux, mais certaines ont été surélevées depuis, elles ressemblent beaucoup aux maisons construites à la même époque dans les villages viticoles de l’Hérault : une habitation à l’étage, à laquelle on accède par un escalier qui commence juste après la porte d’entrée, au rez-de-chaussée, une remise ou local de travail. La plupart des maisons ont bien sûr depuis vu leur distribution modifiée. Récemment encore, l'ancienne maison de César Canetta, longtemps président de l'ASBAM, a été rénovée en ne gardant guère que la façade sur rue.
Caché sous la végétation l'été, l'hiver relève l'ancienne plaque de rue de la rue Henri qui porte la mention "Cité Lunaret" comme toutes les autres rues au départ (février 2021 - cliché de l'auteur) |
Toutes ces rues sont d’abord privées. L'Eclair, quotidien catholique et monarchiste, critique de façon répétitive la saleté des rues dont le journal rend responsable le maire républicain et libre-penseur Alexandre Laissac. Dans son numéro du 14 janvier 1882, le journal écrit qu'"il n'est pas possible d'avoir des chemins aussi sales, et où, durant plusieurs jours, s'entassent des monceaux de décombres, détritus, résidus de toutes sortes apportées des maisons avoisinantes. La cité Lunaret appartient-elle à la ville oui ou non ?". Et bien non en fait, ce n’est que peu à peu que la ville l'intègre à la voirie publique communale : en 1884 par exemple pour la portion de la rue Lunaret entre la rue de Villefranche et la rue Proudhon, en 1888 pour la mise en viabilité de la rue Canton. L'état de la voirie reste cependant mauvais et L'Eclair dénonce encore en janvier 1887 une chaussée rendue impraticable par la boue. J'ai encore connu au début des années 1980 des trottoirs en terre battue au bout de la rue Lunaret, comme il en existe encore avenue de la Reine Hélène d'Italie, entre le cimetière Saint-Lazare et la route de Nîmes.
Portion de trottoir en terre battue le long du cimetière Saint-Lazare (octobre 2018 - cliché de l'auteur) |
Cette intégration au domaine public ne se fait pas sans prélever une participation financière auprès des riverains pour l’éclairage public et la viabilisation. Ainsi la rue Abert est ouverte à la circulation en 1892 mais n’est éclairée qu’à partir de 1904 et n’intègre le domaine public communal que quinze ans plus tard. Dans le développement urbain du Montpellier de la IIIe République, la mairie ne s'occupe que des liaisons principales, la voirie vicinale. Toute la voirie secondaire est laissée à l'initiative privée et ne passe au domaine public que lorsque les riverains le demandent de façon pressante.
Au carrefour des rues Lunaret et Canton, les maisons sont plus hautes et forment un pan coupé avec les rues. Cette sorte de placette a longtemps accueilli des commerces. Au sud, un marchand de journaux qui faisait aussi librairie et papeterie, à l’ouest une épicerie, au nord une boucherie, à l’est il semble que cela ait souvent changé et juste à côté une boulangerie. Tous ces commerces ont peu à peu disparu après la fermeture des abattoirs. La vie commerçante s’est déplacée rue de la Cavalerie, notamment au pied des immeubles neufs.
L'ancienne boucherie Tricot. Les petits carrelages rouge et noir et le store banne rappellent l'ancienne fonction de la maison (octobre 2018 - cliché de l'auteur) |
Les auberges et les cafés étaient à la fin du XIXe siècle des lieux d'animation, voire de dérapage. L'Eclair rend compte en octobre 1885 d'une bagarre à coups de rasoir dans un café de la rue Canton tenu par une demoiselle Julie. De jeunes habitués s'étaient amusés à se lancer des verres d'eau et un client, un Italien croit utile de préciser le journal réactionnaire, a sorti une lame et a blessé légèrement un autre consommateur avant d'être maîtrisé par les clients et conduit au poste. D'une manière générale, le quotidien monarchiste se plait à rapporter des faits divers sur la cité Lunaret à la fin du XIXe siècle qui donnent l'impression d'un quartier mal famé, comme celui-ci, daté du mardi 11 octobre 1887 : « Fils dénaturé - Hier matin, à 9 heures et demie, à la suite d’une discussion, le sieur X., âgé de 23 ans, demeurant rue Cavalerie, cité Lunaret, a frappé violemment sa mère, son père et sa soeur. Dans sa colère, ce forcené qu’on ne pouvait maîtriser, a brisé tout ce qu’il a trouvé sous sa main. Deux agents, qu’on a appelés pour le maîtriser, n’ont pu sans rendre maîtres. Un troisième est venu leur prêter main forte et c’est alors qu’ils ont pu contenir le sieur X. » J'aurai l'occasion de revenir sur la mauvaise réputation de ce coin de ville lorsque je m'intéresserai à l'ancienne caserne de Cavalerie.
