Pierre-Rouge 42 : les activités funéraires autour du cimetière Saint-Lazare

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Un espace urbain en mutation, la portion de l'avenue Saint-Lazare face au cimetière, traditionnellement dédiée aux commerces funéraires (mai 2019, cliché de l'auteur)

Les activités funéraires autour du cimetière Saint-Lazare sont le complément des billets déjà parus sur le cimetière Saint-Lazare et les anciennes pompes funèbres. Elles sont un exemple à ma connaissance unique à Montpellier au XXe siècle d'une communauté professionnelle liée par des liens amicaux voire familiaux, où plusieurs générations se succèdent au même endroit dans la même activité. Cet endroit, c'est le rond-point Saint-Lazare (aujourd'hui du souvenir français) et l'avenue Saint-Lazare, entre l'actuelle avenue de la Reine-Hélène d'Italie et l'avenue de la Justice de Castelnau. J'ai donc essayé de retracer l'occupation des lieux, à l'aide des annuaires de l'Hérault de dix ans en dix ans (1892, 1902, 1912, 1922, 1932 et 1939) et de l'état civil de Montpellier. 

Ces activités sont sans doute aussi anciennes que le cimetière lui-même, inauguré en 1849. Mais les premières décennies sont difficiles à retracer. Dans un premier temps, les entreprises installées auprès des anciens cimetières (actuel collège Clémence-Royer pour le cimetière "des pauvres", ligne de tramway entre les anciennes cliniques Saint-Charles et le Verdanson pour le cimetière "des riches") n'ont pas dû juger l'activité suffisante près du nouveau cimetière pour s'y déplacer. Dans un second temps, leur adresse principale reste ailleurs et elles ont simplement une annexe à Saint-Lazare. Et cela dure pendant plus de trente ans. 

Le rond point du cimetière Saint-Lazare en 1896, le chemin vicinal est encore ouvert. Il est aujourd'hui remplacé par l'allée qui sépare la partir ancienne du cimetière de sa première extension.
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étail du plan de A. Kruger (source : BNF/Gallica)

L'annuaire de l'Hérault de 1882 donne seulement le nom de trois entrepreneurs en monuments funéraires, dont aucun n'est installé à côté du cimetière. Je retiens tout le même le nom de Deschanel, 4 rue du Saint-Sacrement (actuelle rue de Candolle), car son son nom figure sur le rond-point Saint-Lazare dans le plan d'alignement dressé en 1880. Le rond-point porte aujourd'hui le nom de rond-point du Souvenir français. Fondé en 1887 et reconnu d'utilité publique en 1906, le Souvenir français entretient les tombes et les monuments funéraires des  combattants morts pour la France

Tombes militaires restaurées avec le concours du Souvenir français, cimetière Saint-Lazare
(3 août 2021, cliché de l'auteur)

Voici, maison par maison, ce que j'ai pu reconstituer de cette activité. Il y manque bien des choses, notamment des visages, des photos anciennes et sans doute les liens d'amitié dont les registres d'état civil ne gardent pas la trace. Tout complément sera le bienvenu.

33 avenue Saint-Lazare : de Lauzerot et Roussel aux Miches rebelles

Carte publicitaire pour Louis Roussel - monuments funéraires
(sans doute entre 1904 et 1910 - collection personnelle de Fabrice Bertrand, avec son aimable autorisation)

En 1892, Lauzerot et Rousset est une entreprise de monuments funéraires recensée à cet endroit par l'annuaire de l'Hérault. Je n'ai rien trouvé sur M. Lauzerot. En revanche, M. Rousset est identifié. Né en 1851 à Pompignan (Gard), Jérôme Rousset est entrepreneur en maçonnerie à Montpellier lorsque nait sa fille Marie Julie en 1881. Un an après le décès de son père le 29 juin 1903, Marie Julie Rousset épouse le tailleur de pierre Eugène Louis Roussel (1881-1945) le 19 août 1904. C'est sans doute à cette période qu'il fait faire la publicité qui le présente comme "gendre et successeur". Il est intéressant de noter que seul l'atelier est à cette époque au 33 avenue Saint-Lazare, alors que le siège est rue Ferdinand Fabre. Autre détail, les carrières de Pompignan, village d'origine de Jérôme Rousset, continuent à alimenter l'entreprise de son gendre et successeur à l'époque de cette "réclame". En 1910, Julie Rousset décède, apparemment sans enfant. Le 23 février 1914, Louis Roussel se remarie avec Julie Gousty, qui lui donne deux enfants.

