Pierre-Rouge 46 : De la propriété Alicot à la pension Les Rosiers - le footballeur Hervé Mirouze et l'écrivain Richard Aldington

Pour les billets précédents, c'est ici.

Détail du plan de Chalmandrier de 1774 (Source : Gallica/BNF) - on voit la première maison construite dans l'Enclos Massillian, qui n'est pas l'actuelle.

D'après les actes notariés conservés dans le fonds Alicot aux archives départementales de l'Hérault, Gilbert de Massillian se rendit acquéreur entre 1750 et 1755 d'une propriété constituée de la réunion d'une métairie et d'une vigne, près de l'église des Récollets. C'est cet enclos Massillian qui devint entre l'an IX et l'an X la propriété d'un notaire, Maître Michel Alicot. Il comportait alors des bâtiments, un parc un bosquet et un jardin potager. C'est lui que l'on voit sur le joli plan de Chalmandrier dressé en 1774, avec une première maison disparue depuis. 

La villa Alicot avec ce qui lui reste de terrain (octobre 2018 - cliché de l'auteur)

La villa parvenue jusqu'à nous sur un moignon de terrain est un peu plus en retrait, avec sa charmante façade dont les quelques ornements soulignent la sobriété des lignes. Son architecture évoque le début du XIXe siècle. C'était une maison de campagne, les Alicot avaient un hôtel particulier dans l'écusson, sur l'actuelle rue Jacques-Coeur.

La villa Alicot vue depuis l'avenue de Castelnau. A gauche, on aperçoit la villa des Maronniers (octobre 2018 - cliché de l'auteur)

La villa Alicot passe aujourd'hui presqu'inaperçue, entourée qu'elle est d'autres constructions de qualité architecturale inégale, notamment des immeubles qui empêchent de la considérer avec assez de recul.

Amelin, Pont aqueduc du jardin de Monsieur Alicot près le séminaire, 1826, seul
(Médiathèque de Montpellier, fond Fages, 1652RES_Vol 1_219)

Amelin a laissé trois dessins du pont aqueduc du jardin de Monsieur Alicot, que l'on peine à imaginer dans le contexte actuel de l'avenue de Castelnau.

Villa Alicot (carte poste non circulée - collection personnelle)

Michel Alicot, député républicain modéré

Photographie de Michel Alicot vers 1898 (Source : Gallica/BNF)

Michel Alicot, descendant du notaire cité plus haut, était un député né et mort à Montpellier mais dont la circonscription d'Argelès se trouvait dans les Hautes-Pyrénées. Avec quelques interruptions, il fut élu entre 1876 et 1910. 

Jean-Jacques, César, Eugène, Michel Alicot est né le 17 juillet 1842 à Montpellier, rue Sainte-Foy, dans une famille de magistrats. Sa mère était Louise Bruyas, soeur du célèbre Alfred Bruyas. Le collectionneur bienfaiteur du musée Fabre était donc l'oncle de Michel Alicot. 

En 1864, il devient avocat à la cour d’appel de Montpellier. Il passe ensuite au barreau de celle de Paris en même temps qu'il se marie avec Félicité Bonnaric en 1867. Elle aussi a des racines montpelliéraines. Les mariés s'installent dans le 8e arrondissement de la capitale, où naissent tous leurs enfants. Michel Alicot cesse définitivement d'exercer la profession d'avocat à la chute du Second-Empire. Pendant la guerre franco-prussienne, il est lieutenant d’état-major auprès du général commandant le secteur de Belleville. 

En 1871, il est nommé sous-préfet de Bagnères, dans les Hautes-Pyrénées, ce qui lui permet de constituer un réseau politique dans ce département. En 1872, il retrouve Paris en tant que chef-adjoint du cabinet du ministre de l’Intérieur Victor Lefranc. En 1874, il est élu maire d’Argelès (depuis Argelès-Gazost). 

Après une première candidature infructueuse en 1875, il devient député en 1876. Il perd son siège l'année suivante à l'occasion d'une dissolution et abandonne la mairie d'Argelès en juillet 1877. Michel Alicot est nommé maître des requêtes au conseil d'Etat en 1879 et redevient député en 1881. Il est sèchement battu en 1885. Républicain opportuniste, il était modéré sur les questions de laïcité, de relations avec le Saint-Siège ou de l'interdiction de séjour des princes des familles ayant régné sur la France. Il a soutenu la colonisation du Tonkin et son promoteur Jules Ferry.

