Pierre-Rouge 61 : présence juive et musulmane dans le quartier

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Si la religion catholique a dominé le foncier du quartier, avec parfois quelques ilots protestants comme Villa Louise au temps des Westphal-Castelnau, les autres religions n'en sont pourtant pas absentes. 

A titre de curiosité, car je n'ai pas réussi à la localiser précisément, je cite une loge maçonnique fondée en 1869. La loge de rite écossais "les vrais fidèles" reste active au moins jusqu’en 1914. Elle semble liée au parti radical. Un de ses vénérables est à un moment le conseiller général Ernest Audibert (1842-1901), dont Baussan a réalisé un buste en bronze pour le tombeau au cimetière protestant. 

Mais c'est surtout à la présence juive et musulmane que je veux m'intéresser dans ce billet. 

Les cimetières juifs


Un cimetière juif existait dans l'actuel enclos Tissié-Sarrus au XIIIe siècle. Suite à la fondation à cet endroit du collège de Valmagne en 1263 par Jacques d'Aragon, la communauté juive reçoit un mince dédommagement de 10 livres pour "faire retirer les ossements de leurs morts" cite Louis Henri Escuret.


Mickaël Iancu note qu'après l'expulsion de 1306, Sanche d'Aragon permit aux juifs autorisés à revenir de racheter leur cimetière du faubourg de Villefranche contre la somme de 50 livres melgoriennes. 


Les allusions sont ensuite nombreuses pendant les siècles suivants, le cimetière des juifs est un point de repère dans les actes, notamment des notaires. Par exemple, un acte du 30 septembre 1361 mentionne un champ du terroir de Boutonnet au lieu appelé "cimetière des juifs" : "descendant du puits d'En Berthel allant au pontil des Carmes et avec le chemin allant de Montpellier à la tour d'En Candelon" (G3446 Me Pons cité par Renée Claude Sutra).


D’après un plan ancien, il se serait situé là où se trouvent aujourd’hui les sœurs de Saint-François d’Assise, rue Lakanal. Pour d’Aigrefeuille, c’est dans l’enclos Farel qu’il se trouvait, à l’emplacement de la caserne de Lauwe. Joseph Berthelé a tranché la question par une démonstration rapprochant des plans anciens, en faveur de l'enclos Farel, essentiellement là où se trouvent actuellement la villa Farel et son parc. 


La villa Farel avec son parc - août 2023 (cliché de l'auteur)


Preuve supplémentaire, d'après Pierre Gabriel (1665), cité par Mickaël Iancu, une pierre tombale hébraïque aurait été retrouvée à l'emplacement de ce cimetière. L'ancien médecin-chef de l'EMA, le docteur Borgomano, écrit que l'on trouva des sépultures juives lors de la construction du petit-séminaire. Jean-Louis Vayssettes dit la même chose lors du creusement d'une tranchée en 2010. Je rêve d'une fouille du parc qui pourrait nous faire mieux connaître la population juive de Montpellier au Moyen-âge.


D'après Jean-Louis Vayssettes, cité par Michaël Iancu, un autre cimetière juif médiéval aurait existé "juste après avoir franchi le pont enjambant le Verdanson, non loin du couvent des Augustins, à gauche en se dirigeant vers Nîmes". 


Mais il ne s'agit là que de tombes, les juifs vivant alors dans plusieurs quartiers successifs de l'Ecusson. 


Portail du cimetière juif - l'accès ordinaire se fait par le cimetière Saint-Lazare
(octobre 2019 - cliché de l'auteur)


L'actuel cimetière juif, sur l'emplacement de la maladrerie Saint-Lazare fut réservé en 1849, le vicaire général ayant exclu de la bénédiction du cimetière Saint-Lazare un triangle de terrain situé à l'est, séparé du reste du cimetière par un mur, et bénéficiant d'une entrée séparée. Elle fut longtemps sur l'avenue de la Justice de Castelnau. L'arrivée de la ligne 2 du tramway moderne l'a faite déplacer rue du Pont de Castelnau. Le cimetière se situe désormais en contrebas de la chaussée et de la voie de la ligne 2 du tramway. 


Intérieur du cimetière juif (octobre 2019 - cliché de l'auteur)


La première inhumation y fut pratiquée en 1855 pour Joseph Vidal-Naquet. 