Les annuaires de l'Hérault présentent sans interruption l'entreprise de Louis Roussel au même endroit, jusqu'à l'ultime édition de 1939. En 1936, le recensement montre que la famille habite au 33 avenue Saint-Lazare. L'ainé des fils, Jean (1918-1987), est tailleur de pierre. Le cadet, Fernand (1925-2008), est marbrier. Malgré une différence d'âge de cinq ans, c'était un vieux camarade pour mon grand-père Raoul Montels et c'est Fernand Roussel qui a réalisé toutes les gravures et les plaques de la concession familiale au cimetière Saint-Lazare. J'y suis allé quelquefois avec mon grand-père, puis après son décès en compagnie de ma grand-mère, alors que M. Roussel était à la retraite, mais ne refusait pas de faire une bricole pour ses fidèles clients. Je me souviens du portillon qui menait à la cour ombragée et à la petite maison basse qui servait d'atelier. Juste derrière, sur l'avenue de la reine Hélène d'Italie, se trouvait une maison des années 1970 dont le rez-de-chaussée était occupée par le fleuriste "Le jardin de la Reine". 

Tout ce côté de l'îlot a été remplacé par des immeubles assez massifs. L'angle où se trouvait la cour de M. Roussel est longtemps resté vacant au rez-de-chaussée. Depuis quelques mois s'y trouve une boulangerie bio : les miches rebelles.

35 avenue Saint-Lazare : Debarry

L'annuaire de l'Hérault de 1939 recense à cette adresse l'entreprise de Mme Soubeyran-Debarry et de M. Antoine Debarry, monuments funéraires. Elle n'était pas présente dans l'édition de 1932. En revanche le recensement de 1936 indique que M. Antoine Debarry, marbrier, avait cette année là 42 ans. Antoine Félix Noël Debarry est un enfant du quartier, il est né rue de Moissac le 13 décembre 1894. Il s'est marié en secondes noces le 1er avril 1935 avec Mélanie Madeleine Soubeyran. 

Mélanie Soubeyran, née en 1885, était veuve en premières noces d'Adolphe Joussen (voir 55 avenue Saint-Lazare). 

Devenu veuf et retraité, Antoine Debarry décède rue de Belmont le 1er novembre 1961.

Amel France obsèques, 35 avenue Saint-Lazare (3 août 2021 - cliché de l'auteur)

Après la construction des nouveaux immeubles, Amarger Arguel a un temps installé une succursale à l'ancien emplacement de Debarry. Après de longs mois de vacances, c'est une nouvelle enseigne funéraire qui s'est installée en 2021, Amel France obsèques. Cela complète l'offre locale qui n'offrait pas de service adapté aux besoins d'une population musulmane dont les pratiques vont de l'inhumation sur place au rapatriement de défunts dans leur pays d'origine.

37 avenue Saint-Lazare : Roc'Eclerc

L'annuaire de l'Hérault n'indique aucun commerce de ce type dans les différentes éditions consultées. En revanche l'immeuble moderne abrite depuis plusieurs années une succursale de Roc'Eclerc. 

Frère et un temps associé d'Edouard Leclerc, fondateur des centres Leclerc, il mène ensuite ses propres affaires de stations service. En 1985, il a fondé l'enseigne Roc'Eclerc et obtenu en 1993 la libéralisation du secteur des pompes funèbres. Revendue au groupe Argos Soditis en 2005, l'enseigne est la propriété de l'entrepreneur Daniel Abittan (Grand Optical, PhotoServices) depuis 2012. Elle revendique plus de 400 implantations et la place de n°2 du funéraire en France. 

L'implantation de Montpellier marque, avec un modèle économique très actuel, la permanence des habitudes géographiques des montpelliérains.

39 et 41 avenue Saint-Lazare : De Garrigues à Joly, Joussen, Queuche

En 1932, le magasin de la veuve Garrigues est présent au 39 de l'avenue Saint-Lazare dans l'annuaire de l'Hérault. A cette même adresse, on trouve en 1936 Louis Garrigues

Mais le nom de Garrigues est présent depuis bien plus longtemps au numéro 41 où A. Garrigues est référencé par l'annuaire de 1892. En 1902, Garrigues est 2 faubourg de Nimes. Son tailleur Albert Bonnet vit dans le rond point. Albert Bonnet est le gendre du tailleur de M. Rivière, qui est lui installé dans le rond-point. Ce détail montre que les liens entre les commerces voisins dépasse ceux qu'entretiennent les propriétaires, les employés y participent aussi et peuvent, par le mariage, intégrer la première catégorie.

L'enseigne Antonin Garrigues a perduré tout au long du XXe siècle. Né le 9 juillet 1873 à Montpellier, Antonin Garrigues est graveur

Marius Antonin Garrigues est né le 17 septembre 1900 à Montpellier, dans la maison Cazalis de l'avenue Saint-Lazare. C'est le neveu d'Antonin Garrigues ; son père Laurent Garrigues était lui aussi graveur. Marius Antonin Garrigues est décédé le 7 novembre 1977 au 41 de l'avenue Saint-Lazare

Fils de Marius Antoine,  Florian Garrigues, né en 1927, est décédé en 2019 à 91 ans. Sa fille Jeanne Garrigues, mariée à José Jimenez, sont les parents de Maryse, épouse Grieu.

