Pierre-Rouge 43 : Cinquième partie : Belles demeures, notables et propriétés

Pour consulter les épisodes précédent de ce feuilleton, c'est ici.

Pour commencer ce nouveau volet de mon feuilleton, voici un billet introductif, qui donne le contexte des suivants. Plusieurs des noms qui y sont cités donneront lieu à des développements plus importants dans les semaines et mois qui viennent. Comme toujours, je suis à la recherche de documents et de témoignages pour faire revivre le passé des lieux évoqués.

Populaire du côté des abattoirs, voué au maraichage et aux institutions religieuses sur la plupart des autres espaces, le quartier abrite aussi une population variée appartenant aux classes moyennes : employés, commerçants, cheminots. Il y a toutefois quelques notables. Sans prétendre à l'exhaustivité ni se rapprocher d'un passé trop récent qui appartient à la vie privée de familles encore dans les lieux, je voudrais dans cette nouvelle partie de mon feuilleton évoquer quelques belles demeures, certaines des figures qui les ont bâties ou occupées et quelques événements marquants qui s'y sont déroulés.

Déjà sous la Restauration et la Monarchie de Juillet, Amelin avec son carnet à dessins se promène dans Boutonnet et vers le séminaire. Il en laisse quelques dessins pas toujours faciles à situer qui montrent que des lieux plaisants, souvent des villégiatures, se trouvent dans le quartier. 

Amelin, Maison René à Boutonnet, 1822, retouché 1836

En 1939, L'annuaire du département de l'Hérault permet de recenser les personnages éminents du quartier. J'ai choisi la dernière année de parution pour contourner une difficulté importante : pour beaucoup de notables, le quartier était un lieu de résidence secondaire, jusqu'assez tard dans le XXe siècle. En 1939, la diffusion de l'automobile a déjà permis à la ville de s'étaler un peu. Le risque est donc moins grand de passer à côté de certains notables, même si d'autres sources doivent être utilisées pour recouper l'annuaire. 

Parmi les notables, citons d'abord les professeurs d'université. Je mets à part les occupants de l'Enclos Laffoux, dont l'âge d'or est plutôt dans les années 1890 et 1900, qui fait l'objet d'un long billet à venir. Avant la massification de l'enseignement supérieur, leur statut social était augmenté par leur petit nombre. Les professeurs de médecine et de droit dédaignaient le quartier, lui préférant le vieux coeur de ville, le beau côté des Arceaux ou les boulevards arborés qui conduisent à Saint-Eloi. Une exception notable cependant, le doyen honoraire de la Faculté de droit Marcel Moye, 8 rue du Faubourg Boutonnet. D'autres universitaires pourtant ont choisi d'habiter le quartier. Dans la belle maison du 82 rue Lunaret, entre le Chambéry et l'école primaire de La Salle, loge le titulaire de la chaire d'astronomie de la Faculté des Sciences, le professeur Humbert. 

5 rue Saint-Vincent-de-Paul, là où se trouvait la maison de Georges Kuhnholtz-Loradat
(20 février 2020 - cliché de l'auteur)

Au 14 rue Saint-Vincent-de-Paul réside M. Charles Bouhet, professeur de physique à la Faculté des Sciences. Quelques maisons plus loin, au 5, là où se trouve alors une maison bourgeoise depuis remplacée par une annexe de l'Ecole normale, vit M. Georges Kuhnholtz-Lordat (1888-1965), professeur de botanique générale et agricole à l'école d'agriculture, qui est aussi vice président de la société d'horticulture et d'histoire naturelle de l'Hérault et administrateur du syndicat agricole de Montpellier et du Languedoc. Si la famille est d'origine hanséatique, son installation à Montpellier est ancienne. Le grand-père Marcel Kuhnholtz était professeur de médecine à la faculté de Montpellier, le père, mélomane, avait don d'une collection d'ouvrages de références importantes au conservatoire de musique en 1889. Georges Kuhnholtz-Lordat, ingénieur agronome, fut le premier à enseigner la génétique à l'école d'agriculture de Montpellier. En 1954, il fonda la chaire d'écologie et de protection de la nature au muséum d'histoire naturelle de Paris qu'il occupa jusqu'en 1958 lorsqu'il prit enfin définitivement sa retraite à l'âge de 70 ans. 

Le chef de travaux en industrie agricole de cette même école, M. Nègre, réside 5 chemin de Nazareth (ancienne propriété Planchon).