Eugène Lisbonne, dessin de Try en 1876 (Gallica BNF)

On y trouve notamment la tombe d'Eugène Lisbonne (1818-1891), homme politique éminent des débuts de la IIIe République. Avocat républicain en 1848, il est exilé après le coup d'Etat du 2 décembre 1851 qui conduit au Second Empire, auquel il s'oppose avec constance et énergie. Lorsque la République est rétablie le 4 septembre 1870, il devient préfet de l'Hérault, poste qu'il quitte en avril 1871 pour devenir conseiller général et président de cette assemblée. Député de l'Hérault de 1876 à 1881, il est le rapporteur de la grande loi de 1881 sur la liberté de la presse. Elu sénateur en 1888, il l'est encore au moment de son décès. 


De l'Immaculée Conception à la synagogue et à radio Aviva


L’ancienne chapelle de l’Immaculée conception est depuis 1985 la synagogue Mazel Tov. Elle est aujourd'hui très sobrement meublée, les murs sont blancs, seule la voute du coeur est peinte  d'un joli bleu ciel. Les boiseries ont toutes été conservées et leur teinte actuelle, assez claire, contraste avec le mobilier récent, plus sombre. 


Chapelle de l'Immaculée Conception (carte postale non circulée, collection de l'auteur)


Cette synagogue fut en 2002 la cible d’une tentative d’attentat qui a beaucoup ému à Montpellier. La journaliste Catherine Bernard, qui n’était pas encore devenue vigneronne à Castelnau-le-Lez, mais était la correspondante locale, entre autres, de Libération, en rend compte le 5 avril 2002. « A 4 heures jeudi matin, une patrouille passe devant la synagogue Mazel-Tov, l'une des trois que compte la ville de Montpellier. Les policiers repèrent de la fumée et une « voiture suspecte », avec trois personnes à son bord. Les pompiers maîtrisent rapidement l'incendie provoqué par deux ou trois engins explosifs, tandis que les trois jeunes sont interpellés et placés en garde à vue. » La lecture de Midi-Libre le même jour nous apprend que les trois pieds nickelés, connaissant mal les lieux, ont visé la maison de l’environnement, mitoyenne de la synagogue. Les réactions rapportées par la presse, sont unanimes dans la condamnation et sans outrance dans le propos. Il faut dire que la présence juive est ancienne à Montpellier et dans le quartier, où les relations relèvent du bon voisinage. 


J’ai eu chez les sœurs franciscaines plusieurs condisciples juifs des deux sexes, le coiffeur de ma grand-mère sur la place Emile Combes l’était aussi. Je ne me souviens pas que ça ait semblé extraordinaire à personne ou d’avoir entendus des remarques antisémites de la bouche de quiconque. 


Une manifestation antisémite


Pourtant, notamment au temps de l'affaire Dreyfus, il y a bien eu des manifestations sans équivoque d'antisémitisme dans le quartier. Le 7 janvier 1895, dans une remise de la rue de Villefranche, a lieu une "conférence antisémite" chroniquée avec complaisance par L'Eclair le lendemain. Le contexte est celui de l'affaire Dreyfus. Le capitaine Alfred Dreyfus, condamné par la justice militaire pour espionnage sur la base d'un faux, a été dégradé de façon infamante et spectaculaire l'avant-veille aux Invalides, à Paris. 


Le journal décrit le lieu de réunion, de basse mine : « Une immense salle ou, pour être franc, une sorte de remise, sommairement éclairée par quelques lampes fumeuses. Voici pour le local (…) Comme la salle n’était ni pavée ni parquetée, les auditeurs, en attendant l’arrivée des conférenciers, soulevaient en se promenant, pour tromper le froid, un nuage de poussière qui, mélangé à d’épais tourbillons de fumée, viciaient l’atmosphère ». Même si l'auditoire n'est pas très nombreux, "environ trois cents personnes", il est présenté comme "brillant", "Beaucoup d’avocats, d’étudiants, de notabilités montpelliéraines. Les ouvriers étaient en petit nombre. En revanche, plusieurs conseillers municipaux socialistes et un certain nombre d’agents de police, en bourgeois". Il ne s'agit pas hélas, de 20h30 à 23 heures, que d'évoquer des "affaires" comme celle des chemins de fer du sud ou de faire crier à plusieurs reprises "à bas les juifs", mais de structurer l'antisémitisme montpelliérain dans sa diversité. Un bureau est élu, présidé par maître Durrand, avocat à la cour d'appel de Montpellier depuis 1889, avec pour assesseurs son confrère Gabriel Hérail mais aussi le tonitruant Jean Baptiste Bénézech, conseiller municipal, ouvrier typographe, syndicaliste et protestant, dont l'élection donne lieu dans la salle de la conférence antisémite à des mouvements très variés. Un étudiant de Toulouse s'empare un moment de la tribune pour déclarer que "tous les exploiteurs du peuple ne se trouvent pas parmi les juifs" et se fait expulser par les policiers présents. 