Le 12 janvier 1892, Michel Alicot est fait chevalier de la légion d'honneur. Il est alors simple conseiller général des Hautes-Pyrénées depuis 1889. Quelques mois plus tard, à la faveur d'une élection partielle, il redevient député et le reste dix ans. Battu en 1902, il est élu une dernière fois député en 1906, mais ne se représente pas en 1910. 

La propriété Alicot avec son parc encore intact sur le plan de l'architecte Kruger en 1896
(Source : BNF/Gallica)

Entre 1906 et 1912, la séparation de l'Eglise et de l'Etat qui entraine la confiscation des biens des Dames du Sacré Coeur conduit Félicité Alicot à tenter en justice d'obtenir la restitution des biens donnés par sa famille pour l'établissement de leur couvent.

La situation de la campagne des Alicot dans le quartier les faisaient voisin des Lunaret avec lesquels ils sont longtemps restés en conflit pour une querelle relative à leurs hôtels particuliers de la rue Jacques-Coeur : les procès successifs s'étalent de 1765 à 1898 !

Habitant le plus souvent Paris et Argiles, Michel Alicot veille cependant à ses intérêts montpelliérains. 

Les héritiers Alicot louent ainsi à Jean Brun, jardinier, à partir du 2 novembre 1882 et pour 6 ans un jardin potager ancien chemin de Castelnau, pour un loyer de 1400 francs annuels. Ce bail est renouvelé au bénéfice du même Jean Brun par le frère de Michel, Jean Jacques César Eugène Alicot le 1er novembre 1891 pour 6 ans une propriété ancien chemin de Castelnau, pour le prix inchangé de 1400 francs.

Le député Michel Alicot loue au père Emprin, fondateur de l'imprimerie de la charité, un enclos de 4500 m2 pour 200 francs le 1er novembre 1897 pour 3/6/9 ans. Le rapport du loyer et de la surface montre qu'il s'agit cette fois d'un soutien à l'oeuvre du religieux : Michel Alicot aurait pu louer ces terrains bien plus cher. Six ans plus tard, Michel Alicot loue une parcelle beaucoup plus petite à Jean Masclau, jardinier, 100 mètres carrés enclos attenant à la villa ancien chemin de Castelnau 1 et 3, à partir du 1er novembre 1903 et pour 9 ans 100 francs par an

Michel Alicot est décédé le 10 mars 1912 à Montpellier, dans sa villa, 3 ancien chemin de Castelnau. Il est inhumé au cimetière Saint-Lazare.

La pension "Les Rosiers" et la famille Mirouze


La villa "Les Rosiers" du temps de la pension de famille de Mme Mirouze de Lène. La serre sur le côté n'existe pas encore. 
(carte postale non circulée - collection de l'auteur)


Née le 26 septembre 1877 aux Chicots, un hameau de montagne à trois kilomètres de Biert (Ariège), Marguerite Mirouze de Lène était un personnage au caractère bien trempé. Ce sont les souvenirs de son arrière petit-fils Alain de Lène Mirouze qui m'ont permis de donner un peu de profondeur de champ au portrait que dessinaient les informations publiques à son sujet.


De ses années de jeunesse, Marguerite avait gardé une éducation qui la mettait au-dessus de la moyenne des filles de son époque, une éthique du travail qui la rendait inaccessible à l'idée de loisirs et un rapport à l'argent qui la rendait économe au quotidien mais capable de dépenser pour soigner les apparences ou de faire des cadeaux très généreux à ses proches. Son arrière-petit-fils Alain se souvient : "Pour ma communion solennelle elle m’a fait faire un costume sur mesure et un repas dans le plus grand restaurant de Montpellier", la réserve Rimbaud.  


Marguerite est devenue mère à 18 ans d'un fils qui porte son nom de façon inversée : Pierre de Lène Mirouze (1896-1981). Elle se marie ensuite l'année suivante dans sa ville natale avec Jean Teychenné de Blazy. Sans que j'ai pu découvrir si elle est divorcée ou veuve, elle se remarie à Paris en 1907 avec un cuisinier natif de Montpellier, Louis-Georges Coulet. Elle réside alors rue de Pigalle, dans le 9e arrondissement. Elle divorce en 1921 alors qu'elle est installée à Montpellier. Cela ne l'empêche pas d'avoir des chaises au nom de sa famille à la cathédrale.


