Pierre-Rouge 58 : La voie de chemin de fer Montpellier-Nîmes et son impact dans le paysage

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Le Pont de Pavie avec un convoi photographié dessus
(début du XXe siècle - carte postale, collection de l'auteur)


Paul Genelot était un cheminot passionné d’histoire. Il a laissé un ouvrage de référence incontournable sur le chemin de fer à Montpellier, La gare de Montpellier à travers le temps, mais il a aussi offert en partage aux montpelliérains ses archives de recherche, toutes consultables aux archives municipales sous la côte PG. J’en ai consulté plusieurs, y apprenant toujours davantage de choses. 

Depuis juin 1839, une ligne de chemin de fer reliait Montpellier au port de Sète. Dès 1842 le projet d'une ligne Montpellier - Nîmes, raccordée à celle de Sète, était lancé. Il a été brièvement question d'une gare installée au faubourg de Nîmes, mais le site actuel s'est assez vite imposé. Pour longtemps ce choix oriente le développement de la ville vers le sud, alors que le nord reste éloigné de l'activité, laissant le quartier à ses couvents et à sa croissance plus lente. 

Les procédures étaient simples alors et les travaux pouvaient facilement succéder aux projets. Tant pis pour les traces du couvent de Saint Maur détruites par la voie et l'amputation du parc du château Levat. Tant pis aussi pour les maisons du côté est de la route de Nîmes dont seuls les dessins d'Amelin conservent le souvenir. 

Dès avril 1844 on put faire un essai mais le train s'arrêtait au niveau de l'actuelle place du 11 novembre 1918, devant le Corum. Pour aboutir à l'actuelle gare Saint-Roch, les travaux ont nécessité le creusement d’une tranchée en 1844 entre la Citadelle et l’Esplanade. Tranchée qui elle aussi a fait disparaître des traces du bourg de Montpellieret.

En avril 1845, la ligne était complète et la locomotive La Méditerranée pouvait tracter un train express qui, ne s'arrêtant qu'en gare de Lunel, mettait Montpellier à 1h30 de Nîmes. L'aller simple coûtait 2 francs et 80 centimes en 3e classe, 3 francs 80 en 2nde, 5 francs en 1ère et 6 francs en place de luxe. 

A partir du franchissement du Verdanson, la ligne est construite sur un talus artificiel qui doit la mettre hors de portée des humeurs du Lez et du Verdanson. Ce ne fut pas toujours efficace. Le journal L’éclair dans son édition du 18 octobre 1920 rend compte de la crue du Verdanson qui a eu lieu le samedi 16 octobre et dit notamment que « le talus du chemin de fer, tout près de là, est très endommagé. » 

Pont sous la voie de chemin de fer reliant l'avenue François Delmas aux Aubes par la rue du Val Marie
(octobre 2018 - cliché de l'auteur)

La voie de chemin de fer forme une barrière physique percée de trois passages seulement entre le quartier et celui des Aubes. De nos jours, les ponts de la rue du Val-Marie et de la rue du Pont de Castelnau ont gardé leur gabarit d’origine, où deux véhicules peuvent à peine se croiser. 

La voie sous la neige en janvier 1902 (archives municipales de Montpellier 37S79)

Les terrains qui longent la voie de chemin de fer côté route de Nîmes sont pratiquement vides de construction.

Le même paysage mais sans la neige à la même époque. Point de repère en haut à gauche, l'actuelle maison de quartier Frédéric-Chopin (fusion de deux cartes postales circulées - collection de l'auteur)

Les accidents

Le 21 mars 1885, un jardinier de 28 ans, Charles Beys, trouve la mort sur la voie de chemin de fer, route de Nîmes, face à la rue du marché aux bestiaux. Ce jeune père de famille originaire de Gignac résidait au jardin Ray, sur l’avenue Saint-Lazare, dans un quartier que l’on appelait alors la Belle-Jardinière.

Beys devait aller de nuit à Gignac chercher des plants, avec le jardinier Masclau, son voisin et ami. Se rendant chez son beau-père pour dîner et y récupérer un attelage, il voulut prendre un raccourci et traverser la voie. L’express de Bordeaux le percuta à 40 km heure, envoyant le malheureux à 15 mètres de là et un de ses sabots fut projeté à 100 mètres après avoir brisé la vitre de la lanterne de la locomotive. Transporté chez lui, le malheureux expira deux heures plus tard. 