Si cette manifestation a eu des suites, je n'en ai pas trouvé trace à ce jour.


Dans ses conférences sur l'exégèse biblique, Monseigneur de Cabrières n'a, d'après son biographe Gérard Cholvy, jamais tenu de propos antisémites. Il saluait plutôt ce que l'église devait dans son héritage à la synagogue. Le 20 janvier 1904 à la cité Lunaret, chez les frères des écoles chrétiennes, le prélat plaçait "le livre des Juifs" "à la racine de notre foi"


Entrée de la synagogue Mazel Tov (octobre 2018 - cliché de l'auteur)

Tolérés au Moyen-âge, taxés de façon confiscatoire de temps à autre, puis expulsés à de multiples reprises, les juifs ne sont normalement accueillis à Montpellier jusqu’au XVIIIe siècle que de façon précaire, à l’occasion des foires. D'après les actes relevés par Xavier Azéma, les montpelliérains achetaient souvent ânes et mules à des marchands juifs "du Pape", c'est-à-dire bénéficiant de la tolérance qui régnait dans l'enclave pontificale à Avignon et autour.


Les articles que j’ai consultés dans le Bulletin historique de la ville de Montpellier, ne permettent pas de trancher la question d’une présence discrète, au-delà de certaines familles converties pour l’apparence, les marranes. Robert Merle a fait dans son roman En nos vertes années le portrait à peine romancé de l’un d’entre eux, un docte apothicaire inspiré du Catalan des Platter, qu’il a baptisé Raymond Sanche. Le père Raymond est un catholique de façade, le fils Luc est protestant tout aussi superficiel, mais les deux générations se retrouvent dans l’abstinence des nourritures interdites, la récitation des psaumes ou la prière avant le repas psalmodiée en hébreu. 


Une communauté juive a aussi existé dans le faubourg de Villefranche avant les destructions du XVIe siècle, mais je n’ai pas trouvé d’indications précises sur sa localisation. 


L'annuaire du département de l'Hérault de 1818, en recensant les représentants des différentes confessions, indique : "Il n'y a point de synagogues régulières dans ce département, ni aucun rabbin. Les israélites forment néanmoins, à Montpellier, une assemblée dont M. Vidal Naquet est le commissaire. Cette assemblée dépend de la synagogue consistoriale de Marseille." L'édition de 1828 est muette, comme s'il n'existait aucune pratique religieuse juive à Montpellier à cette date. Alors même que Vidal Naquet fait toujours partie des commerçants payant patente de 1ere classe. En 1869, l'administration du culte israélite  est assumée par Moïse Vidal-Naquet, l'avocat maître Bédarride et l'ingénieur Simon. 


En octobre 1888, l'héritière d'une famille de fabricants de verdet décèdait à Montpellier. Mademoiselle Sarah Navarre était une riche rentière qui léguait 400.000 francs au grand rabbin d'Avignon, 10.000 à celui de Nîmes et 10.000 à celui de Toulouse. L'absence de mention d'un éventuel rabbin de Montpellier me fait penser qu'il n'y en avait toujours pas à cette époque. 

 

A la fin de la Seconde guerre mondiale, il ne reste qu'une cinquantaine de familles juives à Montpellier, profondément meurtries par la Shoah. La communauté s'est élargie par la suite, particulièrement au moment de l''indépendance des pays du Magreb, en particulier de l'Algérie, qui a conduit à Montpellier de nouvelles populations juives, aux traditions différentes, à la fois plus chaleureuses et plus orthodoxes. 

 

La synagogue n’est pas le seul bâtiment du quartier qui atteste d’une vie communautaire juive. Au 18 de la rue Ferdinand Fabre, dans une autre aile de l’ancienne Immaculée conception est installée Radio Aviva. Née en 1982 sous le nom de radio juive languedocienne, Radio Aviva a été fondée par Hubert Allouche, disparu en 2016. C’est aujourd’hui la deuxième radio associative de Montpellier en termes d’audience, avec sept salariés et une quarantaine de bénévoles. Pour alimenter son budget de fonctionnement de 160.000 euros par an, elle ne perçoit aucun financement public. Radio Aviva est plutôt une radio généraliste en journée, le soir et la nuit, elle vise un public plus jeune. La station a développé de nombreux partenariats  culturels et éducatifs.


