Pierre-Rouge 31 : De l’école normale d’institutrices à la maison de la géographie

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Carte postale non circulée prise dans la cour (collection de l'auteur)

La loi Guizot de 1833 fut une étape importante dans le cheminement de la France vers la généralisation de l’enseignement. Elle avait notamment créé les écoles normales d’instituteurs, à raison d’une par département. Mais rien de tel n’existait pour les institutrices. Des initiatives locales se multiplient pourtant dans les années suivantes pour créer des écoles normales d’institutrices. Le département de l’Hérault rejoignit le mouvement en 1871, pour une ouverture le 3 janvier 1876, trois ans avant que Jules Ferry ne rende obligatoire les écoles normales féminines. Un équivalent confessionnel avait néanmoins existé à partir de 1846, dans les locaux de ce qui fut ensuite le petit lycée puis la caserne Tastavin.

La question des moyens retarda, comme souvent, la concrétisation du projet d’école normale interconfessionnelle de jeunes filles. Le terrain n’était qu’à quelques mètres de là, à l’angle des actuelles rues de l’abbé de l’épée et Saint-Vincent de Paul. Malheureusement, il était plus petit que celui des Dames de Nevers. Il n’y eut donc au départ ni cour de récréation pour l’école d’application ni "salle d’asile" comme on appelait alors les écoles maternelles. D’après Mme Lemercier qui fut sa directrice, dans sa première époque, l’école normale féminine pouvait accueillir vingt futures institutrices et l’école d’application cinquante élèves. Les normaliennes étaient en majorité catholique mais il y avait aussi des protestantes et chacune des deux religions avait son aumônerie. L’assistance au culte est obligatoire, les récréations réduites au minimum et l’austérité est de mise, de l’habillement aux occupations permises. En 1877, l’achat d’un terrain contigu permet de disposer enfin d’une cour de récréation. 

En 1879, L'annuaire du département de l'Hérault donne le nom de la directrice, Mme Bombled, de l'aumônier et des trois maîtresses adjointes : Mlles Guibert, Lefebvre et Espinasse. 

Les besoins en institutrices allant croissant, l’effectif passe de 7 normaliennes en 1876 à 40 en 1879, 52 en 1882. Il faut donc vite augmenter les capacités d'accueil. Parallèlement, le niveau des normaliennes s’élève et leurs résultats au brevet de capacité aussi. Entre 1880 et 1883, une série de textes réglementaires et législatifs laïcise les écoles normales. En octobre 1883, L'Eclair s'indigne que la directrice ait fait retirer tous les ornements religieux de La Chapelle. Pire pour le journal royaliste et catholique, le fait que cette directrice protestante fasse dire les prières  par ses deux adjointes protestantes alors qu'elle a aussi trois adjointes catholiques. Le journal, dont on aimerait bien connaître les sources, estime que sur 48 normaliennes, 38 sont catholiques. 

Les aumôniers disparaissent et l’esprit de l’institution doit changer. Cinq directrices se succèdent entre 1880 et 1890 afin de mettre en œuvre les nouvelles orientations toujours plus laïques et exigeantes. En 1886, une extension des locaux est décidée. Elle est achevée en 1890 et l’ouverture d’une école maternelle annexe complète enfin le dispositif. Jusqu’en 1940, l’école normale d’institutrices ne connut plus d’évolution significative. 

Pendant la première guerre mondiale, comme beaucoup d'autres institutions d'enseignement, accueille un hôpital militaire temporaire, le n°2, dont on retrouve le cachet  sur de nombreuses cartes postales. 

L'annuaire du département de l'Hérault de 1939 permet de connaître avec précision l'encadrement à la veille de la Seconde guerre mondiale : 
Mme Collet, directrice
Mlle Latour, économe
Lettres : M. Duhem, Mlle Paravisol
Sciences : Mlles Causse & Dupuy
Dessin : Mlles Gindre & Pagès
Musique : Mlle Masse
Education physique : Mlle Kieffert

L’équipe de l’école annexe primaire :
Mlle Fenouillet, directrice
Adjointes : Mlles Cheynet & Champsaur, Mme Devis

Celle de l’école maternelle
Mlle Viala, directrice
Mme Le Quéré, adjointe

Cette année là, l'école primaire accueillait 125 élèves, l'école maternelle, 110.

Carte postale non circulée prise dans la cour (collection de l'auteur)

Le gouvernement de Vichy était bien décidé à annihiler l’esprit républicain qui était celui des écoles normales. C’est donc logiquement qu’il les supprime avec effet à la rentrée 1941. Les futures institutrices vont préparer le bac au lycée de jeunes filles avant de recevoir leur formation professionnelle. L’école normale de jeunes filles devient un IFP (institut de formation professionnelle interdépartementale) et accueille, pour des stages de 3 mois, les postulantes de l’Hérault, de l’Aude et des Pyrénées Orientales. Les écoles d’application sont transférées à la municipalité. En 1944, les locaux sont brièvement occupés par les troupes allemandes puis par des FFI. 