François Pitangue, le bibliothécaire en chef de l'Université, occupe au 22 rue Lakanal une jolie maison bourgeoise avec une tour originale, de jolies ferronneries au premier étage et un joli tympan au-dessus de la porte d'entrée.

Au 6 ancien chemin (désormais avenue) de Castelnau, c'est l'un des deux professeur de chimie générale et de chimie appliquée, le professeur Durand. Le maître de conférence en minéralogie, M. Chatelain, occupe dans la même rue la villa Saint-Louis. Un peu plus bas dans la hiérarchie universitaire, le chef des travaux pratiques de zoologie, M. Hatt, réside 21 rue du faubourg Boutonnet. Au 3 ancien chemin de Castelnau, dans la villa des Rosiers dont il sera question dans un prochain billet, c'est le professeur de philosophie de la Faculté des Lettres, Georges Poyer, qui réside. Sous le même toit se trouve aussi Mme Poyer, professeure de lettres au lycée de jeunes filles. M. Juge Cypriani, un agrégé qui enseigne langue et littérature grecques à la Faculté et aussi les lettres et la grammaire en classe de Première au Grand lycée habite lui 21 rue Thérèse. Au 8 rue de Ferrare habite Emile Appolis, agrégé d'histoire au lycée, secrétaire adjoint de la société de géographie de Montpellier. Au 26 rue Lakanal, M. Joseph Bonjean, professeur au lycée.

La villa Francine, désormais murée, occupée jusqu'à cet été par une descendante directe de Georges Benneben. Pour éviter les squatters en attendant une réhabilitation ou plus probablement une opération immobilière...
(8 octobre 2021 - cliché de Françoise Brossard)

Son collègue de Lettres en classe de Seconde, M. Aimé Lafont, habite la villa Hélène de l'Enclos Laffoux, dont il sera bien sûr question dans un prochain billet. Ce mélomane fait partie du conseil d'administration du conservatoire mais aussi du conseil municipal délégué à l'enseignement technique, à l'apprentissage et à l'artisanat. Il y voisine dans l'Enclos Laffoux avec l'un des 3 inspecteurs primaires, M. Bérenger. Le professeur de 5e, M. Georges Benneben, réside lui aussi tout près dans la villa Francine, 27 ancien chemin de Castelnau. 

Parmi le corps enseignant du lycée, on trouve encore le professeur de "dessin d'imitation", M. Viala, au 55 rue Lakanal. Pour le petit lycée, le professeur des 5e, M. Argelliers, est au 10 rue du faubourg Boutonnet. Le professeur d'anglais M. Marcel Sallé doit lui aussi pouvoir aller au lycée à pied depuis le 65 rue Lakanal, tout comme le professeur de première année préparatoire (on dirait aujourd'hui le CE1), M. Debos qui est au 66 rue Lunaret, juste à côté de la crèche Cléonice Pouzin. On trouve encore M. Albert Lacroux, professeur au lycée, 21 rue Ferdinand Fabre, non loin de son collègue Pierre Berne au 27 de la même rue.

Jean Bioulès le fameux maître de chapelle de l'Enclos Saint-François, réside lui au 7 de l'actuelle avenue Saint-Lazare. La renommée de Bioulès va bien au-delà de Montpellier. On l'entend sur les ondes de la radio nationale. En 1933, il se produit avec les choeurs de l'Enclos, une formation qui compte alors 45 exécutants, auprès de la société avignonnaise de musique symphonique, qui présente alors ce concert comme un événement dans la presse locale. Le programme hebdomadaire de la radio le mentionne plusieurs fois en 1941 et 1942.

Son fils Vincent Bioulès est né en 1938. Peintre majeur, membre du mouvement Supports/Surfaces, il a fait l'objet d'une importante rétrospective au musée Fabre de Montpellier à l'été 2019. 

Certains officiers en garnison trouvent pratique de résider dans le quartier, comme le colonel Gustave Pineau du 81e régiment d'infanterie (à la place de l'actuelle cité scolaire Françoise Combes), qui réside au 1 rue de Ferrare. 