J'ignore à quel moment elle entre en possession de la villa Alicot, mais c'est dans l'annuaire de 1923 que le 3 avenue de Castelnau devient la Villa des Rosiers, pension bourgeoise, tenue par Mme Marguerite Mirouze de Lène. Le pension peut accueillir une dizaine de personnes. 


Villa "Les marronniers" 
(sans date - collection d'Alain de Lène Mirouze, avec son aimable autorisation)


Quelques années plus tard, une deuxième maison est construite en face des Rosiers, plus près de la rue : les Marronniers. Cela doit permettre à la famille d'avoir une vie privée, le partage entre le rez-de-chaussée surélevé des Rosiers, pour la famille, et l'étage, réservé aux pensionnaires, n'y suffisant pas. Le personnel est dans le soubassement de la maison, à la mode anglaise. La construction des Marronniers est aussi une question de statut social pour Marguerite, qui a fait peindre le blason de sa famille sur un mur de la villa. 


Citroën Traction avant 15 CV 6 cylindres (Cliché Llann Wé, sous licence Wikimedia Commons)

Même diminué par la construction du couvent Saint-Antoine et celui de la villa des Maronniers, le parc reste vaste. Il était assez grand pour que Guy de Lène Mirouze et ses amis apprennent à conduire dans ses allées au volant d'une Traction Avant Citroën 15CV, modèle 6 cylindres familiale. Il y a une maison de gardien, un puits pour l'eau, un grand potager, un piscine, un court de tennis et bien sûr des allées et des bosquets avec des bancs. 


La villa vue du parc (carte postale non circulée, collection de l'auteur)


Après guerre, un trou dans la clôture permettait aux soldats du 81e régiment d'incendie de faire le mur. Peut-être profitaient-ils des bosquets pour y retrouver leur amoureuse du moment comme le fit quelques années plus tard Alain de Lène Mirouze, dont le parc était le lieu préféré. Sur un registre plus grave, mon grand témoin garde un souvenir étonné de ses voisins les Capucins qui creusaient leur propre tombe et s'y installaient pour y méditer plusieurs minutes par jour. 


Marguerite Mirouze de Lène tient son arrière-petit-fils Alain dans ses bras après son baptême à la cathédrale Saint-Pierre en 1942 quelques semaines avant la fin de zone non occupée
(collection d'Alain de Lène Mirouze, avec son aimable autorisation)

Pendant la guerre, la nourriture devient pour Mme Mirouze de Lène comme pour tous les montpelliérains un souci quotidien. Les articles du quotidien collaborationniste L'Eclair rendent compte sans indulgence des passages devant la justice que lui valent quelques arrangements avec les règles du rationnement. Le 19 juillet 1940, le journal cite une condamnation à 50 francs d'amende pour défaut d'affichage du prix des chambres. Le 20 juin 1941, elle est condamnée à 200 francs d'amende pour ne pas avoir restitué à un client qui la quittait le 15 du mois les tickets de la 2e quinzaine qu'elle avait réclamés par avance. Enfin l'article du 3 juillet 1941 présente la logeuse comme une habituée de la correctionnelle. Cette fois, c'est sur dénonciation de sa bonne, Rose Mercier, qu'elle comparait pour s'être fait délivrer des tickets d'alimentation au nom de clients fictifs. L'enquête de police révèle aussi qu'elle n'avait pas transmis à la sureté la fiche de police de deux de ses locataires. Marguerite Mirouze de Lène écope de 8 jours de prison et de cent francs d'amende, sans compter les publications judiciaires. Même après-guerre, elle semble avoir gardé une certaine âpreté avec les commerçants des halles. Son arrière-petit-fils se souvient qu'"elle était infecte avec les commerçants, Si le prix où elle voulait acheter ne lui convenait pas elle piquait une fausse colère et apostrophait tout le marché, traitant le commerçant de voleur, qui à la fin pour s’en débarrasser lui faisait le prix qu’elle voulait."


Concours du plus beau bébé de juin 1927 dans
Montpellier : hebdomadaire illustré de la vie intellectuelle et mondaine  (Source Gallica BNF)

En mars 1954, elle adopte ses petit-fils Guy (1923-1985) et Hervé, qu'elle avait élevés, suite  aux difficultés conjugales puis au divorce de son fils Pierre (1896-1981). Les deux bambins avaient été mis en valeur dès leurs jeunes années. Leur participation au concours photographique du plus beau bébé (les photos dataient déjà de quelques années), leur avait valu pour Hervé une 14e place et 50 francs de marchandise à choisir chez Bonnet, 11 bis rue de la Loge et pour Guy, une 40e place soit une combinaison d'une valeur de 35 francs de la maison Sigrand (l'actuel magasin Armand Thiery en haut de la rue de la Loge). 