L’école normale rouvre en 1945 mais tous les changements apportés par Vichy ne sont pas remis en cause. Les normaliennes sont désormais recrutées par concours à la fin de la classe de 3e, passent leur bac puis subissent un ou deux ans de formation professionnelle. En 1961, les normaliennes sont au nombre de 250, encadrées par 20 professeurs.

L’école s’adapte aux besoins liés à la massification du système scolaire. Ainsi en 1961, elle se met à former les professeurs d’enseignement général en collège, les PEGC. C’était une tentative de faire du collège en voie d’unification une vraie étape intermédiaire entre le primaire et le lycée, avec des professeurs assurant la transition. La suite de l’histoire de notre système éducatif en a décidé autrement et après la réforme du collège unique en 1975, c’est le collège imité du lycée qui s’est imposé. Il existait encore dans chaque collège  à la fin des années 2000 un ou deux PEGC n’ayant jamais changé de statut pour celui de professeur certifié après la mise en extinction de leur corps en 2003. 

En 1974, les écoles normales de filles et de garçons reçurent une direction unique, avant de fusionner en 1985 en école normale mixte. A une date que je n'ai pu déterminer, l'aile des dortoirs est désaffectée : il semblerait qu'elle le soit toujours. Transformée en IUFM pour la rentrée universitaire de 1991, l’école normale mixte abandonne les locaux de la rue Abbé de l’épée, qui changent plusieurs fois d'affectation. 

A Sciences-Po en 1996, j’ai eu comme maître de conférences en géographie un homme qui m’a montré la géographie sous un jour très différent de celui que je connaissais jusqu’alors :  Georges Roques. Habitant de Pignan, village proche de Montpellier, il venait à Paris tout exprès pour ce cours semestriel dispensé à un petit groupe d’étudiants de première année. Il venait tout juste de quitter la maison de la géographie de Montpellier après y avoir passé dix ans. En février 2020, il a bien voulu évoquer avec moi ce moment dans l'histoire de ce lieu, ce dont je le remercie beaucoup. Il va de soi que la manière dont je présente les éléments factuels qu'il a bien voulu me communiquer n'engagent que moi. 


File:Jean Malaurie-FIG 1996 (cropped) - Roger Brunet.jpg
Roger Brunet en 1996
(image sous licence Creative Commons)
En 1981, Roger Brunet est un géographe déjà réputé. Cet universitaire toulousain vient alors d'entrer au cabinet du ministre de la recherche du gouvernement Mauroy, Jean-Pierre Chevènement. Il travaille ensuite avec Laurent Fabius dont le portefeuille comprend aussi l'industrie. Il quitte le cabinet - tout en gardant de solides appuis politiques - pour fonder en 1984 un groupement d’intérêt public, baptisé RECLUS (Réseau d'Etude des Changements dans les Localisations et les Unités Spatiales) en hommage au géographe anarchiste Elisée Reclus, qui est aussi une référence pour le mouvement écologiste français. Pour ses critiques, nombreux et virulents, la géographie de Brunet et de ses collègues de RECLUS était abusivement théorique, jargonnante, aux mains d’une génération d’universitaires arrivés après mai 1968 et bien trop proche de la gauche mitterrandienne qui avait soutenu sa création. Dans un monde idéal où la connaissance ne serait jamais prisonnière d'autres enjeux, l'apport systémique et modélisateur de RECLUS aurait été pris pour une nouvelle perspective, stimulante et complémentaire de ce que la géographie avait déjà travaillé. Mais la géographie a toujours été un objet d'appropriation culturelle, et le monde universitaire français en général, et montpelliérain en particulier, est souvent miné par des problèmes d'égo. En fait il n’est nullement obligatoire d’adhérer aux idées, d’ailleurs pas franchement monocolores, diffusées par les membres du GIP-RECLUS pour s’intéresser à leur apport. A rebours d’une géographie descriptive, un peu trop littéraire, paysagiste et marquée par le déterminisme naturaliste, RECLUS a osé théoriser l’espace, utiliser à fond la puissance de l’informatique, d’abord celle des calculateurs puis des premiers Macintosh, et surtout n'a pas craint les synthèses ambitieuses. J’ai eu beaucoup de mal, chaque fois que je consultais la géographie universelle RECLUS à la bibliothèque de Sciences-Po, à rester concentré sur le sujet du devoir à rendre ou de l’exposé à préparer. La tentation du feuilletage était trop grande pour que je n’y cède pas souvent et me rende compte ensuite avec effroi que si l'heure avait avancé, ce n'était pas le cas de mon travail. Mais quel plaisir !