L'enseigne est toujours active en 1921 sous la raison sociale Maryse Grieu. Le nom d'Antonin Garrigues figure toujours au-dessus. A la Toussaint de 2020, Maryse Grieu déclarait à France Info qu'un tiers de son chiffre d'affaires se faisait à cette période. Pour l'occasion, elle avait le renfort de son fils Jérôme. Encore et toujours une affaire de famille.

Entre Grieu et Dejean, une dent creuse qui laisse craindre un nouvel immeuble massif dans peu de temps (août 2020 - cliché de l'auteur)

43 avenue Saint-Lazare : Lignon

Difficile en voyant aujourd'hui la dent creuse qui sépare Garrigues de Dejean de se rendre compte qu'une longue dynastie de marbriers  a tenu son commerce ici.

Dans l'annuaire de l'Hérault de 1892, c'est Louis Lignon qui y tient un commerce de monuments funéraires. Tailleur de pierre, âgé de 33 ans, il devient père de Paul "Jean" Lignon cette même année. Louis Lignon est encore présent dans l'annuaire de 1902. Dans celui de 1912 et de 1922, c'est Pierre Lignon qui est référencé. En 1932 en 1939, c'est Jean, le fils de Paul, qui est référencé. 

La maison a été détruite dans les années 2010.

45 avenue Saint-Lazare : de Boney à Dejean

La marbrerie Y. Dejean
(12 août 2019 - cliché de l'auteur)


En 1892 et 1902, la maison Sébastien Boney, monuments funéraires, est référencée par l'annuaire. En 1912, c'est le gendre de Sébastien Boney, Elie Dejean, époux de Rosaline Boney, qui est entrepreneur en monuments funéraires. Les annuaires de 1922 et 1932 montrent la continuité de l'enseigne.

En 1939, on trouve également au 45 un commerce de fleurs naturelles tenu par Laurent Bibal. La famille Joussen est toujours là, avec Jean, fils d'Elie, et Joseph associés.

Depuis l'avenue de Castelnau, par une fenêtre au verre cassé, l'atelier de la marbrerie Joussen
(16 août 2021, cliché de l'auteur)

En 2021, la marbrerie est toujours en activité.

Rond point : 

Il est plus difficile de s'y retrouver autour du rond-point, faute de numérotation d'une part mais surtout parce que l'activité y varie davantage.

Les comptes rendus du conseil municipal montrent qu'il existait dans les années 1880 un système de concessions autour du rond-point pour vendre différents articles. Outre les commerces en dur, il a donc existé aux abords du cimetière des baraques et des kiosques. Le 25 février 1886 vers six heures du soir, un incendie a endommagé le kiosque en bois de Monsieur Plagniol, marchand de couronnes funéraires, domicilié rue de la Vieille. M. Bonnet, cafetier, a enfoncé la porte et réussi à sauver les marchandises.

A ces installations permanentes s'ajoutaient des concessions temporaires pour l'octave de la Toussaint (du 1er au 8 novembre). En 1889, les emplacements temporaires sur le rond-point étaient vendus au plus offrant par la mairie, avec une mise à prix initiale de 10 francs. En 1886, on apprend qu'il y en avait 3.

Plan d'alignement du rond-point Saint-Lazare en 1880 - les ratures sur le chemin vicinal ordinaire n°52 montrent sa suppression dans l'extension du cimetière.
(archives municipales de Montpellier 10 Fi 30 - reproduction de l'auteur)

Dans la nuit du 25 au 26 mai 1886, un vol eu lieu dans l'atelier de construction de monuments funèbres situé au rond-point du cimetière Saint-Lazare. M. Deschanel, qui y élevait des poules, s'en fit voler trois grises et une blanche. On voit bien sur le plan d'alignement l'emplacement de l'atelier de M. Deschanel, là où se trouve aujourd'hui une salle de fitness.

Le conseil municipal renouvelle en décembre 1887 la concession d'Albouy, dit Aubin, sur le rond-point du cimetière. En novembre 1888, il en accorde une autre à un M. Desvingt.

Du côté des installations en dur, les noms changent souvent et la continuité est difficile à établir. On trouve un entrepreneur de monuments funéraires, Adolphe Bernard, dans les annuaires de 1902 et 1912. D'autres ne sont présents qu'une seule fois lors des années dépouillées : Deloras et Desprez, monuments funéraires, en 1912, comme Pierre Azema. En 1922, Georges Cauvy et Léon Costecalde, que l'on ne retrouve plus en 1932.