Immeuble Le Laffoux, 24-26 avenue de Castelnau, à l'emplacement notamment de la villa Victorine, qu'occupait en 1939 M. Lyon (octobre 2018 - cliché de l'auteur)

Parmi les fonctionnaires d'une certaine importance, on trouve dans le quartier : 

  • M. Paul Gras, chef de service de la perception à la Trésorerie générale de l'Hérault, au 1 rue Henri. 
  • M. Roger Lyon, ingénieur en chef du Génie rural, villa Victorine, 24 ancien chemin de Castelnau.
  • M. René Servigne, chef du bureau des élections et contributions de la ville de Montpellier, 28 rue Lakanal.
  • M. Albert Sauvagnac, Inspecteur principal des Comestibles, 17 rue Lunaret.
  • M. Jean Fourniol,  contrôleur principal des contributions directes, 20 rue Francis Garnier, avec son épouse, professeure au lycée.
  • M. Maurice Fournera, greffier du conseil de préfecture, 14 rue Lakanal
  • M. Maurice Catalan, chef de bureau à la préfecture, 24 rue Lakanal
  • M. Jaussent, Inspecteur des écoles libres catholiques, 29bis quai du Verdanson.
  • M. Sébastien Arson, contrôleur principal de l'Octroi, 46 rue du faubourg Boutonnet. 

Sur les 22 receveurs de l'Octroi, pas moins de 7 résident dans le quartier : Emile Béchard 33 rue du faubourg Boutonnet, Gabriel Desfours, 6 rue Belmont, Toussaint Argelliers, chemin de la Justice, Jean Crouzet, 6 rue Proudhon, Léopold Roussel, 11 rue Lunaret, Jean Cazilhac, 6 rue Canton et Marc Peyrolles, 6 rue Henri. 

Parmi les membres des institutions économiques, on peut citer le chef de la comptabilité de la Banque de France, Lucien Cabée, qui réside au 41 rue de Villefranche, non loin du sous-chef de comptabilité, Louis Mengelle qui est lui au 23 rue de Villefranche. Le boulanger du 11 rue du faubourg Boutonnet, Adolphe Caylus, est le trésorier de la chambre de commerce. 

Le président de la société départementale d'encouragement à l'agriculture de l'Hérault, Marcel Cayrol (1889-1964), propriétaire viticulteur, réside route de Nîmes, villa les cigales. Ses vignes sont sur l'actuelle avenue de la Justice de Castelnau. Gestionnaire du domaine de l'Aiguelongue, il fonde en 1944 le crédit agricole du Midi et la mutualité sociale agricole de l'Hérault. Il est aussi président de la cave coopérative de Montpellier. Dans un monde où le vin est encore une activité économique de première importance, Marcel Cayrol est donc un personnage de premier plan. Une impasse du quartier de l'Aiguelongue lui rend hommage.

Jean Baillé, chef du service de publicité du quotidien L'Eclair réside au 27 rue de la Cavalerie.

Auguste Baldit, sous-directeur des assurances sociales, 6 rue de Ferrare.

Je n'ai trouvé qu'un seul médecin pour apprécier les villas aux beaux jardins ombragés du quartier, le Docteur Paul Ducloux, qui habite la villa Mirelle, 20 chemin de Nazareth mais il est à la retraite. Son confrère Ludovic Redon préfère l'adresse plus urbaine et la maison mitoyenne plus modeste du 5bis quai des tanneurs, tout comme G. Tuffery, 28 rue du faubourg Boutonnet et Plane, 37 rue Proudhon. Les autres devaient avoir leur cabinet en ville et leur "campagne" dans le quartier.

Un seul adjoint au maire, le dernier dans l'ordre protocolaire à cette époque là, réside dans le quartier. C'est M. Jean Manse, modeste 6e adjoint au maire délégué à la circulation. Il est pourtant le conseiller le mieux élu du fait du système de panachage de l'époque, avec 6372 voix (5371 seulement pour le maire Jean Zucarelli).

L'architecte Alexandre Bergon qui avait fait de brillantes études (médaille de dessin d'architecture en 1903 avec un livret de caisse d'Epargne de 25 francs or offert par le conseil municipal), résidait en 1938 13 rue d'Aubeterre. Depuis au moins 1931, il était architecte départemental, inspecteur des établissements classés. A part un lotissement à Palavas, je n'ai pas trouvé de trace de ses productions.

*
*.     *


L'ensemble des sources utilisées pour l'écriture de ce feuilleton, ainsi que les remerciements aux personnes qui ont bien voulu m'offrir leur aide, est détaillé ici.

Commentaires

Articles les plus consultés