Montpellier et autour 3 : quelques vues rares de ma collection

Depuis une vigne au nord est de la ville après 1878 (collection de l'auteur)

Depuis 1990, j'avais treize ans, j'ai accumulé une importante bibliothèque sur l'histoire de Montpellier. J'avais réclamé à ma grand-mère Odette un livre sur l'histoire de Montpellier repéré quelques mois plus tôt. C'était Montpellier naguère, de Mireille Lacave, où la plus ancienne photographie identifiée de la ville, représentant l'arc de triomphe avant la construction du palais de justice, m'avait fasciné. Mais le livre était épuisé et comme elle avait compris ce que je cherchais, Mamie Odette m'a offert le premier livre sur Montpellier de Roland Jolivet, Montpellier au passé recomposé. J'ai depuis acheté tout ce que ce collectionneur passionné avait publié et je suis heureux d'avoir sa dédicace sur plusieurs ouvrages. Sans le savoir, je venais d'attraper le virus de la carte postale et de la photo ancienne. Pas très facile à partager comme hobby à l'adolescence. Mes parents, ma marraine Chantal, Christine Baron, Georgette Brossard, Hélène Puginier, Brigitte et Jean-Thierry Sychowicz ont depuis alimenté le fonds, avec des visites fréquentes à la librairie Pierre Clerc ou rue Sainte-Anne lors de mes passages à Montpellier.

A partir de 1995, lorsque j'ai quitté la ville, j'ai accumulé beaucoup de cartes postales anciennes, de vieux papiers, de photos. Parfois le hasard des lots et d'une curiosité difficile à borner m'a fait acquérir des vues un peu moins courantes. Je les partage aujourd'hui avec bonheur, même si je sais qu'elles se retrouveront bien vite sur des groupes Facebook, reprises par personnes qui les priveront du contexte que je leur donne et se moquent du temps que cela m'a pris pour les réunir. Mais l'essentiel c'est qu'elles soient vues par toutes celles et ceux que le passé de Montpellier intéresse.

Je les complète d'autres vues tirées de ma collection de cartes postales ou de l'inépuisable trésor de notre bibliothèque nationale en ligne, Gallica.

La photo qui ouvre ce billet est peu spectaculaire au premier regard. Elle reprend un motif qu'on trouve quelques dizaines d'années plus tôt dans le dessin. La ville au loin sur un premier plan champêtre. On y distingue la prison (1845), le palais de Justice terminé (1853), Sainte-Anne achevée (1869), la cathédrale agrandie (1875). On devine à gauche les immeubles de la Rue Foch commencés après 1878. Mais c'est l'importance de ce premier plan, duquel l'écusson semble émerger comme d'un océan de vignes, qui frappe l'oeil. C'est un souvenir de l'identité de la ville au XIXe siècle et dans la première moitié du XXe. La photo a sans doute été prise depuis l'école d'agriculture à l'époque où elle jouait un rôle vital dans la lutte contre le phylloxéra. 

Avant les halles Laissac

Croix de la place Laissac (collection de l'auteur)

La présence isolée de la croix de fer montre que nous sommes avant 1878 et la construction du premier marché rond. Cette croix en ferronnerie de cinq mètres de haut est en place depuis le 25 avril 1821. 

La croix de fer de Montpellier, gravure de Toussaint François Node-Véran, première moitié du XIXe siècle (Gallica BNF)

Comme d'autres, elle perpétue le souvenir d'une mission menée par Monseigneur Fournier. Après l'Empire, la France qui vit sous le régime du Concordat, connait un renouveau du catholicisme, dont les missions sont un jalon et le renouveau des vocations religieuses, séculières et conventuelles, témoigne avec vigueur. 

Une photo dans l'angle opposé partagée par Bressolette permet de mieux en comprendre le contexte. 

La croix de fer vers 1860 (in Henri Bressolette Les croix publiques de Montpellier)

Envisagée dès 1850, la construction des halles sur la place a pris beaucoup de temps et l'inauguration par le maire Alexandre Laissac n'intervient qu'en 1880. Elles disparaissent en 1966 pour laisser place au marché rond surmonté d'un parking. 

carte postale circulée, sans date (collection de l'auteur)

A l'origine propriété de la ville, la croix de fer est depuis 1928 sous la responsabilité de la confrérie des pénitents blancs et a été déplacée en fonction des versions successives du marché couvert sur la place. La carte ci-dessus la montre dans son emplacement de 1879 à 1966.