Deux familles cependant sont restées suffisamment longtemps pour que l'on puisse retracer un peu leur parcours : la famille Lala et la famille Deloustal.

Il existait en 1897 une entreprise de maçonnerie et de monuments funéraires appartenant à Louis Galavielle. Suite à son décès, son entreprise est divisée en 3 lots, dont le dernier est traité plus bas, au 55 avenue Saint-Lazare.

Les deux premiers lots correspondent aux Lala et aux Deloustal.

Belle maison de faubourg restaurée à l'extrémité de l'avenue de Castelnau et touchant le rond-point. L'enduit de façade et les huisseries en vert de Montpellier sont particulièrement bienvenus. Je crois pouvoir identifier cette maison avec celle de la famille Lala.
(9 août 2020 - cliché de l'auteur)

Le 30 juin 1897, devant Me de Borély, notaire à Montpellier, Jean-Pierre Lala acquiert "une maison avec divers bâtiments, cour et terrain, le tout contigu et servant actuellement de magasin et atelier de monuments funèbres au rond point du cimetière Saint-Lazare : 566 mètres 2 pour 6500 francs". Dans les annuaires de 1902, 1912 et 1922, Jean-Pierre Lala est entrepreneur de monuments funéraires dans le rond point.

Pierre Lala loue à Auguste Garrigues un chantier près du cimetière Saint-Lazare pour 3 ans à compter du 1er février 1895 pour un loyer modeste de 190 francs par an.

En 1932, c'est l'enseigne Pierre Lala, monuments funéraires et débit de boissons, qui est référencé. En 1939, le débit de boissons n'est plus présent.

La famille Deloustal a acquis le 2e lot "un immeuble en façade sur l’avenue Saint-Lazare, sur l’ancien chemin de Castelnau, près le cimetière Saint-Lazare, se composant d’une pièce de terre avec puits, d’un hangar et d’une maison d’habitation sur le derrière avec dépendance, le tout contigu : 524 m2, 5000 francs". L'installation semble plus excentrée. En 1912, Antoine Deloustal tient dans le rond-point un commerce de fleurs naturelles, mitoyen de celui de Mme Euzet, veuve Escalier. En 1936, Marie Deloustal est recensée au 78 de l'ancien chemin de Castelnau. 

55 avenue Saint-Lazare : Joussen

Le 30 juin 1897, le 3e lot de l'entreprise Galavielle est acquis par Jean "Victor" Joussen. Ce lot consiste en "un immeuble en façade sur l’ancien chemin de Castelnau et du chemin de Saint-Lazare, près le cimetière, 390 m2, 4500 francs". 

Le 12 octobre 1900, ancien chemin de Castelnau, au rond-point, maison Joussen, décède Jérôme-Joseph Joussen, entrepreneur de monuments funéraires originaire du Vaucluse, à l'âge de 66 ans. Les témoins de l'acte sont ses fils Victor, entrepreneur, âgé de 35 ans et Jules, tailleur de pierre, 24 ans.

En 1902, l'annuaire de l'Hérault recense au 55 avenue Saint-Lazare l'entreprise J.-V. Joussen. En 1912, c'est Adolphe et Victor Joussen, monuments funéraires. En 1922, il ne reste qu'Adolphe.

Adolphe Joussen est lui aussi un enfant du quartier, puisqu'il est né 17 Quai des Tanneurs le 6 janvier 1876.

Le 16 juin 1904, il s'est marié avec Mélanie Soubeyran (voir 35 avenue Saint-Lazare). Native de Castelnaudary, fille de laitier et sans profession à son mariage, elle n'a alors aucun lien avec le commerce de marbrerie. Après le décès d'Adolphe le 28 novembre 1931, il n'y a pas de Joussen dans l'annuaire de l'Hérault de 1932. En 1939, c'est Florian Joussen qui est référencé par l'annuaire à cet emplacement. Fils du précédent, il est né le 23 avril 1909 dans la maison Joussen. Florian Joussen est décédé à Montpellier le 5 juin 1990.

Avenue de la Justice de Castelnau (27 février 2019 - cliché de l'auteur)

Le terrain qui fait l'angle de l'avenue Saint-Lazare et de l'avenue de la Justice de Castelnau abritait encore des pierres tombales lorsque j'étais enfant. Avec la 2e ligne de tramway, il s'est couvert de constructions dont une résidence étudiante.

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Ainsi s'achève la partie de ce feuilleton consacrée aux activités économiques du quartier. A partir du prochain billet, ce sont les belles demeures et les notables qui seront traités.

L'ensemble des sources utilisées pour l'écriture de ce feuilleton, ainsi que les remerciements aux personnes qui ont bien voulu m'offrir leur aide, est détaillé ici.

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