D'autres accidents étaient plus indirects, comme celui que relate L'Eclair dans son édition du 22 mars 1897 : « Un jeune homme passait, hier matin, vers six heures, sur la route de Nîmes, à cheval, lorsque arrivé devant le cimetière Saint-Lazare, l’animal, effrayé par le sifflet d’une locomotive, s’emballa. Le jeune homme, perdant l’équilibre, tomba et ses pieds s’étant trouvés engagés dans les étriers il fut trainé sur un parcours de 15 mètres environ ; il peut, enfin, se dégager et se relever ; mais il avait déjà reçu de nombreuses et fortes contusions. Quant à l’animal, il fut arrêté par un charretier, qui lui barra le passage avec son véhicule. Tant bien que mal, plutôt mal que bien, le blessé put rentrer chez lui. »


Le projet inabouti de quais à bestiaux


Projet non réalisé de quai à bestiaux, il se 
(archives municipales de Montpellier - 2 Fi 385, cliché de l'auteur)

Au début du XXe siècle, une orangerie cédée au PLM par M. Augustin Daubes aurait dû être transformée en halte marchandises. Un projet de 1913 prévoyait que le local existant serait complété par une rampe d’accès pour les bestiaux qui ne fut jamais réalisée, malgré un traité d'embranchement signée entre la ville et le PLM en 1915. 

L'ancienne serre Daubes (Michel Descossy, inventaire général du Languedoc Roussillon)

D'après Paul Génelot et Yvon Courty, cette ancienne serre a rempli plusieurs fonctions au fil du temps. Utilisée comme dépôt par les services de la voirie, elle est surnommée un temps "maison des cantonniers" par des riverains. On en parlait aussi comme de l'égorgeoir, car les propriétaires de poules, lapins et autres animaux de basse cour pouvaient y faire venir tuer les animaux par un professionnel plutôt que de le faire eux-mêmes. 
Elle a été détruite en juin 1990. 

Le Pont de Pavie et la seconde guerre mondiale

Vue du pont de Castelnau avec le pont de Pavie au premier plan
(carte postale - collection de l'auteur)

La famille Aigouy devant le pont de Pavie dans les années 1940 avant le bombardement
(collection de Marie-Josée Grigou, avec son aimable autorisation)

Épargnée par les combats jusqu’en 1944, Montpellier est bombardée pour la première fois le 5 juillet 1944. Ce sont plutôt les installations ferroviaires, notamment le triage des Prés d’Arènes qui sont visées et touchés. Les sirènes ont cependant sonné l’alerte dans toute la ville. Et le 17 août 1944, les bombardements se rapprochent. L’objectif est de couper la ligne ferroviaire entre Montpellier et Nîmes au niveau du pont qui franchit le Lez entre Montpellier et Castelnau-le-Lez. En fin de matinée, trois vagues successives de bombardiers visent le secteur du pont de Pavie, sans réussir à le détruire. Mais les bombes perdues sont plutôt pour le quartier de la Pompignane et le village de Castelnau. La nécessité pour les alliés de couper la retraite des Allemands vers le nord demeure. Le 24 août 1944 vers 17h20, un nouveau bombardement mieux ciblé fait sauter plusieurs arches du pont de Pavie. Dès le 29 août, la voirie réussit à rétablir la circulation sur une seule voie. 

Le pont de Pavie après le bombardement (collection de Paul Genelot)

Le pont de Pavie après le bombardement (collection de Paul Genelot)

Le pont est reconstruit en dur entre avril 1945 et mai 1946.

La modernisation

Dans les mois qui précédent juin 1960, la physionomie de la ligne change. Elle se hérisse de poteaux métalliques qui doivent accueillir la caténaire, nécessaire au passage à la traction électrique pour le service d'été 1960. Maître François Delmas, alors maire de Montpellier, annonce fièrement une moyenne de 110 km par heure pour ce train Express "Mistral", qui ne met que 7 heures 30 le jour à gagner Paris.

Le faubourg de Nîmes, en perspective on devine l'ancien pont du chemin de fer au niveau du Verdanson (détail - collection de l'auteur)

Du côté de la voie, le paysage du faubourg de Nîmes change spectaculairement en 1975 avec le remplacement du pont dit "des Bouchers" par un viaduc ferroviaire donnant plus de passage aux véhicules et au Verdanson. Jusqu’en 1975, l’actuelle place du 11 novembre 1918 ne communiquait avec le quartier des Aubes que par un étroit passage, à l’image de celui qui à Castelnau-le-Lez traversait la pépinière Amarger-Arguel jusqu’à la création de l’avenue Georges Frêche. Le lit du Verdanson, en amont et en aval, était large de douze mètres. Le pont des Bouchers ne lui laissait qu'un passage de huit mètres qui pouvait être problématique lorsque les crues le transformaient en torrent. Il avait d'ailleurs dû être mis en sens unique dans les années 1960 et les habitants des aubes ne pouvaient pas sortir de leur quartier par ce pont. Le nouveau viaduc Alphonse Loubat est immense en comparaison: le pont fait près de cinquante mètres de long. Il laisse passer largement la circulation automobile de part et d'autre du lit du Verdanson porté à seize mètres de largeur. 

De nos jours la ligne de chemin de fer, entre deux débroussaillages, donne à l'avenue François-Delmas un côté presque campagnard du côté est (octobre 2021 - photo de l'auteur)

L'ensemble des sources utilisées pour l'écriture de ce feuilleton, ainsi que les remerciements aux personnes qui ont bien voulu m'offrir leur aide, est détaillé ici.


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