Pierre-Rouge 52 : Le château Levat

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Le château Levat en 1970 - à droite l'Orangerie
(cliché R. Saumade - Le Crès - Archives départementales de l'Hérault 1074 W 15)

Le château Levat est l’une des moins connues des folies montpelliéraines, ces maisons d’agrément construites aux XVIIe et XVIIIe siècles comme Flaujergues, l’Engarran, Ô ou la Mogère. Sans doute à cause de sa proximité avec le centre ville, elle n'a pas eu la chance d'être préservée dans son contexte initial. La chronique anonyme sur les jardins de 1768, citée par Xavier Azéma, mentionne pourtant le jardin d’agrément du château-Levat parmi les plus remarquables des demeures de plaisance de Montpellier.

plan des parcelles du château-Levat et alentours
(ii 51, deuxième moitié du XVIIIe siècle - archives municipales de Montpellier, cliché de l'auteur)

Le château est édifié en 1763 et 1764 d’après Albert Leenhardt, dont j'aurais bien aimé retrouver les sources. Le commanditaire est un riche marchand de laines, Jean-David Levat, qui veut offrir une résidence de plaisance à sa deuxième épouse, la marseillaise Magdelaine Grisot. Le couple n’en profite que peu de temps, Jean-David Levat décède à Montpellier en 1772, âgé seulement de cinquante-cinq ans. C’est Antoine-David Levat, le fils issu de sa première union avec la rouergate Anne Grand, qui en hérite. Mais lui-même décède en 1783, âgé de trente ans. En juillet 1802, le petit-fils de Jean-David, qui exerce la profession de banquier, vend le château pour 60.000 francs. En 1825, David Levat achète non loin de là le mas de Mourgues qui remplace un temps le château Levat comme campagne montpelliéraine pour cette famille. 

Détail d'un plan non daté exposé au musée du vieux Montpellier qui montre le château-Levat et son parc dans leur contexte champêtre d'origine (cliché de l'auteur)

En 1802, le château Levat devient la propriété d'un riche négociant, Jacques-Louis Brousson, et est rebaptisé pour plusieurs années le mas de Brousson. Puis, en 1827, le château est transmis la fille de Jacques-Louis Brousson, Madame des Hours de Calviac. L’amputation de son parc en 1835 pour la construction de l’actuelle route de Nîmes et l'échec du forage d'un puits artésien lui auraient fait perdre le goût de cette campagne, qu’elle vend le 23 janvier 1837 au banquier et juge au tribunal de commerce Jean-Albin Parlier (1802-1897). 

Façade vers la route de Nimes - 1970
(cliché R. Saumade - Le Crès - Archives départementales de l'Hérault 1074 W 15)

Celui-ci n'est pas plus heureux en tant que propriétaire terrien, car en 1841, il est exproprié du morceau de terrain situé à l'est de la route, cette fois-ci pour y construire la ligne de chemin de fer. A la même époque, il met en vente la riche bibliothèque héritée de son oncle. 

A une époque où les maires n’étaient pas élus, mais nommés par le roi, Jean-Albin Parlier est nommé maire de Montpellier par Louis-Philippe de janvier 1844 à novembre 1846. La fille de Monsieur Parlier, Madame Guibal, était installée à Nîmes et venait peu à Montpellier. Son fils Alfred Guibal, grand notable protestant nîmois, président du comité des Mines de la Grand’Combe, y venait plus souvent. 

Ce qui reste du domaine du château-Levat sur le plan de l'architecte Kruger en 1896 
(Source : BNF/Gallica)

On distingue sur le plan de 1896, au nord du château proprement dit, des bâtiments d'exploitation agricoles. L'exploitation devait même être plutôt performante à cette époque, car elle accueille en 1877 pour le concours général agricole, un essai de faucheuses. Comme c'était la coutume, ils étaient tenu par un payre, dont deux articles de presse ont gardé la mémoire à la fin du XIXe siècle. 

