Pierre-Rouge 41 : les frères Pourcel et le premier Jardin des Sens

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Plan d'alignement pour le jeu de mail des abbés en 1934
La parcelle de Jean-Marie Gautheron est celle du premier Jardin des Sens
(Archives municipales de Montpellier - 10 Fi 12)

Je me souviendrai toute ma vie de mon premier repas au Jardin des sens, qui occupait alors l’angle de la rue du jeu de mail des abbés et de l’avenue Saint-Lazare. C’était au début des années 1990. Les frères Pourcel, en bons voisins, avaient offert aux Franciscaines du Saint-Esprit un déjeuner pour deux dans leur restaurant, comme gros lot du loto de l’automne qu’elles organisaient pour leurs missions. J’ai eu la chance énorme de remporter ce carton plein très convoité. Je n'avais jamais mangé en tête à tête au restaurant avec mon père, ce fut donc avec lui que je partageai ce moment.

A partir d’un pavillon du début du XXe siècle assez banal, Jacques et Laurent Pourcel avaient ouvert en 1988 une table ambitieuse. Par achats successifs, ils avaient agrandi la parcelle initiale et reconstruit par tranches une partie des bâtiments. La salle de restaurant était construite à l’arrière du pavillon qui n’allait pas tarder à être détruit pour laisser place à un bâtiment à la fois plus grand et plus moderne, avec une douzaine de chambres d’hôtel luxueuses. Dû à l’architecte Bruno Borrione, alors collaborateur de Philippe Stark, le bâtiment du jardin des Sens présentait volontairement une façade sur rue assez opaque, percée d’ouvertures rares et compactes. La façade sur jardin offrait une vue très apaisante, japonisante. Je n'ai malheureusement pas pris de photos à l'époque, mais on peut s'en faire une idée sur le site de Midi Libre ici.

Le premier jardin des Sens en cours de démolition,
façade à l'angle de l'avenue Saint-Lazare et de la rue du jeu de mail des abbés 
(11 mars 2017 - cliché de l'auteur)

En 1988, les jumeaux avaient 25 ans, étaient passés par l’école hôtelière de Montpellier en 1979 et avaient déjà aguerri leur cuisine dans les maisons réputées d’Alain Chapel, Michel Bras et Pierre Gagnaire. De leurs débuts, Jacques et Laurent Pourcel assument les tâtonnements, le temps de se détacher de l’influence de leurs maîtres et de la mode. En se concentrant sur les produits locaux sans rien rogner de leur créativité, les frères Pourcel se hissent en quelques années en tête de la gastronomie du Languedoc.

Le premier jardin des Sens en cours de démolition sur la rue du jeu de mail des abbés
(11 mars 2017 - cliché de l'auteur)

En 1992, le restaurant obtient son deuxième macaron. L’édition 1997 du GaultMillau lui donnait la note de 18/20, assortie de l’appréciation suivante : « Foisonnante, débordante d’idées, plus séduisantes les unes que les autres, au point que le choix est douloureux. Leur carte paraît cependant contenir les pièges de la complication ou de la sophistication. Il n’en est rien ». Pour l’édition suivante, les frères se voient décerner le titre de « Cuisiniers de l’année » par le même guide GaultMillau. Le jardin des Sens est alors une PME d’une trentaine de personnes qui sert 25.000 couverts par an. De 1998 à 2005 le restaurant était triplement étoilé au guide Michelin. En 2001, un certain Cyril Lignac passe dans les cuisines de l’avenue Saint-Lazare. Il ne fut pas le seul. En 2021, le Noma de Copenhague obtient 3 étoiles au Michelin et le titre de meilleur restaurant du monde. Son chef René Redzepi a travaillé un an comme stagiaire dans les cuisines du premier jardin des Sens.

12 août 2014, apéritif dans l'ancien jardin des Sens (cliché Frédéric Lopez)

Comme beaucoup de cuisiniers étoilés, les frères Pourcel multiplient les tables dans les années 2000. Fin 2000, en face du jardin des Sens, entre avenue Saint Lazare et route de Nîmes, ils ouvrent une brasserie méditerranéenne de 130 couverts, la compagnie des comptoirs. 

Les immeubles construits à l'emplacement de la compagnie de Comptoirs
(24 octobre 2018 - cliché de l'auteur)

Peut-être est-ce cette diversification, nécessaire économiquement, mais mal perçue par les inspecteurs du guide rouge, qui leur coûta leurs étoiles ? En 2012, le restaurant n’a plus qu’une seule étoile au Michelin.

Plateau de mignardises, 12 août 2014 (cliché de l'auteur)

Par agrandissements successifs, les frères Pourcel et leur associé Olivier Château avaient fini par être à la tête d’une belle parcelle de terrain. Par un hasard assez cocasse, on accédait à l’une des villas qu’ils avaient rachetée par l’ancien portail de mes arrière grands-parents, qu’ils avaient revendu en 1958 lorsqu’ils avaient modernisé leur clôture. Après un dernier service, le 26 mars 2016, les frères Pourcel ont éteint leurs fourneaux. Le jardin des Sens et la compagnie des comptoirs sont vendus à des promoteurs. 

Les immeubles à l'emplacement du premier jardin des Sens en cours de finition (17 février 2019 - cliché de l'auteur)

Fin 2018, les immeubles assez quelconques qui remplacent ce haut-lieu finissent de sortir de terre. En juillet 2021, avec deux ans de retard sur le calendrier initial, le jardin des Sens rouvre place de la Canourgue. Un site plus propice à reprendre la course aux étoiles, mais loin du quartier qui en fut le point de départ. Et pour y avoir mangé quelques jours après l'ouverture, c'est toujours aussi bon dans un cadre vraiment magnifique. Les étoiles ne devraient pas tarder à revenir au plus haut niveau.

Le patio du nouveau jardin des Sens (6 août 2021 - cliché de l'auteur)

L'ensemble des sources utilisées pour l'écriture de ce feuilleton, ainsi que les remerciements aux personnes qui ont bien voulu m'offrir leur aide, est détaillé ici.

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