Enseigne de la boucherie cacher de la rue Lunaret (octobre 2018 - cliché de l'auteur)


Au 41 rue Lunaret se trouve la boucherie Eretz Bensoussan, la seule boucherie cacher du département de l’Hérault. 

 

Depuis des années lorsque je suis à Montpellier le vendredi soir je vois passer avenue de Castelnau des pratiquants qui reviennent de la synagogue. Signe des temps, alors qu’il y a un quart de siècle les hommes portaient leur kippa de façon apparente ou un chapeau, la plupart de ceux que je vois aujourd’hui dissimulent la kippa sous une casquette. Et cela m'attriste à chaque fois, comme de voir qu'un car de police est présent chaque vendredi soir devant la synagogue à coté de chez moi au Havre.


Présence de l'Islam


La faculté de médecine de Montpellier a dû une partie de son rayonnement à l’époque moderne à son intérêt pour les apports de la médecine arabe. Mais si Juifs, protestants et catholiques y sont présents de longue date, dans une cohabitation qui n’a pas toujours été pacifique, la présence de l’Islam dans la région avait cessé depuis longtemps lorsque Montpellier a été fondée.

Jusqu’aux années 1970, la population musulmane présente à Montpellier, comme dans le reste de la métropole, est quasi-exclusivement constituée d’hommes seuls, venus pour y travailler et ne concevant pas leur présence comme définitive. L’arrêt officiel de l’immigration de travail en 1974 et les mesures de regroupement familial prises deux ans plus tard par le gouvernement Chirac marquent un tournant. Il faut cependant noter que les ressortissants algériens sont dans un premier temps exclu du regroupement familial. C’est le conseil d’Etat qui a consacré le droit à mener une vie familiale normale, par son arrêt GISTI du 8 décembre 1978, contre l’avis du gouvernement Barre.

La population issue de l’immigration musulmane s’est concentrée dans les quartiers de la Paillade et du Petit Bard mais elle est aussi présente de façon moins marquée dans tous les quartiers, dont celui des abattoirs. A quelques maisons de mes grands-parents vivait dans les années 1980 une famille marocaine à qui je dois d’avoir découvert d’autres saveurs, salées et sucrées, que celle de la tradition culinaire familiale. Même alors qu’elle avait quitté le quartier, notre voisine Mimouna a continué à venir s’occuper du gros du ménage pour ma grand-mère, qui la considérait comme une amie bien plus que comme une employée. J’ai été surpris et ému de retrouver aussi nombreux nos anciens voisins à Grammont lors des obsèques de ma grand-mère. A l’école des anges-gardiens comme au lycée de la Pierre-Rouge, toutes deux catholiques, j’ai eu des camarades musulmans.

Une ancienne mosquée de quartier

Il a existé pendant trente ans une mosquée dans le quartier. En 1974, une chapelle catholique désaffectée, située à l’emplacement de l’ancien clos des Augustins, 24 rue Bernard Délicieux, est prêtée puis louée à une association cultuelle de harkis. Cette mosquée, baptisée At-Tawba (le repentir), pouvait accueillir 800 fidèles selon Midi-Libre. Lydie Fournier donne le chiffre plus modeste de 300 personnes, ce qui vu la taille de l’ancienne chapelle, est plus vraisemblable. Elle était gérée par Kathir Nedromi, harki installé à Montpellier depuis 1963 et qui fut longtemps responsable du zoo de Lunaret. 

L’histoire de la mosquée de quartier se termina assez tristement. Kathir Nedromi s’est retiré de sa gestion en 1986 et a déplacé son activité successivement dans deux autres mosquées. At-Tawba a ensuite été géré par les Ahbaches, organisation sunnite d'origine libanaise, avec des pratiques tendant à un ascétisme proche du soufisme. En 2000, l’évêché de Montpellier annonce vouloir récupérer le local pour y installer une halte solidarités à destination des sans-abris, cogérée par le secours catholique et la société Saint Vincent de Paul. Pour l’évêque, le fait que plusieurs autres mosquées existent désormais ne rend plus nécessaire l’aide de l’Église. L’association qui gère la mosquée, de rite minoritaire, à l’écart des autres structures cultuelles musulmans, fait la sourde oreille. Le diocèse de Montpellier se résout à aller en justice et l’expulsion est décidée en 2005. En avril 2005, les responsables de la mosquée finissent par céder et par rendre les clés, sans trouver des nouveaux locaux. La plupart des fidèles changèrent de lieu de culte pour la mosquée du Plan Cabannes.