Les bâtiments agricoles du château Levat en 1970 
(cliché R. Saumade - Le Crès - Archives départementales de l'Hérault 1074 W 15)

Un accident de la circulation nous livre une tranche de vie du payre du château Levat. Le 30 mars 1883, Le Journal du Midi raconte que : "Alphonse Rey, allait faire ses provisions en ville avec sa charrettes attelée d’un vigoureux cheval. Il avait quitté la route de Castelnau et venait de s’engager dans le faubourg de Nîmes, lorsque son cheval prit peur près de l’établissement des lavoirs publics et bains de natation et partit à fond de train. Rey, qui était assis sur le devant de la charrette, essaya vainement de le retenir. Devant la remise de la Couronne, tenue par Sabatier, rue du faubourg de Nîmes, cheval et charrette heurtèrent violemment au passage une jardinière que conduisait un négociant de Saint-Géniez, M. Gaussel. La jardinière eut son essieu rompu, un brancard cassé et fut renversée par la violence du choc. Cheval et conducteur furent relevés aussitôt ; ils n’avaient aucun mal. 

Quant au cheval emballé, qui venait d’occasionner cet accident, il continua un instant sa course et alla s’abattre à quelque mètres plus loin. Le payre, qui n’avait pas quitté son poste sur le devant de la charrette, roula sur le sol où on le releva avec une sérieuse fracture du bras droit. 
La docteur Cellarier s’empressa de donner des soins au pauvre payre, et un témoin de cet accident ayant fait approcher une voiture de place, le blessé put être conduit à son domicile."

Les bâtiments d'exploitation agricole du château-Levat juste le 11 janvier 1974
(Services techniques ville de Montpellier - Archives départementales de l'Hérault 1074 W 15)

Dans la nuit du 28 au 29 novembre 1892, le château a été cambriolé. Le payre, qui est toujours M. Rey, n’a rien entendu pendant la nuit du vol, il ne s’est rendu compte de ce qui s’était passé que le lendemain matin. N’ayant pas réussi à ouvrir la porte principale, les cambrioleurs ont fracturé une porte fenêtre avec une truelle et une picole (type de pioche utilisé dans les travaux de la vigne). D’après le compte rendu de l’Eclair : « A l’intérieur du château, tous les meubles ont été fouillés : certains, qui étaient fermés à clef, ont été fracturés. Laissant de côté de nombreux objets de valeur qu’ils ont, sans doute, jugés trop compromettants, les malfaiteurs se sont emparés de trois boules de billard, d’un objectif photographique (marque Berthiot N°4), d’un costume complet de flanelle blanche avec raies bleues, d’une paire de bottines jaunes à lacets, d’une paire de souliers pour dame, à semelles en caoutchouc, d’un costume de drap noir, d’une paire de souliers pour homme et d’un sécateur à manche de buis." Les instruments du cambriolage avaient eux-même été volés dans la campagne d'un boulanger montpelliérain, au lieu-dit le Sablas à Castelnau-Le-Lez. 

Les vols n'étaient sans doute pas exceptionnels, puisque dans la nuit du 26 au 27 novembre 1903, des malfaiteurs cassent un carreau de l'Orangerie et en repartent avec 10 kg de feuilles d'oranger !

En février 1927, les cambrioleurs s'en prennent au château lui-même, ayant percé la porte principale de sept ou huit trous de vilebrequins. Ont-ils été dérangés ? Rien de valeur ne semble avoir disparu.

Un salon du rez-de-chaussée en 1970
(cliché R. Saumade - Le Crès - Archives départementales de l'Hérault 1074 W 15)

Au début des années 1930, Leenhardt fait de l’intérieur du château la description suivante : « La décoration intérieure comporte, dans les salons du rez-de-chaussée, de très belles gypseries et au-dessus des portes, sculptées en plein bois, des sujets tirés des fables de La Fontaine. Du hall d’entrée, un bel escalier à rampe, de fer forgé, conduit au premier étage. » Le château était alors la résidence principale des héritiers d’Alfred Guibal. 

Mme Guibal fait faire de petits travaux d'amélioration par l'intermédiaire de l'architecte Jean de Richemont en 1935 et 1936 : un nouveau fourneau, les faïences d'un cabinet de toilette...

C'est au même moment que le journal La Tribune de Madagascar signale dans son édition du 8 août 1935 que le lieutenant de réserve d'infanterie coloniale Guibal, est en congé au château Levat avec ses camarades Dautheville et Jean. 