Sanatorium Bon Accueil (carte postale sans date - collection de l'auteur)

En 1934, la ville de Montpellier est appelée à prendre en charge les frais de sanatorium de Paulette Mirouze de Lène, née Fabre, du fait du manque de moyens de son mari Pierre, le fils de Marguerite, installé à Lyon, séparée de Paule. Paule a séjourné à Bon accueil du 12 décembre 1928 au 30 novembre 1929. Le prix du séjour s’élève à 7744 francs. 


Pauline (1906-1980) avec ses fils Guy et Hervé 
(collection d'Alain de Lène Mirouze, avec son aimable autorisation)

La ville se retourne contre la belle-mère de Paulette, Marguerite, pour payer les frais, arguant qu’elle était « dans une situation très aisée lui permettant le remboursement desdits frais ». Marguerite s’opposa au commandement de payer et fit évidemment appel de cette décision, au motif qu’à la date où le commandement lui avait été signifié, en 1932, son fils Pierre avait déjà demandé le divorce. Marguerite n’obtint en appel qu’une satisfaction partielle : celle de partager les frais avec les autres personnes ayant une obligation alimentaire vis-à-vis de Paule Fabre.


Marguerite aimait beaucoup ses petits-fils mais les méthodes éducatives de sa génération n'étaient pas tendres : "Elle a été très dure avec Guy et Hervé, il faut dire qu’ils faisaient les 400 coups. Quand ils n’étaient pas sages elle les enfermait avec les cochons. Elle ne se gênait pas de fouetter pour les mater, surtout quand ils voulaient pas travailler." 


Publicité pour la villa des Rosiers
(collection d'Alain de Lène Mirouze, avec son aimable autorisation)


Devenu adulte, Guy travaille aux Rosiers. C'est lui qui a démembré la propriété après la mort de Marguerite. Les immeubles des parcelles 0311 et 0337 étaient déjà construits sur la photo aérienne de l'IGN de 1963.


Vue du géoportail (Source IGN) qui permet de se rendre compte du démembrement de la propriété. Les parcelles 0357 et 0627 correspondent au premier découpage, celui du couvent des Capucins. La parcelle 0336 est celle de la villa des Rosiers, la 0312 celle des Marronniers. 0311 et 0337 correspondent aux immeubles construits sur l'ancien parc.

Lorsque Marguerite Mirouze de Lène décède le 9 février 1955 dans sa villa des Rosiers, elle n'exerce plus de profession. C'est son petit fils Hervé Mirouze, âgé de trente ans, qui est cité comme témoin dans l'acte.


Hervé Mirouze, arrière-droit de l'équipe de football du Stade Olympique Montpelliérain
(1946, carte postale non circulée - collection de l'auteur)


Né en 1924, il a 21 ans lorsqu'il revient du STO, auquel son frère Guy a pu échapper. Ce footballeur célèbre en son temps a surtout joué au poste d’arrière droit, essentiellement au SOM de 1945 à 1948, puis de 1951 à 1957 (entretemps il a joué à Cannes et Alès). Il a ensuite été l’entraineur du SOM de 1957 à 1963, alors que le stade olympique montpelliérain était présidé par un curé en soutane, le chanoine Bessède. 


Marc Bourrier, alors entraineur de l'OM, se souvenait en 1994 de celui qui l'avait repéré avec chaleur. Arrivant à Montpellier en décembre 1957, juste après avoir fini son service militaire, Marc Bourrier est accueilli sur le quai de la gare par l'épouse de l'entraineur. "C'est Hervé Mirouze qui m'a mis le pied à l'étrier et je sentais qu'à Montpellier j'aurais plus de facilité qu'ailleurs. Un peu à mon image, il a fait émerger pas mal de jeunes joueurs et ça mérite d'être dit. Il a beaucoup fait pour le football montpelliérain et cela n'est peut-être pas assez reconnu. J'ai gardé pour Hervé une très très grande amitié et une grande reconnaissance. D'autant que j'ai eu l'occasion de l'avoir pour entraîneur à Montpellier jusqu'en 1963 puis à Toulon". 


