Pierre-Rouge 28 : Les anciennes Pompes Funèbres générales

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Lorsque je retourne quelques jours à Montpellier pour voir ma famille, les fréquentes promenades nécessaires à ma chienne me conduisent à parcourir le quartier davantage que je ne le faisais autrefois, où chacun de mes déplacements avait un but précis et prenait presqu'invariablement le chemin le plus court. A présent j'essaie de varier les itinéraires, à la fois pour le plaisir d’observer les changements et pour découvrir ce que je n’avais pas encore remarqué. Il y a pourtant un chemin que j’emprunte presque tous les jours, c’est celui du parc Méric où je peux enfin lâcher ma chienne sans contrainte dans le grand enclos prévu pour ça ; elle peut y courir à son aise et jouer avec ses congénères. Grand avantage de Montpellier par rapport au Havre.

Vue des anciennes pompes funèbres générales depuis le carrefour de l'avenue de la Justice de Castelnau et de la rue de Ferran - à gauche les anciens bureaux, à droite les anciens entrepôts reconvertis en lofts (février 2019 - cliché de l'auteur)

Je passe donc invariablement par la rue de Ferran, devant les anciennes pompes funèbres. Je me souviens assez nettement des travaux qui ont transformés les anciens entrepôts mortuaires en logements du genre loft, au début des années 1990. C'est mon grand-père qui m'a dit à quoi servait cet endroit quelques années plus tôt. Je n'ai pas souvenir dans mon enfance de l'avoir vu autrement que désaffecté. Je me rappelle assez bien en revanche mon incrédulité à voir transformer des bâtiments utilitaires vétustes en logements. 


Les fourches patibulaires au carrefour des actuelles rue de Ferran, avenues de Castelnau et Saint-Lazare
(archives municipales de Montpellier ii 347 - cliché de l'auteur)

C'est à un endroit marqué par la mort que se trouvaient les anciennes pompes funèbres générales, puisqu'à quelques mètres de là existaient autrefois des fourches patibulaires, c'est à dire un lieu où on exposait les cadavres des pendus, voire à Montpellier, les corps réduits en quartiers des condamnés. J'ai déjà raconté comment la présence de ce dispositif macabre avait laissé son nom à l'avenue de la Justice de Castelnau


59 rue de Ferran, l'ancienne cour entre bureaux et entrepôts, partagée entre les jardins des lofts et l'allée qui dessert les jardins de Melrose (février 2019 - cliché de l'auteur)

Les locaux annexes de ce qui furent les Pompes funèbres générales sont aujourd'hui divisés en deux ensembles : les anciens entrepôts reconvertis en logements sous le nom des jardins de Melrose et les anciens bureaux. L'ensemble a été construit à la fin des années 1920 pour accueillir la maison Roblot, à qui la ville de Montpellier avait concédé le monopole des pompes funèbres selon les lois alors en vigueur. 

Le concordat signé entre Bonaparte et le Pape Pie VII avait confié la responsabilité des obsèques aux Eglises. En complément, le décret impérial du 23 prairial an XII (12 juin 1804), précisait dans son article 12 que "les fabriques des églises et les consistoires jouiront seuls du droit de fournir les voitures, tentures, ornemens (sic) et de faire généralement toutes les fournitures quelconques nécessaires pour les enterrements et pour la décence ou la pompe des funérailles." Les fabriques paroissiales pouvaient soit exercer ce droit elle-même, soit l'affermer avec l'approbation des autorités civiles. Dans les villages dépourvus de fabrique paroissiale, c'est la municipalité qui remplit leurs fonctions. Les cimetières sont confessionnels. L'incinération est légalisée en 1889 mais l'opposition de l'Eglise catholique  et la rareté des installations en limitent la pratique à un faible nombre d'obsèques. Jusqu'à l'ouverture du complexe funéraire de Grammont, les montpelliérains qui souhaitaient recourir à l'incinération devaient le faire à Toulouse ou à Marseille.

La façade nord, percée de petites fenêtres ronde au moment de la transformation des entrepôts en lofts. Les ouvertures principales sont sur les jardins, au sud. (février 2019 - cliché de l'auteur)

Avec la séparation des Eglises et de l'Etat en 1905, l'exception du régime précédent devient la règle en confiant la responsabilité des pompes funèbres aux communes. Celles-ci délèguent souvent cette compétence à une régie. C'est le cas à Montpellier à partir de 1928 avec la maison Roblot. La deuxième municipalité de Paul Boulet (1945-1953) envisagea un temps de revenir à la régie directe avant de renoncer et de laisser la concession à Roblot. L'entreprise avait son siège montpelliérain au 10 rue Foch, les locaux proches du cimetière avaient une vocation plus utilitaire. 