Les immeubles bleus de la Sonacotra

Les "nouveaux" abattoirs vus du ciel (photo aérienne © IGN 1963)
On distingue bien au sud l'espace laissé libre et pas encore occupé par les immeubles de la Sonacotra.

On devine aussi les toitures à redans partiels (ou sheds) des nouveaux bâtiments qui doivent permettre l'entrée de la lumière naturelles

La mosquée servait notamment dans les premiers temps de lieu de culte aux résidents des immeubles bleus de la Sonacotra. En effet, à la fin des années 1950, la reconstruction des abattoirs s’était faite en retrait de la place des abattoirs et avait libéré une bande de terrain d’une vingtaine de mètres. C’est sur cette bande de terrains qu’ont été construits les immeubles bleus de la Sonacotra.

Créée en 1956 par Eugène Claudius Petit, la Sonacotra (Société nationale de construction de logements pour les travailleurs) avait pour objectif d’héberger les travailleurs algériens en métropole, souvent isolés de leurs familles. Ils subissaient d’un côté des contrôles policiers vexatoires, le racisme d’une partie de la population, et de l’autre les pressions du FLN et un racket qui se veut impôt révolutionnaire. Beaucoup de ces travailleurs migrants vivent de façon précaire, à la merci des marchands de sommeil voire dans des bidonvilles. Ouvrier devenu professeur, résistant, ministre de la reconstruction puis député, Claudius Petit dirige cette structure jusqu’en 1977. Il tente d’imposer ses foyers à des municipalités souvent hostiles. Sa proposition que les nouveaux programmes de HLM accueillent 10 à 15% de travailleurs algériens, dans le but d’éviter que le laisser faire ne dégénère en ségrégation de fait, est accueillie plus que fraichement. 

Le modèle du foyer d’accueil pour travailleur isolé trouve ses limites au bout de quelques années. Les foyers ont souvent été construit rapidement et à l’économie. Ils se dégradent très vite. Le paternalisme bienveillant de Claudius Petit devient malgré lui dans les directions des foyers un autoritarisme insupportable. Les résidents n’ont pas le statut de locataire ni les droits qui vont avec. Cela veut dire par exemple que les visites, particulièrement les visites féminines, sont interdites. Des directeurs s’arrogent le droit d’entrer dans les chambres des résidents à toute heure, le lit doit être fait le matin, etc.

Parallèlement, la politique d’immigration se raidit. Les circulaires Marcellin-Fontanet de 1972 privent de titre de séjour des travailleurs dont les patrons n’ont pas fait certaines démarches et laissent de côté les immigrés clandestins. Le 3 juillet 1974, le gouvernement Chirac suspend officiellement l’immigration économique et familiale. L’inflation consécutive au choc pétrolier et le tarissement des subventions de l’Etat conduisent à une augmentation brutale et sans concertation de 30% des loyers en 1975. Les positions se radicalisent et les résidents, soutenus par des structures associatives, font la grève des loyers. 

On a pu faire ailleurs aux foyers Sonacotra le reproche d’envoyer très loin des centres leurs résidants. Rien de tel avec celui de Montpellier puisqu’il était à deux pas du centre historique de Montpellier.

La gestion jugée clientéliste de la communauté musulmane par Georges Frêche du temps où il était maire s’est attirée beaucoup de critiques. Sa proximité avec l’électorat pied-noir, et les sorties médiatiques provocatrices sur le voile, les harkis ou les imams « analphabètes » ont marqué les esprits dans les dernières années de sa vie. Ce serait oublier tout ce que le maire bâtisseur a voulu faire et fait de positif pour les populations musulmanes dans un esprit républicain respectueux des héritages culturels. 

Les immeubles bleus ont disparu en septembre 1985 pour laisser place aux immeubles des rues Jules Grévy et Camille Descossy. 

L'ensemble des sources utilisées pour l'écriture de ce feuilleton, ainsi que les remerciements aux personnes qui ont bien voulu m'offrir leur aide, est détaillé ici.

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