La rue Louis-Frédéric Rouquette, son immeuble Arts déco dû à l'architecte Fevrier et quelques villas du Petit-Versailles février 2019 (cliché Michel Sebert) |
Entre l'ancien couvent des Récollets et la cité Lunaret se trouvait l’enclos Roudié, dépendance du grand séminaire devenu propriété du département suite à la querelles des inventaires. Le conseil général céda l’enclos Roudié à l'office départemental des HBM en 1923. En 1926, la ville prit en charge le réseau de distribution d'eau.
Le long des rues de Tourtoulon, Louis-Frédéric Rouquette et du micocoulier, à la place de l'ancien jardin potager du petit séminaire, s’éleva le lotissement du petit Versailles, mélange de jolies maisons individuelles en pierres froides et d’immeubles arts déco qui ont gardé une certaine allure et étaient pour l’époque très confortables, avec des logements lumineux et tous dotés de salles d’eau.
Fabrice Bertrand qui est remonté aux bonnes sources, m'avait envoyé en 2019 le descriptif suivant, que je reproduis ici en le remerciant :
"Dressé par Servent, architecte du département de l’Hérault, le plan d’ensemble du lotissement est centré sur une place elliptique de 30 mètres de long sur 20 mètres de large et offre aux résidents un espace libre ou terrain de jeu de 50 mètres de longueur sur 12 mètres cinquante de largeur correspondant actuellement au terrain goudronné situé en contrebas du grand immeuble d’habitation.
Ce lotissement se compose de 21 lots
- 16 maisons individuelles,
- 2 maisons collectives à trois appartements,
- 1 maison collective à douze appartements,
- 2 maisons collectives à seize appartements."
L'immeuble de 12 appartements est celui de la rue Louis-Frédéric Rouquette, ceux de 16 sont sur la rue Canton.
Comme souvent, les rues et la place sont d'abord privées, avant d'intégrer le domaine municipal en 1937.
Un footballeur du Stade Lunaret - 19 mars 1914 (carte postale non circulée - collection de l'auteur) |
Un autre équipement important du quartier a longtemps porté le nom de Lunaret : le stade de football. Si la pratique de la balle au pied a pu exister à des époques antérieures, de façon plus ludique que sportive, le football tel qu’il existe actuellement n’est pas pratiqué à Montpellier avant 1904. Le football commençait alors à se détacher nettement du rugby dans ses règles, alors qu’auparavant il en existait des pratiques très différentes. On parle alors de football association pour préciser que c’est bien le jeu qui se joue à 11, à la balle au pied, avec un gardien de but en passant le ballon d’un joueur à un autre. Le 23 octobre 1913, les frères des écoles chrétiennes créent le stade Lunaret. C’est le plus ancien club de football montpelliérain.
Depuis 1975, ce ne sont plus les Frères qui le gèrent. Pour fêter son centenaire, en mai 2013, le stade lui-même, qui se trouve sur l’actuelle rue Max Mousseron, a été rebaptisé du nom du joueur Vincent Candela, un des champions du monde de 1998, formé à Montpellier. Autrefois en terre battue, le terrain est aujourd’hui en synthétique. De la maison de ma mère, on entend les joueurs qui s’entrainent et on entend plus fort encore lorsqu’il y a un match.
Le plan d'alignement a longtemps prévu un prolongement de la rue Lunaret. Finalement, la construction de l'ensemble du jeu de mail des abbés a conduit à l'ouverture d'une voie dont l'axe est décalé à gauche par rapport à la rue de Lunaret, la rue Max Mousseron et qui au lieu de rejoindre l'avenue de Castelnau, rejoint l'avenue Saint Lazare au prix de plusieurs méandres. C'est là que se trouve le stade Vincent Candela.
L'ensemble des sources utilisées pour l'écriture de ce feuilleton, ainsi que les remerciements aux personnes qui ont bien voulu m'offrir leur aide, est détaillé ici.
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