L'Esplanade, Edouard Adam et le square de la gare de Palavas

L'Esplanade entre 1869 et 1877 (collection de l'auteur)

La datation de cette photo pourrait sans doute être encore précisée. L'indice le plus évident a présence de la statue d'Edouard Adam, déménagée sur la place qui porte depuis son nom en prolongement de la grand rue en 1877. Sur la place de la Comédie, il a été remplacé par le square de la gare de Palavas fermée en 1968 et détruite avec son square pour construire le passage en tunnel où circule désormais le tramway. En voici une vue à la Belle époque.

Le square de la gare de Palavas au bout de la place de la Comédie vers 1900 (collection de l'auteur)

La statue a disparu en 1941. Ce Normand - Edouard Adam est né à Rouen en 1768 -  installé à Nîmes, a inventé un appareil permettant la distillation des vins en obtenant un haut degré d'alcool. 

Un appareil à la Adam, détail d'une peinture au lavis d'Amelin 1821-1823 (Gallica BNF)

Cet appareil a été breveté à Montpellier en juin 1801. Edouard Adam est aujourd'hui tellement oublié qu'il n'a même pas de notice sur wikipedia. 

Statue d'Edouard Adam, le fond urbain a été supprimé sur cette carte postale circulée en 1907
(collection de l'auteur)

La Grand Rue vue du dos de la statue d'Edouard Adam (carte postale non circulée, collection de l'auteur)

La place Edouard Adam et la rue du faubourg de la Saunerie
(carte postale non circulée, collection de l'auteur)

Pour en revenir à la photographie de l'Esplanade, Roland Jolivet indique que des toilettes publiques derrière la statue ont été détruites en août 1869, ce qui donne un autre point de repère dans le temps. 

Il est visible qu'on est en période de foire, avec dignement de baraquements sur les allées latérales de l'Esplanade. Les rares silhouettes visibles sont dues au temps de pose qui les réduit à être des ombres fugitives. L'âne attelé à son charriot en revanche a dû stationner suffisamment longtemps pour être fixé sur la plaque. Il y avait deux foires à Montpellier, celle de Quasimodo (le dimanche après Pâques) et celle du 2 novembre. Compte tenu de la faible densité de branches sur les arbres - certains sont même nus - je pencherais pour novembre.

On distingue sur l'allée centrale le bassin sud, qui a existé de 1779 à 1896, puis à peu près au même emplacement de 1988 à 2023. Le bassin sud n'est pas encore au bord de la voie (avenue du Stand, puis Frédéric Mistral), ce qui est cohérent puisque nous sommes avant que l'Esplanade ne soit débarrassée des bornes et raccourcie d'une vingtaine de mètres, ce qu'on peut voir dans la carte postale ci-dessous.

L'Esplanade avec le bassin sud, avant 1896 (carte non circulée, collection de l'auteur)

Sur la photo ancienne, l'arrière plan est impossible à discerner à droite, en direction de la Citadelle. C'est bien dommage car les nouveaux bâtiments construits entre 1866 et 1876 auraient pu permettre de préciser la datation. En outre le cadre à droite ne permet pas de voir si la gare de Palavas, ouverte en 1872, est déjà présente. Le tas de bois devant la statue, est-il lié à la foire, à de l'élagage ou aux travaux de la gare et du viaduc de Palavas ? 

On peut cependant deviner à droite le café du pavillon, remplacé en 1896 par le bâtiment du mess des officiers, l'actuel office de tourisme.

Place de la Comédie

L'ancien théâtre avant l'incendie de 1881 (collection de l'auteur)

Cette photo-ci fait partie du même lot que la précédente. Elle représente le deuxième théâtre de Montpellier, inauguré en 1788 et détruit par un incendie le 6 avril 1881. Il a été remplacé par l'Opéra Comédie dû à Cassien-Bernard, inauguré en 1888. Ce nouvel édifice est à la fois plus large et plus haut que le précédent. 

D'après Escuret, la façade est celle du premier théâtre, qui a pu être conservée. Elle est due à Jacques Philippe Mareschal et remonte à 1753. C'est déjà un incendie qui a détruit le premier théâtre le 17 décembre 1785. Il est reconstruit sur les plans de l'architecte parisien Lenoir et du montpelliérain Donnat. 

La portion de la rue Richelieu qui existait à droite de la façade sur la photo a disparu comme l'immeuble voisin. Il a fallu exproprier une vingtaine d'immeubles pour donner au théâtre son emprise actuelle. 