En 1941, c'est le notaire Edouard Castelnau, époux de Suzanne Guibal, qui est devenu propriétaire. Il fait dresser les plans d'importants travaux de toiture réalisés par le cabinet de Richemont. C'est grâce à Maître Castelnau que le château est inscrit à l’inventaire des monuments historiques depuis avril 1944. Le dossier d'inscription est malheureusement très mince et ne s'appuie que sur l'ouvrage de Leenhardt.

Vue vers l'avenue Saint-Lazare, on devine les maisons de l'avenue de Castelnau qui ne sont pas encore cachées par la résidence du Prieuré
(11 janvier 1974 - Services techniques ville de Montpellier - Archives départementales de l'Hérault 1074 W 15)

En 1972, c'est la veuve de Me Castelnau, née Suzanne Guibal, qui traite avec la chambre des métiers. Le château lui-même est alors prévu pour abriter les services administratifs de la chambre. L'ensemble est présenté comme en très bon état d'entretien. 

Il existe alors une station service exploitée par la société Mobil sur une parcelle détachée du parc donnant sur la route de Nîmes. Depuis de nombreuses années, ce terrain accueille un commerce de voitures d'occasion. 

La façade vers l'avenue Saint-Lazare en 1970 
(cliché R. Saumade - Le Crès - Archives départementales de l'Hérault 1074 W 15)

Le 9 octobre 1974, une lettre du préfet indique que la chambre des métiers de l’Hérault veut aménager le château Levat pour y accueillir le centre de perfectionnement professionnel des artisans. C’’est une dépendance, un ancien batiment de 150 m2 au sol sur 3 niveaux, qui est visée. La chambre des métiers bâtit un immeuble de bureaux moderne entre le château et l'extension du cimetière Saint-Lazare. 

Projet de réaménagement du rez-de-chaussée par la chambre des métiers en 1974
(Archives départementales de l'Hérault 1074 W 15)

Faute d'accord sur le prix, la famille Menut conserve l'autre partie jusqu'à la fin des années 1980. 

Le château Levat comportait une ménagerie, qui se situait à l’emplacement actuel du parc Edith Piaf. A l'occasion d'une opération immobilière, la mairie fait l'acquisition du terrain arboré où se trouve encore la noria. En 1988, le terrain en friche est débroussaillé, des allées sont tracées et des jeux pour enfants installés. Beaucoup d'arbres sont anciens et donnent de l'ombre à toute heure du jour : pins parasols, pins d'Alep, chênes verts et cèdres de l'Atlas. Le parc Édith Piaf devient le deuxième espace vert du quartier ouvert au public, après le parc Saint-Odile pendant la décennie précédente. Un espace réservé aux chiens est enclos au nord du parc. J'y suis souvent seul avec ma chienne lorsque je viens à Montpellier, alors que d'autres toutous s'ébattent dans la partie où ils sont normalement interdits. Il est vrai que la partie réservée aux chiens, poussiéreuse et sans charme, ne donne pas envie de respecter la règle.

façade est du château-Levat (février 2019 - cliché de l'auteur)

La vente du château-Levât par la chambre des métiers, annoncée en 2008, n’a finalement eu lieu que fin 2015. Le siège principal de la chambre des métiers et de l’artisanat est désormais dans le quartier de La Paillade. 

Château-Levat, façades Ouest et Sud (octobre 2018 - cliché de l'auteur)

Le bâtiment historique du château-Levat abrite aujourd'hui l'agence d'achitectes Tourre-Sanchis, qui a réalisé les immeubles neufs de l'avenue Saint-Lazare et de l'Orangerie.

Les immeubles neufs construits sur le terrain en bordure de l'avenue Saint-Lazare et qui cachent désormais le château (aout 2019 - cliché de l'auteur)

Le château n’est plus visible depuis l’avenue Saint-Lazare, il est masqué par deux immeubles neufs assez massifs, dont le rez-de-chaussée à usage de commerces est resté un temps vacant et tagué. Il abrite désormais un centre de formation par apprentissage. Côté nord, l’orangerie a été conservée, elle est intégrée à une résidence pour personnes âgées appartenant au groupe Clinipole.

L'ensemble des sources utilisées pour l'écriture de ce feuilleton, ainsi que les remerciements aux personnes qui ont bien voulu m'offrir leur aide, est détaillé ici.

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