En effet, après Montpellier, Hervé Mirouze a entrainé le SC Toulon (1963-1967) avant de revenir à Montpellier entrainer le LSC (1970-1974). Hervé Mirouze arrête sa carrière d’entraineur au moment où le club fusionne avec l’AS la Paillade, juste avant que Louis Nicollin ne lui donne une nouvelle impulsion. Hervé Mirouze est décédé en 1998 à Castelnau-le-Lez.


Alain de Lène Mirouze au stade Sabathé, mars 1955
(collection d'Alain de Lène Mirouze, avec son aimable autorisation)

La vocation de footballeur aurait pu se poursuivre chez les Mirouze à la génération suivante, avec le neveu d'Hervé. Alain de Lène Mirouze, qui jouait au stade Lunaret, arriva en 1955 premier du district concours du plus jeune footballeur, ce qui le qualifia pour la finale régionale Sud-Est. Organisé de 1930 à 1979, le concours du plus jeune footballeur était une suite d'épreuves techniques jugées par des entraineurs professionnelles qui avait lieu en ouverture de la finale de la Coupe de France. Mais les parents d'Alain étaient contre cette carrière. Il fut donc marin, dans la marine nationale puis dans la marine marchande, et sa vie le conduisit bien loin de Montpellier.


La villa des Rosiers sous l'Occupation 

Les tracasseries judiciaires de Marguerite pendant la première moitié de la guerre ont dû lui sembler un détail lorsque les troupes allemandes, suite au débarquement allié en Afrique du Nord, envahirent la zone jusqu'ici administrée par le gouvernement de Vichy. Montpellier fut donc occupée par l'armée nazie de novembre 1942 à août 1944. Pendant tout cette période, la villa fut réquisitionnée par la Gestapo et utilisée comme lieu de torture et de mise à mort. Des policiers collaborationnistes utilisèrent également la villa sous les ordres de Pierre Marty. Marguerite Mirouze de Lène s'éloigna un temps à Lyon chez son fils Pierre.

Entre mai 1943 et août 1944, la notice Wikipedia dédiée à la villa des Rosiers recense 18 résistants héraultais ou lozériens passé par la villa des Rosiers. 

Aussitôt après la fin de l'occupation, la famille reprend possession des lieux. Un prisonnier allemand devient homme à tout faire. "La guerre était finie et il est resté chez nous. Je me souviens lui avoir demandé pourquoi il retournait pas chez lui. Il m’a expliqué qu’il n’avait plus de famille, elle avait été tuée lors des bombardements." Il prend même les Rosiers en gérance sur la fin de la période. Alain de Lène Mirouze garde un souvenir ému de cet homme qui prit soin de sa chienne Nora.

Richard Aldington

Richard Aldington, dessin de К.Е.Сергеев (2013, sous licence Wikimedia Commons)

L’écrivain anglais Richard Aldington (1892-1962) a vécu dans la villa Alicot de 1951 à 1957, c’est-à-dire à l’époque où il écrivit sa biographie de T.E. Lawrence, parue en 1954. Frédéric-Jacques Temple, dans un article de 2016 repris dans son recueil Divagabondage, qualifie sèchement la résidence montpelliéraine d'Aldington de "médiocre pension famille." En fait les revenus de Lawrence ne lui permettaient pas de s'offrir une pension plus luxueuse et en 1957, il dut quitter Montpellier pour un endroit moins couteux.

Sans doute la carte postale où l'on voit le mieux la véranda où se déroulaient les famesuses parties de nain jaune, et la serre sur le côté (carte postale non circulée, collection de l'auteur)

Alain de Lène Mirouze garde de Richard Aldington et de sa fille Catherine un souvenir plus familier : "Il  participait aux interminables parties de nain jaune dans la véranda. J’avais des grandes discutions et jeux avec sa fille Catherine. Elle avait environs 3 à 4 ans de plus que moi, mais nous étions complices dans les conneries type monter aux arbres pour attraper des chouettes, il y en avait beaucoup et une dans la cuisine. Catherine allait en cours au lycée Joffre l’ancien bâtiment, elle était désespérée par ses mauvaises notes en Anglais."