Plan des immeubles expropriés pour reconstruire le théâtre (Archives municipales citées par Escuret)

La fontaine des trois Grâces est sur son emplacement de 1797, à 27 mètres du théâtre. Elle a été déplacée sur leur nouveau refuge en forme d'oeuf en 1895. Comme à Montpellier les statues sont souvent voyageuses, les trois Grâces auraient dû orner la place de la Canourgue à leur achèvement en 1776 par le sculpteur Etienne d'Antoine. 

Place de la Comédie - février 1892 (collection de l'auteur)

La photo ci-dessus est précisément datable car les travaux de démolition de l'hôtel Boussairolles, déclarés d'utilité publique le 21 décembre 1891 et ont commencé le 4 février 1892. On voit que l'une des deux ailes sur la rue de la Loge a perdu son toit. Au premier plan, le rez-de-chaussée à l'enseigne de la maison Bastide est muré et, aux étages, on a déjà déposé les ouvrants.

Bas de la rue de la Loge quelques années plus tard. La vue permet de mieux percevoir l'élargissement de la rue après 1892 (carte non circulée, collection de l'auteur)

Le plan ci-dessous permet de mieux situer ce qu'on appelle ici l'immeuble de Cadolle, qui est donc l'hôtel Boussairolles. 

Plan de la Comédie (1891 - AD Hérault)

Trouvée dans le même album, la photo ci-dessous a très vraisemblablement été prise le même jour de février 1892, à droite de la précédente. On y voit l'hôtel Nevet, qui lui aussi n'en a plus pour longtemps. A son emplacement se trouve aujourd'hui l'immeuble qui accueille le cinéma Gaumont et la boutique où j'ai acheté le jean Tuffery que je porte en écrivant ce billet. 

Place de la Comédie - février 1892 (collection de l'auteur)

La fontaine aux Licornes

La fontaine aux Licornes avant 1865 (collection de l'auteur)

Celle-ci est une vraie rareté et sans doute l'une des plus anciennes de ma collection même si le tirage me semble un peu plus tardif. La fontaine aux Licornes a été déménagée sur la place de la Canourgue en 1865 en exécution d'un plan d'urbanisme de 1854 qui élargissait la rue de la Loge notamment au niveau de la place Jean-Jaurès. La lithographie ci-dessous permet de prendre un peu de recul.

La place neuve, lithographie de Camaret sans date (Gallica BNF)

Les cartes suivantes montrent la fontaine dans son environnement actuel.

La fontaine des Licornes à la Belle Epoque (carte non circulée, collection de l'auteur)

La fontaine elle-même date de 1776. Elle est due au ciseau du sculpteur d'Antoine, qui est aussi l'auteur des Trois Grâces.

Carte des années 1960 Corbier Imprimeur Macon (collection de l'auteur)

L'arrière plan monumental dédié à la famille de Castries a partiellement fait place à un immeuble de rapport neuf, où se trouve actuellement l'enseigne Chez Mignon. La seule autre photo dans ce contexte que je connaisse, citée par Mireille Lacave dans Montpellier naguère, présente un commerce de lingerie à la place du bureau de tabac de la mienne. Si le cadre était plus large à droite, on y distinguerait la halle aux colonnes. L'immeuble au fond à droite, dans l'ancien alignement, est à l'emplacement de la Grande Loge, où se trouve aujourd'hui une Brioche dorée

On distingue au premier plan des ombres fugitives, sans doute les femmes venant prendre de l'eau à la borne fontaine. Le temps de pose de l'époque ne permettait qu'aux figures immobiles d'être visibles sur la photo. C'est le cas de la personne assise sur les quelques marches du bureau de tabac. A gauche, c'est l'accès à l'auberge des chevaux marins.

8 rue de la loge - carte postale ancienne (collection de l'auteur)

La carte postale ci-dessus représente ce qui se trouve à gauche de la fontaine, sur cette portion de rue de la Loge qui se confond avec la place Jean-Jaurès. C'est l'une des enseignes de Bélisaire Catalan dont j'ai déjà parlé à propos de la villa Chambéry. La vue suivante est dans l'axe de la rue de la Loge.

La halle aux colonnes, à gauche l'immeuble du Derby en retrait de l'ancien alignement là où se trouvait la fontaine aux Licornes (carte circulée en 1906 - collection de l'auteur)


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Les renseignements donnés autour des photos sont principalement redevables aux ouvrages de Louis Henri Escuret, Mireille Lacave, Roland Jolivet, Henri Bressolette, et à mes propres recherches aux archives municipales de Montpellier et départementales de l'Hérault. Toute proposition de précision quant aux datations des photos est la bienvenue. 

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