Publicité pour la maison Roblot parue dans le Bulletin trimestriel du syndicat d'initiative n° 27, 3e trimestre 1970 (collection personnelle de l'auteur)

Dans plusieurs numéros de Montpellier notre ville du premier mandatla municipalité Frêche se livre à une attaque en règle de la maison Roblot. Dès son premier mandat, la nouvelle majorité municipale a fait le choix de reprendre en direct cette compétence. La ville a installé des locaux provisoires dans une annexe de la mairie et acheté ses propres véhicules en refusant de reprendre ceux de Roblot et mis en place un système de classe unique. C'est la fin des enterrements en 5 classes et la mairie vante les économies faites par les familles à cette occasion. J'ai voulu voir sur la longue durée si cela se vérifiait.

Reçu de la maison Roblot du 29 juin 1947 pour les obsèques de Marie Montels, née Vaissière (collection personnelle)

Grâce à la bonne conservation des papiers de famille, j'ai retrouvé les factures des convois de 3e classe de tous les défunts de la famille de mon grand-père maternel. La prestation semble assez proche chaque fois, pourtant les tarifs varient de façon assez nette, le choix du modèle de cercueil étant déterminant, souvent plus cher pour les hommes. En juin 1947, les obsèques de 3e classe de mon arrière-grand-mère Marie Vaissière coûtent 6642 francs. En janvier 1948, celles de mon arrière-père Xavier Montels coûtent 9450 francs. En 1951, est-ce dû à l'inflation, les obsèques de mon arrière-grand-oncle Miquel coûtent la somme énorme de 40.500 francs, alors que rien ne semble différer des précédents.

En octobre 1955, les obsèques de mon oncle Jean-Paul Montels, décédé à l'âge de trois jours, coûtent 6210 francs. En 1960 arrive le nouveau franc, l'échelle de valeur change même si l'inflation ne cesse pas. En juillet 1966, les obsèques de mon arrière-arrière-grand-mère Marie Bibal reviennent à 1912 francs. En septembre 1967, la maison Roblot ne perçoit pour mon arrière-grand-oncle Henri Lubac que 1173 francs. Arrivent les années 1980 et la fin de la régie. Les factures sont plus détaillées. En 1983, les obsèques de mon arrière-grand-père Maurice Montels coûtent  4896 francs. Deux ans plus tard, celles de son épouse Emilie Lubac ne coûtent que 3901 francs. Les frais annexes ont tous augmenté, mais le cercueil choisi coûte mille francs de moins. En 1992, les obsèques de mon grand-père coûtent 8600 francs. Le coût du cercueil a certes un peu augmenté, les frais annexes sont surtout plus chers mais c'est l'apparition des soins de conservation qui fait augmenter la facture.

Une nouvelle étape a été franchie en 1993 avec la loi Sueur qui met fin aux monopoles municipaux et pose comme principe le libre choix des opérateurs funéraires. Mais les obsèques continuent à coûter cher : 3350 euros en moyenne en 2017 en France.


Les anciens bureaux de la maison Roblot, joli exemple de classicisme structurel rénové comme si c'était du Bofill et qui abritent actuellement l'IAD
(février 2019 - cliché de l'auteur)

Les anciens bureaux ont changé plusieurs fois de destination. Je me souviens y avoir vu une entreprise de design d'ameublement. Actuellement ils hébergent une jeune école supérieure privée, l'IAD (Interactive Art & Design). Fondée par Valentin Livi, le fils d'Yves Montand, cette école supérieure des arts vidéoludiques souhaite répondre au besoin des entreprises locales de ce domaine. On pense bien sûr aux 350 employés actuels des studios Ubisoft de Castelnau-le-Lez, dont les jeux autour des Lapins Crétins et Rayman sont de renommée mondiale. Ubisoft représente à lui seul plus de la moitié de l'emploi du secteur. Le jeu Beyond Good & Evil 2 qui s'y finalise actuellement est très attendu par des joueurs de tous les pays. Ubisoft inaugure ses nouveaux locaux, toujours à Castelnau-le-Lez, en septembre prochain. 

Mais le secteur compte aussi une centaine d'entreprises en Occitanie et fait l'objet d'une attention soutenue de la part de la président de région Carole Delga. Il faut dire que la croissance à 10% de ce secteur créateur d'emploi mérite que les pouvoirs publics aident son développement. Et cette industrie en plein développement a besoin de professionnels très qualifiés. 

Pour 6200 euros par an, l'IAD forme sur 4 ans aux principaux outils nécessaires à la conception et au développement de jeux vidéos, avec un accent mis sur la 3D et la réalité virtuelle.

Je traiterai dans un prochain billet des autres commerces funéraires autour du cimetière Saint-Lazare.


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