Né en 1892, rendu célèbre par ses poésies en vers libres sur la première guerre mondiale, Richard Aldington est associé au mouvement vorticiste ou "imagiste", un courant artistique interdisciplinaire issu du cubisme où se retrouvaient notamment Ezra Pound et T.S. Elliot. Très marqué par la première guerre mondiale, il vit de traductions tout en écrivant son roman le plus marquant, Mort d’un héros, publié en français en 1929 chez Albin-Michel. Ses œuvres romanesques ultérieures, plus légères, ne rencontrent pas un grand succès et il se tourne vers la biographie, notamment celle de D.H. Lawrence, romancier anglais dont le talent ne se résume pas au succès de scandale de L'amant de Lady Chaterley

Peter O'Toole en Laurence d'Arabie 
(1962 - Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=4545776)

La biographie qu’il rédige sur une autre Lawrence, T.E. Lawrence, est d’abord publiée en français, tant son contenu choque l’opinion de l’époque. Aldington y aborde en effet de façon frontale la mythomanie et l’homosexualité de l’auteur des Sept piliers de la sagesse. Novatrice, son œuvre a influencé le scénario écrit par Robert Bolt pour le film de David Lean, Lawrence d’Arabie, sorti en 1962 avec Peeter O’Toole dans le rôle de T.E. Lawrence. En 1957, Aldington quitte Montpellier pour Sury-sur-Cher où il décède en 1962. 

Dans un entretien donné à Nathalie Jungerman en 2012, son voisin Frédéric Jacques Temple évoquait ainsi le souvenir de son ami : « J’ai connu l’écrivain anglais Richard Aldington en 1951 à Montpellier où il s’était installé pour que sa fille Catherine y fasse ses études. J’avais alors commencé un livre sur D.H. Lawrence dont Richard avait été l’ami et le biographe. Une aubaine pour moi ! Il a d’ailleurs préfacé plus tard mon ouvrage. Nous sommes devenus amis. Au cours de l’été 1956, nous devions déjeuner ensemble à la campagne et, le jour venu, Richard m’a téléphoné pour me demander si je voyais un inconvénient à ce qu’il invite un écrivain britannique, Lawrence Durrell, à se joindre à nous. Je ne connaissais Durrell que de nom, Miller l’ayant cité dès le début de son Colosse de Maroussi. C’est ainsi que j’ai rencontré le romancier du futur Quatuor d’Alexandrie qui désirait s’installer en Languedoc parce que les paysages lui rappelaient la Grèce. Aldington et moi avons pu aider Durrell à trouver une maison à Sommières. »

Plaque sur le mur de clôture actuel de la villa des Rosiers (octobre 2018 - cliché de l'auteur)

L'ensemble des sources utilisées pour l'écriture de ce feuilleton, ainsi que les remerciements aux personnes qui ont bien voulu m'offrir leur aide, est détaillé ici.

Commentaires

  1. Comme c'est intéressant : plusieurs pages d'histoire de familles et de propriétés de Montpellier qui nous enracinent un peu plus! Bravo et merci

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  2. Merci beaucoup pour cet articles fort intéressant et fourmillant de détails instructifs.

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  3. Merci beaucoup pour cet article qui me permet de situer et matérialiser la Villa des Rosiers où mon grand oncle Roger SALASC a été torturé après son arrestation en juin 1944 avant d'être déporté vers par le train de la mort le 2 juillet 1944 de Compiègne, vers Dachau, Flossenburg et Hersbruck où il est mort le 28 novembre. Il faisait partie du maquis Bir-Hakeim, il était chaiffeur du Cdt Demarne.

    Son dossier sur Geneanet https://gw.geneanet.org/tga92_w?lang=fr&p=roger+leon+marceau+roger&n=salasc&oc=0

    Thierry GARREL

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    1. Bonjour M. Garrel,

      Actuellement étudiant en master Histoire, j'effectue mon mémoire de recherche sur la Villa les Rosiers du 3 avenue de Castelnau : je travaille principalement sur la période qui concerne l'occupation, les victimes de la répression dans ce lieu et l'aspect mémoriel.

      Je souhaiterais vous rencontrer afin de discuter au sujet de votre grand-oncle, Roger Salasc, dont vous faites mention dans votre commentaire. Je peux me déplacer si nécessaire.

      Vous pouvez me contacter par Facebook, par mail (samuel.clauzier@gmail.com) ou par téléphone (0749676072), à votre convenance.

      En vous remerciant par avance,

      Samuel Clauzier - Université Paul-Valéry Montpellier III

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