A Montpellier, la maison de la géographie a été celle du GIP-RECLUS. Les villes d'Annecy et Biarritz avaient également été envisagées, mais c'est l'appui politique de Gérard Saumade, président du conseil général, et de Georges Frêche qui a été déterminant. La mise à disposition de locaux libérés par la mutation des écoles normales en IUFM a fait le reste. 


Entrée principale de l'ancienne école normale d'institutrices - octobre 2018 (cliché de l'auteur)

Ancien élève de l'école normale de garçons de Chalons-en-Champagne (alors Châlons-sur-Marne) en 1958, Georges Roques ne pouvait qu'être sensible à l'esprit du lieu. Il se souvient encore avec netteté de cette étape importante de sa formation intellectuelle, marquée par un fort esprit de corps entre les élèves maîtres. La maison de la géographie de Montpellier était hébergée aux premier et deuxième étage de l'ancienne école normale de jeunes filles. La structure monumentale était toujours en place, avec un escalier d'apparat. L'ensemble était cependant vétuste. Georges Roques est un ancien élève de Roger Brunet pour la préparation de l'agrégation de géographie et de Robert Ferras en thèse. Ses anciens maîtres l'ont fait venir à la maison de la géographie en 1989 à l'un des postes de directeur adjoint. A ce titre, il occupait une ancienne chambre d'élève maître assez spartiate par rapport à ce qu'il avait pu connaître à Reims auparavant. 

La maison de la géographie n'était pas à proprement parler une maison. Personne n'y logeait et il n'y avait guère que la machine à café pour servir de lieu de rencontre informelle. Georges Roques se souvient d'un fonctionnement "vertical et fonctionnel". "Tous les lundis, il y avait une réunion d’équipe de direction, constituée de quatre ou cinq d’entre nous." Il y avait aussi une réunion mensuelle de l’ensemble du personnel et des réunions par groupe projet. "Les relations humaines se passaient à côté. Il y avait le patron, les directeurs adjoints, les chercheurs, les ingénieurs de recherche, les ingénieurs d’études et les autres." C’était "un labo innovant, extraordinaire", avec une cinquantaine de personnes à Montpellier même, mais environ 200 correspondants ailleurs en France et à l'étranger. Les moyens matériels étaient présents et au besoin avec réactivité : "Quand on avait besoin d’ordinateur, on l’avait deux jours plus tard. Il y avait un très haut niveau technique."

Une dizaine d’ingénieurs travaillaient là, avec des cartographes, à construire des outils  d'analyse du territoire. Les premiers travaux d'édition ont commencé en 1986.

Bâtiment de l'ancienne école normale à l'angle de la rue Saint-Vincent de Paul et de la rue Abbé de l'Epée - octobre 2018 (cliché de l'auteur)

L'ensemble des locaux appartenait au conseil général de l'Hérault, qui avait mis des bâtiments ou des parties de bâtiments à la disposition de différentes structures. Au rez-de-chaussée se trouvait Reporters sans frontières, que venaient de fonder en 1985 Robert Ménard, Rémy Loury, Jacques Molénat et Émilien Jubineau, avec le soutien de Gérard Saumade. Il y a eu en 1989 une production commune, l'Atlas des Libertés, dirigé par Jean-Claude Guillebaud, mais cette publication n'eut pas de lendemain, en raison des divergences entre Robert Ménard et Roger Brunet.

Le centre départemental de documentation pédagogique occupait une autre aile des locaux.  Georges Roques avait dirigé un centre régional de documentation pédagogique auparavant et aurait bien voulu travailler à des publications communes, permettant l'exploitation pédagogique de la recherche la plus actuelle. Là encore cela ne s'est pas fait, c'est le CRDP de Lyon a fait aboutir pour une petite partie la démarche.

Le groupement RECLUS a été dissous pour des raisons plus politiques que scientifiques en 1997. Son héritage perdure à travers une association fondée la même année et qui revendique 150 membres.


Aile moderne de l'école normale de jeunes filles, qui servait encore de maison des examens au Rectorat de Montpellier il y a une dizaine d'années  - février 2020 (cliché de l'auteur)

C’est dans ces locaux à présent surchargés de tags que j’ai passé en 2009 l’écrit du concours de personnel de direction de l’enseignement secondaire public, qui m’a permis de devenir Principal-adjoint et au bout de quelques années d’exercer les fonctions de Principal qui sont toujours mon métier.

D'après Jean-Marie Miossec, les bâtiments devraient prochainement accueillir la communauté d'universités et établissements Languedoc-Roussillon Universités (COMUE LR-Universités), établissement public qui gère les projets communs des universités montpelliéraines.


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L'ensemble des sources utilisées pour l'écriture de ce feuilleton, ainsi que les remerciements aux personnes qui ont bien voulu m'offrir leur aide, est détaillé ici.

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